The Notorious B.I.G. : comment s’est construit son mythe

Le quart de siècle qui s'est écoulé depuis sa mort s'est chargé de faire de Biggie une histoire mythique.

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Photo : Chimodu

The Notorious B.I.G. est un cas unique dans l’histoire de la musique. Avec seulement deux albums, il est considéré comme l’un des plus grands rappeurs de tout les temps. Décédé il y a 24 ans aujourd’hui, il est aujourd’hui une légende ancrée dans la postérité depuis aussi longtemps qu’il a été en vie. En si peu de temps, avec si peu de musique, il est pourtant devenue une icône qui dépasse le cadre de la musique. Si cette postérité a été rendue possible grâce à un talent fou, un charisme singulier et un impact retentissant, elle est également le témoignage d’un impressionnant travail autour de son héritage, qu’il soit musical ou plus largement culturel.

Cela n’aura échappé à personne, le 1er mars dernier, un documentaire intitulé Biggie: I Got a Story to Tell est sorti sur Netflix un peu plus d’une semaine avant l’anniversaire de son assassinat. Ce documentaire, produit par la maman de The Notorious B.I.G et son producteur Diddy, est un beau symbole du travail de pérennisation de l’icône qu’est devenue le rappeur new-yorkais.

Une fierté new-yorkaise

Le 7 novembre 2020, The Notorious B.I.G. est intronisé au Rock & Roll Hall of Fame. Une récompense rare pour un artiste hip-hop puisque seul Tupac avant lui, en 2017, avait reçu un tel honneur. À cette occasion, son ami et mentor Diddy prend la parole et déclare notamment : “Personne ne s’est approché de la façon dont Biggie rappe et sonne. Ce soir, nous invitons le plus grand rappeur de tous les temps au Rock & Roll Hall of Fame, le célèbre B.I.G. représentant Brooklyn, New York”. Alors que Biggie est depuis longtemps une figure de la culture pop mondiale, Diddy le présente avant tout comme un représentant de New York, et plus spécifiquement de Brooklyn.

The Notorious B.I.G. représente en effet le rap new-yorkais dans son âge d’or, avant que le Sud ne vienne prendre le pouvoir. Malgré lui, il représente aussi l’opposition Est/Ouest qui a brutalement marqué les nineties. Christopher Wallace était de facto le champion de sa ville, celui qui la représente et la symbolise le mieux. Le fait que New York a depuis perdu de sa domination au sein de la culture hip-hop n’a pu que renforcer cette nostalgie d’une époque où elle dominait outrageusement. Biggie est New York et New York est Biggie, ad vitam æternam.

Quand il est décédé, j’étais tellement dans un sale état. Mon état d’esprit était bousillé à cause de sa mort.

Nas

Cet héritage new-yorkais existe sous de nombreuses formes. Cela passe notamment par les hommages réguliers que lui font sa ville, à l’image de ce qu’ont imaginé les Brooklyn Nets en 2019. La franchise NBA avait en effet créé un maillot un maillot “City Series” en l’honneur de l’artiste et son quartier de Bedford-Stuyvesant. Le maillot avait été dévoilé à l’occasion d’une soirée marquée par une performance de Joey Bada$$, un rappeur new-yorkais qui se revendique beaucoup de Biggie. Les Nets avaient également profité de l’évènement pour dévoiler une fresque murale en hommage au défunt rappeur, qui a été réalisée à la demande de l’artiste local David Hollier. La même année, le corner entre Fulton Street et St. James Place sur Clinton Hill à Brooklyn, où le rappeur a grandi, est devenu une rue à son nom. De quoi ancrer le rappeur pour de bon dans l’histoire de sa ville.

Pour comprendre ce que Biggie représentait pour sa ville en matière de rap, mais surtout le tremblement de terre qu’a représenté sa mort pour la ville, il suffit de demander à Nas. Celui qui était à l’époque l’autre grand artiste solo new-yorkais avait déclaré au sujet du décès de Big : “Biggie et moi étions les plus gros artistes à New York. Quand il est décédé, j’étais tellement dans un sale état. Mon état d’esprit était bousillé à cause de sa mort.

Que ce soit via des hommages en concert en JAY-Z, des maillots NBA, des fresques, des rues à son nom, l’ombre de Biggie plane constamment au dessus de sa ville. Cela tient autant à son impact énorme sur la grosse pomme, que le souhait de cette dernière de perdurer son héritage. Et pour une jeune génération qui n’a pas connu le rappeur de son vivant, cela aide évidemment pour à créer un symbole qui existe au-delà des gens de sa génération et de la musique.

