Avec “Mannschaft”, SCH et Freeze Corleone ont signé l’un des clips les plus marquants de 2021. Derrière ce visuel recherché et marquant, on retrouve le réalisateur Grégory Ohrel. Un nom qui compte au sein de la réalisation hexagonale, tant il multiplie les collaborations prestigieuses depuis bientôt 10 ans. De son travail aux côtés d’Orelsan et des Casseurs Flowteurs à ses réalisations pour Booba, Kaaris ou la star de la pop française Jain, Grégory Ohrel est un créateur incontournable.
Quelques semaines après la sortie du clip réunissant SCH et Freeze Corleone, Grégory Ohrel revient pour nous sur son parcours et les souvenirs qui en découlent.
Comment s’est passée la connexion entre toi et SCH ?
J’avais déjà rencontré le S peu avant la sortie du premier JVLIVS. On avait fait une écoute en avant-première de l’album. Je me rappelle que le son “Otto” m’avait vraiment plu dès la première écoute. Mais finalement, on avait pas réussi à travailler ensemble, je ne sais plus vraiment pourquoi. J’ai continué de suivre son impressionnante carrière et lorsqu’on m’a contacté pour JVLIVS II, je me suis dit que c’était une occasion à ne pas manquer.
Quelle impression t’a fait “Mannschaft” à la première écoute ?
J’ai reçu le son peu de temps avant la sortie de l’album, pour pouvoir travailler sur l’écriture du clip. Je me rappelle m’être dit 2 choses : si tout l’ album était aussi fort et puissant que ce son, ça allait être un incroyable succès. Succès confirmé depuis, à la vue des ventes et des streams. Je me suis également dit que c’était génial de collaborer avec Freeze, qui a un univers à la fois très différent et connecté à celui du S.
S’il s’en donne les moyens, SCH peut vraiment avoir du succès dans l’acting.
Grégory Ohrel
Qui a eu l’idée du clip ? Peux-tu nous décrire la manière dont s’est déroulée la conception et l’écriture du clip ? L’artiste était-il impliqué dans l’élaboration du scénario depuis le départ ? Y-a-t-il eu des étapes de validation ?
C’est moi qui ai écrit le clip. Je ne sais pas pour les autres réalisateurs, mais je pense que cela se passe la plupart du temps comme ça : on écrit un script qu’on illustre avec des images, puis on le transmet à l’artiste. De son côté, il reçoit plusieurs propositions et il tranche pour celle qu’il préfère. Une fois le projet “gagné”, il y a des échanges avec le label, certaines scènes qu’ils valident ou non, quelques modifications. C’est un processus qui va parfois de l’écriture jusqu’au montage. En règle générale, c’est un jeu de compromis entre la vision du réalisateur et celle de l’artiste.
Comment s’est déroulé le tournage ? SCH donne l’impression d’avoir une certaine aisance face à la caméra ? Qu’as-tu pensé de Freeze Corleone ?
Le tournage fut extrêmement intense, avec deux très grosses journées de shoot. Mais vu que le défi était de tourner presque deux clips en un, avec les deux côtés de l’image qui montrent des réalités différentes, on savait que ce serait un tournage difficile. Mais c’est ce genre de défi qui rendent les projets intéressants. SCH est extrêmement à l’aise avec la caméra, surtout lorsqu’il est dans son rôle. Plus tard, je le vois bien jouer des rôles dans des séries ou au cinéma. Et pas forcément de mafieux ou autre, je pense qu’il a un panel plus large. S’il s’en donne les moyens, il peut vraiment avoir du succès dans l’acting. De son côté, Freeze est beaucoup plus dans une posture liée à son personnage mystérieux, avec sa cagoule et ses attitudes plus minimalistes. Il est extrêmement intéressant à filmer malgré tout, offrant un aspect vraiment intéressant de par sa gestuelle et sa nonchalance.
Tu as également travaillé avec Orelsan, notamment sur les visuels de La Fête est Finie. Que retiens-tu de cette expérience ? Comment s’est passée la collaboration avec lui sur les clips de “Basique” et “Tout va bien” ?
C’était une incroyable expérience d’autant qu’Orel’ est très impliqué dans tous les processus de création. Il donne de la liberté, mais il sait également où il veut aller. C’est quelqu’un de très intéressant et de très intelligent. Avec lui, c’est principalement du ping-pong d’idées en étapes de création. Il est capable de ressortir une idée dont on a parlé un an auparavant et de s’en rappeler parfaitement. La pochette, lui en Ninja dans le métro, c’était une idée de court-métrage dont je lui avais parlé à l’époque du tournage de “Des Histoires à Raconter.” C’est Orel’ qui s’en est rappelé et a qui eu l’idée d’utiliser ce concept comme cover d’album.
Est-ce que tu t’attendais à un tel carton pour le clip de “Basique” ? D’où t’es venue l’idée de cette mise en scène super spectaculaire ?
C’est justement l’inverse du spectaculaire que nous cherchions ! On voulait quelque chose de simple pour coller au son. L’aspect spectaculaire s’est greffé progressivement, puisqu’on a fini par se dire que ce qui était basique ne l’était pas forcément. Orel’ et Skread savaient que le son était un banger, ils savaient que c’était avec ce son qu’ils devaient revenir et ils ont eu parfaitement raison !
Orelsan est quelqu’un de très intéressant et de très intelligent. Il donne de la liberté, mais il sait également où il veut aller.
