Le rendez-vous est fixé à 11 heures. Non loin du Bois de Vincennes, le MMA Factory se dresse le long du boulevard des Maréchaux. C’est ici que nous allons passer une partie de la journée, afin de suivre au plus près la préparation d’Alan Baudot. Ce samedi 17 juillet, le poids lourd français fait son grand retour à l’UFC, où il affrontera le brésilien Rodrigo Nascimento Ferreira. Proche et sparring-partner de la star du MMA français Cyril Gane, Alan Baudot nourrit lui aussi de très grandes ambitions. Rencontre.
“C’est les risques du métier” balance Alan à son entraîneur après lui avoir démonté l’épaule. Pour un néophyte, la scène peut paraître violente. Pour les habitués du MMA Factory, elle est quotidienne. Au-dessus de nous, un ventilateur brasse de l’air chaud et “Morose” de Damso résonne dans les enceintes. C’est dans cet environnement moite, étouffant, qu’Alan Baudot prépare le combat le plus important de sa carrière. En plein entraînement, il émerge au milieu d’une foule de combattants et vient nous saluer. La stature du poids lourd français en impose, lui qui se présente avec le sourire aux lèvres. Si le bonhomme se veut posé, il affirme très vite que “le lion est en cage.” Le samedi 17 juillet, il affrontera le Brésilien Rodrigo Nascimento Ferreira à Las Vegas, dans le cadre de l’UFC Fight Night en carte préliminaire de l’attendu combat opposant Islam Makhachev à Thiago Moisès.
Faire pleuvoir les coups
À peine ces présentations d’usage effectuées, Alan reprend place dans l’arène. Il fait alors face à Benjamin Sarfati, à la fois coach et gérant du MMA Factory. Le corps trapu, le crane chauve et l’œil vif, Benjamin dégage une autorité naturelle. Il enfile ses protections, les hostilités peuvent commencer. Alan enchaîne les coups, sous les encouragements de la personne qui les encaissent. Dans un échange constant avec son entraîneur, il fait étalage de sa technique : judo, lutte, muay-thaï… La démonstration est totale. Malgré l’intensité d’un effort qui captive la salle entière, le colosse français garde le sourire. Cela ne fait plus de doutes : Alan est prêt.
“Magnifique” le félicite Benjamin Sarfati en fin de training, juste avant qu’Alan ne file prendre sa douche. Alan nous emmène dans un square et s’assoit en tailleur sur l’herbe. En quelques minutes, l’adrénaline de l’entraînement est retombée. C’est un homme apaisé qui entame la conversation sous un soleil de plomb. “J’ai envie d’aller à la bagarre et de montrer la nouvelle version d’Alan, surtout sur le plan physique” explique le combattant. Le Français a en effet axé sa préparation sur le cardio et la vitesse, sans pour autant négliger la technique. Surtout, il avoue être beaucoup mieux préparé mentalement que pour ses grands débuts à l’UFC en octobre dernier.
Appelé en dernière minute, il s’était alors incliné face au Britannique Tom Aspinall. “J’accompagnais Cyril Gane pour un combat à Abu Dhabi, comme j’étais son partenaire d’entraînement. Un gars est testé positif à la covid-19 sur une carte qui avait lieu une semaine avant le combat de Cyril et ils avaient besoin d’un poids lourd” se rappelle Alan. “Je voyageais avec Cyril. On arrive à Roissy et je reçois un message de mon entraîneur, qui me dit : “Fiston, tu es à l’UFC.” On est à cinq jours du combat, ça fait trois mois que je ne me suis pas entraîné, mais je ne peux pas refuser.” Pendant le combat, il confie n’avoir ressenti aucune peur. Au contraire, Alan vit ça avec un certain relâchement, “comme dans un rêve.” La défaite importe peu, le Black Samuraï se tourne vers les prochaines échéances.
“Je n’avais pas pleinement réalisé les enjeux” reconnaît-il avec le recul. Pour préparer ce nouveau rendez-vous face au Brésilien Nascimento Ferreira, il travaille avec deux entraîneurs, un préparateur physique, un préparateur mental et des sparring partners. “Un combat comme celui-ci, c’est trois mois de préparation” annonce Alan. Une fois l’adversaire connu, son staff met en place la stratégie. Les axes d’entraînement, la préparation physique et le travail mental fonctionnent alors comme un tout, où les gains sont visibles à moyen et long-terme. Le MMA fait l’éloge de la patience. Rien de gênant pour cet éternel ambitieux, au parcours de vie unique.
Comté et boîte de nuit
Originaire des pentes de la Croix-Rousse à Lyon, Alan connait une enfance tranquille. À 12 ans, sa mère et son beau-père décident de quitter la ville pour s’installer à la campagne, du côté de Besançon. “J’ai grandi parmi les vaches et les paysans, j’étais le seul renoi du coin” se rappelle Alan, qui garde un excellent souvenir de ces jeunes années. C’est à Besançon qu’il débute le judo, ses premières sensations aux sports de combat. Parallèlement, il joue au rugby en Fédérale 2 (4ᵉ division) et s’essaie à la boxe pieds-poings.
