Ces dernières années, le rap américain a été tristement frappé par le décès de jeunes icônes fauchées en plein vol. De XXXTENTACION à Mac Miller en passant par Juice WRLD, le sentiment d’avoir été privé de la majeure partie de la carrière de certains des plus gros talents du genre est une frustration immense, au-delà de la peine évidente de voir de jeunes adultes périrent. Bien qu’il n’était pas rappeur, A$AP Yams rentre totalement dans cette case, tant il était important au sein de la culture hip-hop de sa génération, et qu’il n’a pas eu l’occasion d’aller au bout de ses idées novatrices, de sa vision unique. Malheureusement, sa consommation excessive de drogues et ses addictions auront eu raison de lui. Suite à une soirée trop arrosée, mélangeant drogues et alcool, Yams s’est tragiquement étouffé et a été déclaré mort le 18 janvier 2015 à l’âge de 26 ans. C’était il y a 6 ans aujourd’hui et le temps n’a eu de cesse de confirmer que le monde du rap a perdu gros ce jour-là.
Yams est la seule personne qui a tout traversé avec moi et sait ce que je ressens
A$AP Rocky
Pour comprendre l’impact de Steven Rodriguez de son vrai nom, il suffit d’écouter la manière élogieuse et respectueuse avec laquelle son entourage, et notamment les membres du Mob, en parle. Un discours unanime, qui permet de comprendre une chose simple : sans A$AP Yams, le A$AP Mob n’existerait pas et A$AP Rocky ne serait (très probablement) pas devenu l’icône qu’il est aujourd’hui. À la fois conseiller, mentor, directeur artistique et manageur du rappeur, la relation entre Yams et Rocky était particulièrement puissante. Elle a notamment permis à Flacko de s’offrir un début de carrière tonitruant. Quelques temps après sa mort, A$AP Rocky avait déclaré à MTV : “Je viens de perdre mon frère. J’en ai rien à foutre de la musique. Au final, est-ce que j’échangerais ma carrière pour retrouver Yams ? Oui. Car dans les faits, Yams est la seule personne qui a tout traversé avec moi et sait ce que je ressens.” Il ajoutera ensuite : “Yams était mon partenaire dans ce truc. Il est la personne que je connaissais quand j’étais pauvre, qui m’aidait quand on ne savait pas de quoi le futur serait fait. Pleins de gens sont prêts à aider et contribuer quand ils ont l’assurance d’une compensation. Lui, ne savait pas ce qui allait se passer. Il avait seulement autant confiance en moi, de la même manière que j’avais confiance en moi.”
Lors de notre interview avec lui en 2017, A$AP Ant nous avait expliqué au sujet de Yams : “Sa mort a montré tout le respect et l’impact qu’il a eu sur la culture. On a découvert qu’il avait des relations avec des gens de tous les horizons, des artistes, des businessmen… À ce moment là, on ne soupçonnait pas tout ça et on était encore plus choqués par l’impact qu’il a eu sur ces gens. C’est un précurseur et le créateur du A$AP Mob. On lui doit énormément.”
Que ce soit A$AP Rocky ou A$AP Ant, les éloges ne manquent donc pas. Mais dans les faits, qu’est-ce que Yams a fait pour être régulièrement qualifié de tête pensante du Mob ? Tout d’abord, et c’est important de le préciser, c’est lui qui était à l’origine de la création du collectif. En 2006, il fonde le collectif avec A$AP Bari, A$AP Kham, et A$AP Illz et lorsqu’il rencontre Rocky en 2007, il l’invite rapidement à les rejoindre. Yams n’avait alors que 17 ans, mais il avait déjà la volonté de réunir des créatifs au sein d’un pré-fixe commun tenant en 4 lettres et résumant tout son mantra : “A$AP”, l’abréviation de “Always Strive And Prosper“. Une invitation à ne rien lâcher et profiter des fruits de son travail.