Grégory Ohrel
Votre collaboration remonte à un peu plus loin, époque Casseurs Flowteurs. Quel souvenir gardes-tu de ton travail avec Orelsan et Gringe ? Vous avez réussi à créer une esthétique à part entière, vraiment très forte : comment est-ce que l’on construit ça ?
L’esthétique est venue naturellement, étant premièrement liée au film Comment c’est Loin, et aussi de part ce que Gringe et Orel’ dégagent naturellement. Sur les 2 clips, nous avons juste adapté nos images à leur personnalité, à ce que leurs âmes évoquent, sans vouloir rentrer trop dans les termes pompeux (rires). Pour “Des Histoires à Raconter”, l’idée de GIF en boucle infini évoquait parfaitement la redondance du quotidien. Pour “Inachevés”, les avoir couché durant tout le clip, portés par les autres, évoquait à la fois cette flemme monumentale, mais aussi et surtout, cette notion de se laisser emporter par le temps, par la vie.
Tu as également collaboré avec Booba sur le clip de « Jimmy » et avec Kaaris sur « Or Noir » la même année en 2013. C’était la première fois que tu bossais avec des artistes d’une telle envergure ? Si oui, comment as-tu réussi à gérer la pression et à répondre à leurs attentes ?
Justement, le fait que Booba, pris à Miami, n’apparaisse pas dans “Jimmy” c’était une pression en moins. Ça m’a permis de réaliser le clip avec beaucoup plus de liberté. Vu le succès du clip, c’était plus facile d’enchaîner ensuite avec Kaaris.La confiance était là et travailler avec l’artiste sur le plateau n’était plus si difficile. Ça s’est donc parfaitement goupillé, pas à pas, de difficultés en difficultés.
À quel moment t’es tu mis à faire des clips ?
Avec mon co-réal’ de l’époque, Lio, on a commencé il y a près de 10 ans maintenant. Je commence à me faire vieux (rires). À l’époque, on avait fait un clip non-officiel pour Booba x Yuksek sur le son “Salade-Tomate-Oignon”, tourné avec nos propres moyens pour nous faire remarquer. Ça a plutôt bien marché.
Selon toi, comment un réalisateur s’adapte à l’univers d’un gros artiste ?
Pour moi, cela coule de source. Un artiste s’exprime à travers ses sons. Et ce sont ces sons que nous illustrons en tant que réalisateur. Il est donc logique que ce que nous écrivons pour un titre colle à la vision de l’interprète. Je vois tout cela de façon extrêmement fluide et cohérente. Si un clip colle avec ce qu’évoque une chanson, cela correspondra obligatoirement avec l’univers de l’artiste qui a écrit cette même chanson. En tout cas, c’est ma façon de procéder. J’écris pour un morceau, pour une ambiance musicale, pas pour un artiste. Cela lui correspondra naturellement après, si on a tous bien fait notre travail.
Est-ce que tu refuses souvent des projets ?
Malheureusement, je n’ai pas le choix. J’ai beaucoup de travail, notamment en pub, et je préfère faire un projet et tout donner dessus plutôt que d’en faire trois en même temps, mais mal par manque de temps et d’investissement personnel. Selon moi, il vaut mieux refuser que de mal faire les choses et donc manquer de respect à l’artiste en lui signant un projet visuel décevant.
De nos jours, tout passe par l’image.
Grégory Ohrel
Tu réalises également des pubs. Quelle différences notables vois-tu dans l’approche créative entre un spot pub et un clip musical ?
Ce sont deux mondes extrêmement différents. Les budgets pub sont plus élevés et permettent donc de s’amuser avec plus de matériel, plus de plans compliqués… Par contre, il y a un produit à vendre et une agence de pub qui veille à ce que ce produit soit bien mis en avant. L’aspect créatif est donc réduit en comparaison avec un clip. C’est pourquoi j’aime alterner les deux.
Crains-tu que la crise sanitaire entraîne une baisse des budgets alloués à la production vidéo ? Que l’image soit reléguée au second plan pour faire des économies ?
Non. Les artistes et les marques auront toujours besoin de visuels pour vendre. De nos jours, tout passe par l’image.
Quelle est ta meilleure anecdote de tournage ?
Je pourrais écrire un livre avec toutes les histoires et anecdotes de tournage. Il faudrait d’ailleurs que je m’y mette, avant que je ne commence à en oublier ! Je pourrais en citer une du tournage de “Tout va bien” avec Orelsan. Il y a une scène avec l’enfant qui conduit une voiture de police à la fin du clip, dans les rues de la ville. Sauf qu’au dernier moment, le système de caméra qui devait permettre à un conducteur pro de “piloter” la voiture en étant caché dans le coffre de celle-ci ne fonctionnait plus. Il ne voyait donc plus rien et ne pouvait pas piloter. La solution trouvée a donc été de garder le coffre ouvert et d’avoir ce pilote qui conduisait la voiture en visuel direct, en se penchant du coffre. Les autres conducteurs sur la route étaient en hallucination totale de voir ce gamin qui conduit une voiture de police avec à l’arrière dans le coffre ouvert un pilote avec une télécommande. La scène était extrêmement étrange visuellement. Ensuite, nous avons bien évidemment dû effacer en post production le pilote qui dépassait du coffre, mais ça ne se voit pas donc tout va bien !
Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui aimerait se lancer dans ce milieu ?
Prenez votre courage à deux mains, soyez patient, motivé, mais aussi et surtout, toujours ambitieux. Et ne cherchez pas à copier un tel ou tel : faites ce que VOUS trouvez mortel. Ouvrez votre propre voie, votre propre style.
Le travail de Grégory Ohrel est à retrouver sur son compte Instagram.