L’art de la collaboration a dominé la Paris Fashion Week

De Dior x Cactus Jack à Louis Vuitton x Nike.

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Photo : Brett Lloyd

En juin 2017, Supreme et Louis Vuitton dévoilaient lors de la Fashion Week de Paris une collaboration historique qui unissait streetwear et haute couture. Depuis, des connexions moins populaires mais tout aussi importantes (le set design de Daniel Arsham, la joaillerie pour Dior de Yoon Ambush, les accessoires de Matthew M. Williams…) ont prolongé cette tendance. Quatre ans plus tard, le refrain n’est pas si différent tant les unions entre ces deux univers stylistiques ont animé ce nouveau rendez-vous de la mode parisienne.

Précisément, ce sont les deux marques les plus importantes de l’évènement qui ont donné la couleur. Louis Vuitton et Dior, les fers de lance de la couture française, ont tous les deux placé une collaboration historique et résolument moderne au centre de leur défilé. Si la décision est très ambitieuse, elle n’est pas si surprenante pour leurs directeurs créatifs respectifs. Virgil Abloh et Kim Jones sont passés maîtres dans l’art de réunir des univers parfois très distincts.

Bootleg et sampling pour Virgil Abloh

Louis Vuitton a présenté ce jeudi 24 juin sa collection Printemps/Été 2022, qui s’accompagne du clip Amen Break. Ce dernier s’inspire librement de l’histoire du rappeur de Chicago Lupe Fiasco, qui est également un ami de longue date de Kanye West. «  Déterminé à offrir une autre issue aux jeunes de la région, le père de Fiasco – un batteur africain et membre du parti des Black Panthers – organise des cours d’arts martiaux comme voie alternative. En utilisant les valeurs philosophiques des arts martiaux comme solution au problème, Fiasco a eu un impact sur une génération d’enfants, diffusant des idées de paix, de compréhension et d’autonomie  » La maison française présente ainsi ce court-métrage accompagnant sa collection.

Ce choix fort du leader créatif de la maison française montre son profond attachement au hip-hop et à ses racines culturelles. Loin d’être un nom retentissant pour le jeune public et une grosse partie des consommateurs de la marque, Lupe Fiasco est pourtant une partie intégrante de ce nouveau défilé. Dès lors, le ton est donné tant Abloh donne de sa personne et de ses références dans la narration de ses créations.

https://www.youtube.com/watch?v=6M8ECbc3RIM&ab_channel=LouisVuitton

J’ai le sentiment d’écrire un livre avec ces collections. C’est une logique continue qui traite de diversité et de design. Et maintenant, c’est en accord avec mes véritables pensées sur la culture.” a expliqué Abloh à Vogue. Comme souvent avec le créateur, le résultat génère sur les réseaux sociaux des opinions radicalement opposés, allant globalement de “fraude” à “génie“. Qu’importe finalement, tant le résultat est totalement en adéquation avec sa vision. Deux collaborations en sont le symbole.

La première, c’est évidemment ces 21 coloris de Nike Air Force 1 que le designer a révélé aux pieds de ses mannequins. Lorsqu’il fait s’unir l’icône absolue de la culture sneakers à la marque de haute couture la plus populaire de 2020, il continue d’explorer l’univers des collaborations footwear, qu’il a lui-même amenées à un tout autre niveau avec “The Ten” en 2017. Rapidement devenues “The 20”, puis désormais “The 50” avec ses Dunk Low, Abloh challenge constamment son héritage en cherchant à faire toujours plus exorbitant. La preuve avec Louis Vuitton x Nike.

Également, il a le mérite de faire davantage rentrer la culture du bootleg (donc de l’objet contrefait, hybride) dans l’univers luxueux de Louis Vuitton. En effet, ses Air Force 1 sont l’héritage direct des créations illégales de Dapper Dan dans les années 80, lorsque cette légende d’Harlem apposait lui-même le monogramme Vuitton sur le swoosh de la fameuse chaussure blanche. “Ce que l’on a fait hier, ils le font aujourd’hui” a écrit en réaction le designer sur son compte Instagram.

