Remi Besse continue de redessiner l’imagerie de la musique. Figure montante de la création visuelle, ce touche-à-tout n’en finit plus d’enchaîner les collaborations de choix. Outre Lala&ce, le réalisateur parisien a déjà travaillé avec d’autres valeurs sûres du rap francophone, comme Oboy et Frenetik, mais aussi avec une star internationale comme Offset.
Révélée grâce à ses films sur la scène street-art de New York, ce faiseur d’image cherche à créer des contenus protéiformes. Il opère ainsi avec des clichés pris à l’argentique, de la peinture, des collages, du graff’… En résulte des oeuvres aux textures complexes et insaisissables, qui font la particularité de ces créations en forme de clip, d’artworks ou de campagnes publicitaires.
À l’occasion du tournage de la campagne BudX x Lala&ce, nous avons pu échanger avec Remi Besse afin de saisir ce qui le rend si spécial au sein de la scène créative française du moment.
Comment est-ce qu’un réalisateur s’adapte à l’univers d’un artiste ? Par exemple, pour le clip de “Sp&Cial”, est-ce que tu as une feuille de route, une méthode pour saisir ce que Lala&ce veut ?
Il n’y a pas vraiment de méthode. En écoutant le morceau, tu sens vite ce que peux faire avec l’artiste, si ça te touche et si tu as envie d’y aller. Je pense que c’est le maître mot : s’écouter soi-même, avant de savoir si c’est le nouveau “hit” ou l’artiste qui va exploser. Ce qui compte, c’est de savoir si toi ça te parle. Heureusement qu’il n’y a pas de méthode d’ailleurs, sinon mon métier deviendrait mécanique.
Ça t’arrive de refuser des projets, justement parce que tu n’as pas ce feeling ?
Oui, bien sûr ! Quand tu es réalisateur, tu passes plus de temps à ne dire non à des projets qu’à en accepter. Parce que quand tu t’engages sur quelque chose, c’est beaucoup de temps, d’énergie, de sueur et de sang comme on dit (rires). Du coup, il faut être sûr de vouloir y aller. Un jour, un producteur m’a dit une phrase que je trouve assez cool et véridique, maintenant que je peux le vérifier. Il m’avait dit : “En tant que réalisateur, tu te définiras plus par ce que tu ne fais pas, que par ce que tu fais.” C’est vrai qu’on reçoit plein de briefs, pour des campagnes et d’autres projets, mais tu ne peux clairement pas tout faire : il faut sélectionner.
Surtout que tu travailles sur plusieurs domaines artistiques, comme la photo, la réalisation, la DA… Comment est-ce que tu arrives à gérer cette activité protéiforme ?
Je m’amuse beaucoup à être multitâche, je pense que j’aurai tort de m’en priver. Après, le nerf de la guerre reste la réalisation de films, mais c’est aussi un régal de dessiner une pochette ou de faire une série de photos pour une marque. Je trouve que ça se complète bien, ça empêche de tourner en rond, donc on continue.
Quand on te voyait sur le tournage du clip de Lala&Ce, c’était assez impressionnant de voir ta concentration permanente, comme si tu étais dans une zone. Est-ce que c’est une compétence que tu as développé ou c’est quelque chose que tu as toujours appliqué ?
Tu apprends, tu te foires… Si toi tu n’es pas dedans, si tu n’es pas à 100% focus sur ce que tu dois faire, tu n’emmènes pas les équipes sur le bon mood. C’est pourtant le rôle du premier d’un réal’, d’orchestrer tout ce bordel, donc je pense que ça vient de là. Je peux être totalement autiste quand je kiffe faire quelque chose, genre m’enfermer 48 heures à faire des découpages, des collages, des peintures pour une pochette… En revanche, si ça m’ennuie, je sors très vite du truc.
Comment décrirais-tu ton style visuel ?
On m’a déjà posé cette question, à chaque fois je trouve ça compliqué ! C’est mieux de ne pas se définir soi-même et de laisser les autres le faire. Mais pour rebondir sur ce qu’on disait tout à l’heure, c’est un peu protéiforme, ça fait appel à différents médiums et ça prend forme sur différents supports : pochette, clip, pub…
Tu as toujours aimé jouer sur plusieurs tableaux ?
Ça se développe forcément avec le temps, car tu apprends en faisant. À la base, je ne sais pas vraiment si le métier de réalisateur était exactement là où je voulais aller. En revanche, je faisais de l’image et je me disais : “Pourquoi pas, à un moment donné, dans mes vidéos, me mettre à dessiner, découper la pellicule et à m’amuser dessus ?” Je pense que ça vient de ton parcours et de ta manière d’arriver là-dedans. Comme je viens de l’image, j’ai naturellement ajouté ces éléments à mes format vidéo. C’est un peu une gymnastique, tu es comme un athlète qui s’entraîne, tu essayer de pousser ta technique.
On sent que tu apportes une attention particulière au rythme de tes vidéos, qui est souvent très élevé. Pourquoi ce choix ?
C’est la grammaire visuelle avec laquelle je suis le plus à l’aise, mais il ne faut absolument pas que je m’interdise de prendre le contrepied. Je n’essaye pas de dupliquer ça en me disant sur chaque projet : “Je vais faire des montages nerveux avec beaucoup de cuts”, mais c’est clair que c’est quelque chose qui me parle.