Tupac, un nemesis parfait dans la postérité

Dire que la carrière de The Notorious B.I.G. aurait été radicalement différente sans sa rivalité avec Tupac relève de l’euphémisme. Si ce clash a sensiblement raccourci sa carrière, puisqu’il est vraisemblablement la raison de son assassinat, il est aussi celui qui a fait passer la carrière du rappeur de Brooklyn dans une sphère supérieure médiatiquement et culturellement.

Un temps amis, Tupac et Biggie en sont venus à une opposition que tout le monde connait. Ce que le public réalise sans doute moins, c’est que les deux artistes n’avaient pas la même stature au moment de ce clash. Tupac était déjà de son vivant un personnage qui dépassait le cadre de la musique. Il était, et est toujours, ce que les américains considèrent “bigger than life“. C’est un symbole de culture populaire d’une puissance absolue, qui n’est aujourd’hui dépassé que par Michael Jackson dans la musique. Et lorsque l’on pense Tupac, on pense forcément à Biggie.

Il est évident que cette affiliation a grandement aidé à créer le mythe du rappeur new-yorkais aux yeux du grand public, pas forcément fin connaisseur en matière de rap. S’il n’a rien à lui envier musicalement, Biggie est loin d’être l’icône qu’est Tupac, d’autant plus quand ce dernier rencontre le succès commercial avant lui et meurt avant lui. Le fait que l’histoire les a dès lors irrémédiablement associé renforce le statut de Biggie dans la postérité et la culture populaire. Un statut qui n’aura en plus pas été possible avec seulement deux albums, aussi géniaux soit-ils.

Une carrière posthume très prolifique

Entre la sortie de son premier single “Party and Bullshit” et son assassinat, ce sont écoulés seulement 3 ans et 9 mois. Dans ce laps de temps, il n’est normalement pas possible de construire une carrière légendaire. Mais à défaut d’avoir le temps de façonner une discographie riche, Biggie va sortir avec Ready To Die et Life After Death deux albums considérés comme des sans fautes, des classiques intemporels. Sa carrière posthume est assez nettement différente : elle est très dense, mais loin d’être parfaite. Pour autant, elle a grandement aidé à prolonger sa légende et continuer de créer de l’actualité autour de l’artiste. Avec 5 albums posthumes, un film en 2009, une série sur l’enquête de son meurtre et donc un documentaire Netflix tout récemment, beaucoup de contenus liés à la mort du rappeur ont été créés.

La mort est le meilleur outil marketing de l’industrie musicale. C’est un fait particulièrement triste, mais qui n’en demeure pas moins un fait. The Notorious B.I.G. n’en est pas étranger. En ce sens, la série Les Enquêtes extraordinaires ((Unsolved Mysteries) est très un bon exemple. En effet, un épisode consacré à l’enquête non-résolue des meurtres de Tupac et The Notorious B.I.G. a été réalisé, qui est désormais disponible sur Netflix. Visionné par des millions de personnes, ce type de séries-documentaires n’ont que peu d’égale pour créer des phénomènes en un claquement de doigts. Lorsqu’elles concernent des artistes déjà considérés comme légendes, elles ne peuvent que renforcer ce statut, et surtout faire connaître leur histoire à un public pas forcément initié à la culture hip-hop des années 1990.

Photo : Eric Johnson

Sur le plan musical, la carrière posthume de Christopher Wallace est très prolifique pour un artiste qui aura finalement très peu enregistré. Cela commence quelques mois après sa mort, lorsque Diddy sort son premier album No Way Out sur lequel on retrouve 5 collaborations avec Biggie. Parmi eux, “I’ll Be Missing You” est un morceau hommage à l’artiste défunt sur lequel Diddy, son ex-femme Faith Evans et 112 lui rendent hommage.

Cette pratique de sorties posthumes va se prolonger jusqu’en 2017 avec l’album The King & I composé de morceaux du Notorious et de Faith Evans en duo. Si la qualité globale de toutes ces sorties est évidemment discutable, elle reste un formidable moyen de créer de l’actualité autour d’un nom qui a fait ses preuves. Et même si le public n’est pas client de ces sorties posthumes, voir le nom de Biggie dans l’actualité ne peut que donner envie de retourner écouter ses monuments Ready To Die et Life After Death. Et donc de faire vivre son catalogue musical.

Sortie ce 1er mars sur Netflix, Biggie: I Got a Story to Tell constitue le point d’orgue du travail fait autour de l’héritage de l’interprète de “Juicy”. Support idéal pour le présenter à un public jeune et/ou néophyte, ce documentaire a plus que jamais ramené dans l’actualité un artiste décédé il y a 24 ans. Si Christopher Wallace n’a malheureusement pas eu le temps de raconter l’intégralité de son histoire, le quasi quart de siècle qui s’est écoulé depuis sa mort s’est chargé de faire de Biggie une histoire mythique.