Bootleg de Nike Air Force 1 x Louis Vuitton par Dapper Dan

La seconde collaboration, davantage symbolique, est l’utilisation du sampling, soit ici la création d’un nouveau design à partir d’anciennes références. Elle permet à Abloh de ne plus avoir à décider entre tracksuits et tailoring. Devenue pratiquement incontournable sur les podiums, l’alternance entre survêtements et costume deux pièces est le reflet de l’équilibre rêvé entre haute couture et streetwear de nombreuses marques. Très au fait de cette dualité, Abloh choisit donc de ne plus choisir sur certaines pièces en juxtaposant vestes de costumes et de survêtements. Exactement comme avec ses Air Force 1, la grande force de Virgil Abloh est celle d’être en maîtrise totale de l’histoire qu’il raconte, les codes qu’il utilise et les univers qu’il mélange. Au point de prendre le pas sur les produits vendus.

Plus que génie du design, le fondateur d’Off-White confirme avec sa sixième collection pour Louis Vuitton qu’il n’est jamais aussi fort que pour faire dialoguer l’entre-soi de la haute couture, la hype et la street culture.

Le tour de force de Kim Jones et Travis Scott

À l’image de son ami Virgil Abloh, Kim Jones en connaît un rayon en matière de collaborations historiques. En 2017, c’est bien lui qui était à la tête de Louis Vuitton lorsque la marque française collaborait avec Supreme. Cette fois, il repousse une nouvelle barrière en co-signant la première collection de l’histoire de Dior réalisée en totale collaboration avec un artiste musical. L’heureux élu n’est autre que le nouveau roi de la hype, en la personne de Travis Scott. Véritable machine à collaborer, le rappeur s’offre ici l’union la plus prestigieuse de sa carrière. Un privilège que même son mentor Kanye West n’a jamais obtenu puisque sa collaboration avec Louis Vuitton se limitait à des sneakers en éditions très limitées.

Malgré les apparences, la collection Printemps/Été 2022 de la marque française mise avant tout sur l’héritage et le savoir-faire. Elle revisite en effet la ligne Arrow qu’avait lancé Christian Dior pour la saison Printemps/Été 1956, mais s’inspire également d’un voyage du créateur en 1947 dans le Texas. Travis Scott étant lui-même natif de Houston, la collection et sa scénographie prennent un tournant résolument américain. Mélangeant les paysages du sud-ouest américain avec la romance du jardin de rose d’enfance de Christian Dior, ce décor est à lui seul une collaboration réussie. Que ce soit via la présence du marron indispensable de Travis Scott, son branding Cactus Jack, son bel hommage à Pop Smoke ou encore l’ambiance globale de l’évènement, l’artiste américain a su poser son empreinte sur cette collection Printemps/Été 2022. Pour Kim Jones, il ne s’agissait donc pas simplement de vendre la présence du rappeur le plus bankable au monde pour convaincre, mais bien de le faire rentrer dans l’univers Dior.

Après Kaws et Hajime Sorayama pour le Pre-Fall 2019, Raymond Pettibon pour l’Automne/Hiver 2019 ou encore Daniel Arsham et Peter Doig, Kim Jones confirme sa maîtrise absolue des collaborations. Également, qu’il a réussi à insuffler ce bouillonnement collaboratif au sein de Dior. En réussissant à faire cohabiter l’héritage de la maison de luxe avec la fougue et le modernisme de l’univers du rappeur texan, il réalise l’un des plus beaux accomplissements de sa carrière et a su attirer toute la lumière de cette Paris Fashion Week Printemps/Été 2022.

Sur un plan plus stratégique, il est évident que Kim Jones et Dior ont encore franchi un palier dans leur quête de séduction de la génération Z via cette collaboration. Le faire sans choquer ni remettre en question presque un siècle de mode est assurément la plus belle victoire de cette semaine de la mode. Que ce soit pour lui ou Abloh, la recette de la réussite lors de cette semaine parisienne de la mode aura été une collaboration dont l’impact dépasse le cadre traditionnel de l’évènement. Un parti pris qui pourrait bien devenir incontournable.

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