Lala&ce est loin d’être le premier profil rap avec laquelle tu bosses, c’est une musique que tu as toujours écouté ou tu y es venu par le boulot ?
Le rap, c’est l’espace où tu peux faire le plus de dingueries visuelles. Déjà, tu as je ne sais pas combien de sorties chaque semaine, des nouveaux noms qui arrivent en permanence avec propositions super intéressantes. Quand tu crées de l’image et que tu écoutes beaucoup de son, je ne vois pas comment tu peux passer à côté en 2021. Mis à part ça, c’est une musique qui me touche vraiment, donc tout ça s’accorde.
Tu as beaucoup bossé avec les mecs du 92i, Oboy aussi sur un tableau pour sa pochette…
Oui, les deux derniers artistes émergents avec lesquels j’ai bossé c’est SDM et Oboy. Quand on te donne un peu de marge de manœuvre, que tu sois là pour leur faire une pochette ou autre chose, c’est agréable.
On est obligé de demander. Quand tu bossais avec le 92i, ça t’es arrivé de dialoguer avec Booba directement ou c’était davantage avec les artistes et leurs chefs de projets ?
Ce que je peux te dire, c’est que Booba est très impliqué dans les choix créatifs autour de ses artistes. Il n’y a rien qui se fait sans sa validation. Mais si tu attends que je te dise que j’ai Booba tous les matins au téléphone je te mentirai et je me la raconterai (rires).
Tu as également travaillé pour Nike, pour adidas, pour Accor en tant que sponsor du PSG… Le sport est un univers qui t’inspire aussi ?
En toute franchise, je ne suis pas un grand sportif. Ça me parle, mais au début, j’avais un problème de légitimité en me disant : “P*tain, il y a des gens plus matrixé par le PSG que moi, qui ferait mieux ces campagnes autour des joueurs.” Mais finalement, ça permet de prendre un peu de recul et de ne pas trop bégayer quand tu tournes avec un Mbappé. De leur côté, ils s’en cognent que je sois incollable sur l’histoire du club. Ce qu’ils viennent chercher, c’est un style visuel. Tu es un artisan qui vient faire des images pour une marque qui fait appel à toi.
Tu travailles aussi avec des marques de luxe…
Je viens de réaliser une commande pour une griffe de luxe, ce qui prouve que ce sont deux univers qui se nourrissent continuellement entre eux. Tu peux travailler pour un label sportswear à un moment donné, et le lendemain faire quelque chose pour une griffe de luxe. L’intérêt de tout ça, quand tu as un peu de marge de manœuvre, c’est que ça te paye mieux qu’en faisant simplement des pochettes de disque ! Ça permet de contrebalancer et de trouver un équilibre financier.
Justement sur cet aspect financier, est-ce que tu crains que la crise sanitaire entraîne une baisse des alloués à la production vidéo ? Que l’image soit reléguée au second plan ?
C’est sûr que l’art et la culture vont en prendre un coup. En ce qui me concerne, quand ton interlocuteur a vraiment envie de faire quelque chose, on trouve des solutions. Évidemment qu’il y a un impact du Covid-19, mais comme dans tous les domaines, ce serait anormal qu’on soit épargnés. Mais je pense que la personne qui vraiment envie de sortir de la musique et des visuels, si toi tu as envie de la suivre en tant que réalisateur, tu trouves toujours une solution.
Justement selon toi, quel est le rôle d’un réalisateur dans le rap FR en 2021 ?
Je crois que c’est très important. Il y a encore beaucoup de gens qui découvrent la musique d’un artiste uniquement par le biais d’un clip, donc c’est quand même un contenu majeur. Ça rejoint ce que je te disais précédemment, à savoir si l’artiste n’a pas envie de suivre les codes, de ne pas avoir le même artwork que tout le monde… Ça ne participe pas à une supercherie, justement, il fait un pas de côté. Quand t’es dans un truc ou te reproduit, ou t’es juste là pour créer du flux, c’est moins intéressant, pour l’artiste et pour l’artisan qui est derrière la vidéo.
Si on te donne un budget illimité et un artiste à choisir, tu bosses avec qui et ça ressemblerait à quoi ?
Déjà, tu vas shooter sur la lune. Et tu ne le fais pas comme Stanley Kubrick dans un studio, tu y vas vraiment (rires). Et après… C’est déjà pas mal de shooter sur la lune. Aller sur la lune pour un clip de FKA Twigs ça me plairait bien, ça ferait un bon combo. Mais bon, elle ne sait pas qui je suis donc…
Est-ce que t’aimerais explorer d’autres formats à l’avenir ? Du documentaire, du long-métrage ou autre ?
En fait, j’ai déjà un peu fait du format docu. Je suis venu au clip presque après, je faisais des vidéos courtes genre format un peu clip, avec une approche plus docu. Donc c’est un format qui me parle, tout comme la fiction. J’en ai fait un petit peu et j’essaye d’en écrire. Et c’est ça qui est intéressant avec notre génération, si demain j’ai envie de dessiner des visuels pour faire des sweats ou des claquettes je peux, et tant que ça me fait me lever le matin c’est cool quoi. Donc ouais, j’ai envie de toucher à différents supports.
Photos : Lou Matheron pour Views (@loumatheron) – Remi Besse (@remibesse)