Bien qu’il n’était ni rappeur ni producteur, la vision artistique d’A$AP Yams et son sens du business ont permis au crew de s’offrir une identité qui a chamboulé le rap new-yorkais, puis le monde entier au début des années 2010. Grâce à une image de marque rafraichissante et unique pour l’époque, des sonorités nouvelles pour New-York (notamment inspirées par le Dirty South), ainsi qu’une connexion pointue avec le streetwear et la haute-couture de l’époque, Yams a su dicter au Mob la recette de son succès et a été un soutien pour chaque membre, à la fois humainement et artistiquement. Grand fan de Burberry et de mode dans son ensemble, il a su être le premier à voir en A$AP Rocky une image de marque que les plus grandes enseignes s’arracheront.
Il était le premier à m’avoir contacté. Yams connaissait tout ce qui sortait.
Lil Uzi Vert
Il était également un fin connaisseur de la culture Internet, en ayant totalement conscience de son potentiel pour développer un artiste et surtout le rendre cool. L’un de ses plus gros coups de maître en la matière fut la création de son compte Tumblr (RealN*ggaTumblr) sur lequel il réalisait de la curation sur le plan stylistique et musical. Peu à peu, le compte est devenu populaire et il l’a utilisé comme un levier pour promouvoir la musique d’A$AP Rocky, la rendant tendance auprès des premiers influenceurs de la plateforme. Si cela a autant marché, c’est également parce qu’il n’avait bien évidemment pas révélé ses liens avec le rappeur d’Harlem sur son compte.
Cette stratégie a permis de créer une hype sur Tumblr pour A$AP Rocky et donc de profiter d’avantage de la puissance d’Internet pour faire parler de lui. Ce qui était d’autant plus efficace en sachant que ce dernier possédait un style parfaitement adapté aux codes de la plateforme. Bien avant la force de frappe d’Instagram et Twitter en la matière, Yams avait intelligent utilisé ces milliers de “cool kids” sur Tumblr comme les premiers adeptes de la musique d’A$AP Rocky. Toutefois, tout cela ne s’est pas fait sans sacrifice. “J’ai porté le même outfit pendant 2 ans parce que toute mon argent partait dans le rap.” avait-il expliqué au sujet de sa vie avant le succès du A$AP Mob.
Yams avait également le rôle d’A&R dans le label Yamborghini Records qu’il a fondé. En clair, il dénichait de nouveaux artistes et supervisait toute la partie artistique. Et sur ce plan là , il a rapidement prouvé qu’il avait le nez creux. Dès 2012, il était totalement convaincu du potentiel de Vince Staples, alors que ce dernier était pourtant inconnu. Il avait alors tweeté “Vince Staples = future legend.” Il avait également découvert Lil Uzi Vert très tôt dans sa carrière. L’artiste de Philadelphie avait ainsi expliqué en interview : “Je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer en personne, mais il était le premier à m’avoir contacté. Yams connaissait tout ce qui sortait. (…) Un génie.” Bien qu’il l’ait exercé dans un laps de temps beaucoup trop court, sa capacité à dénicher des talents demeure sans doute son le plus beau fait d’arme de sa carrière.
Au final, il est évident que Yams était le leader parfait pour le A$AP Mob. Le fait qu’il ne soit pas un artiste, et qu’il n’avait donc pas le même ego que ses compères, fait que les intérêts du collectif passaient avant tout et que ses ambitions personnelles n’influaient pas sur ses décisions. Il était un homme de l’ombre, qui aimait l’être et était doué plus que tout pour sa capacité à faire briller les autres et à tirer le meilleur d’eux-même. Il suffit simplement de constater les péripéties du Mob, aussi bien pour la relative perte d’intérêt d’une partie du public pour le collectif que pour les conflits assez réguliers entre eux, pour comprendre à quel point A$AP Yams était vital à leur équilibre. Si A$AP Rocky est indéniablement le talent brut de ce collectif, Yams en était l’architecte. Et sans lui, il est évident que le A$AP Mob a quelque peu perdu de sa superbe. Si on imaginait il y a quelques années qu’A$AP Rocky allait le remplacer dans ce rôle, le temps a prouvé qu’il était tout simplement irremplaçable. Et c’est sans doute le plus beau compliment que l’on peut lui faire.
Comme chaque année, le A$AP Mob lui rendra hommage avec le Yams Day, qui aura lieu cette nuit (18 janvier) sur le site officiel de l’évènement.