La vie franc-comtoise lui convient, mais Alan aspire à plus : “Depuis tout jeune, j’étais le mec un peu différent. Mes potes voulaient avoir le boulot, la copine, se marier, faire des enfants, acheter la maison. De mon côté, je voulais être mon propre patron, dépenser ma thune et voyager.” Passionné par la culture nippone, il prend les devants et décide de partir au Japon. Suiveur de l’UFC depuis la France, rien ne le destine alors à une carrière dans le combat. À cet instant, Alan souhaite gaver les Japonais branchés de Comté.
“Avec un pote, on voulait ouvrir une épicerie fine à Tokyo pour vendre des produits de Franche-Comté. On arrive là-bas des rêves plein la tête, on avait rien mis de côté, on n’avait aucune formation en commerce international” explique Alan. Une fois sur place, les deux amis déchantent. Lancer un business au Japon en tant qu’expatrié relève du parcours du combattant et le projet des deux rêveurs doubiens s’écroule. Soucieux de se défouler, le Lyonnais pénètre un peu par hasard dans la salle de Hayato Sakurai, légende du MMA japonais. “On m’a directement demandé si je voulais faire un combat professionnel et j’ai voulu porter mes couilles” se remémore-t-il avec nostalgie. Il se passe trois mois entre ses premiers pas en MMA et son premier combat. Une victoire et 100 euros en poche plus tard, Alan rentre au bercail.
Deux semaines plus tard, Hayato Sakurai lui paie le billet d’avion pour revenir au pays du soleil levant. Pour Alan, ce sera le combat. Cette fois seul, ce choix de vie ne gâche pas son amitié avec son associé, bien au contraire. “Il a compris le feeling que j’avais avec le MMA. Tout au long de ma vie, des gens m’ont poussé. Mais il y aussi des gens qui m’ont dit que je rêvais, que je n’y arriverai pas. C’est ce qui m’a poussé à toujours repousser mes limites.” Il touchera 600 euros pour sa première ceinture mondiale. Le MMA ne lui permettant pas de vivre, le Français bosse en tant que videur dans le bouillonnant quartier de Roppongi à Tokyo.
Le rêve américain
À partir de là, la vie d’Alan sera marquée par la bourlingue. “Avoir un spot à l’UFC est complexe. Il faut que tu gardes le meilleur record possible” confie-t-il. “Si tu commences à être à 5-0 ou 6-0, tu commences à être dans les radars de l’UFC. Il faut essayer de choper une ceinture mondiale dans une organisation mineure pour que les organisations majeures te repèrent.” Passé de 140 à 93 kilos durant son exil japonais, Alan arrive en France avec un bilan de six victoires pour zéro défaite. De retour dans ses pâturages bisotins, il se met à chercher un club de MMA. Considéré comme la référence en France, le MMA Factory s’impose comme une évidence.
Chaleureusement accueilli par Fernand Lopez, le Gone reprend vite la route. Il reçoit en effet une proposition pour combattre en Afrique du Sud, afin de décrocher un autre titre mondial. “Si tu gagnes ce combat, je fais en sorte que tu aies ton ticket pour entrer à l’UFC” lui glisse Fernand avant son départ. Transpercé par un lucky shot de son adversaire au premier round, Alan perd le combat sur KO et dit adieu à son record immaculé. Suivront un combat victorieux au Japon et une défaite au Canada. “Je reviens à Paris et je reprends l’entraînement” se souvient Alan. “Et là, d’un coup, le résultat du test anti-dopage du combat au Canada tombe et on découvre que mon adversaire était chargé. Je récupère la victoire.” Là encore, le destin fait son œuvre. Quelques mois plus tard, il fera ses grands débuts à l’UFC.
“J’ai vu mon meilleur pote pleurer, mes proches n’y croyaient pas” souffle-t-il avec émotion. Pour n’importe quel combattant français, arriver en UFC est l’aboutissement d’années de sacrifices et de travail, dans la cage et en dehors. En parallèle de sa carrière, Alan Baudot enchaîne ainsi les petits boulots en boîte de nuit, en maçonnerie ou encore en cuisine. “En maçonnerie, je disais à mon patron que je ne voulais qu’une chose : le rêve américain. Je n’allais pas m’amuser à monter des trucs toute ma vie, ce qui m’intéressait, c’est la bagarre.”
Combattre à tout prix
Concilier MMA et vie de famille est loin d’être facile. “Sur les combattants français, tu dois en avoir moins de 5% qui arrivent à vivre du MMA” explique ce père de deux enfants de quatre et cinq ans. Une carrière de combattant est synonyme de sacrifices, aussi bien humains que financiers : “Je me suis endetté pour le sport. Si tu veux percer, tu es obligé de sacrifier le boulot qui te ramène à manger. Il y a un moment où tu dois accepter de te mettre au chômage ou au RSA, essayer de vivre avec le minimum et te tuer à l’entraînement en espérant que ça pète.” Dévoué à son art et porté par sa force intérieur, Alan n’a donc pas suivi le chemin des milliers de combattants contraints d’arrêter le MMA à cause de leurs dettes.
Aujourd’hui, il multiplie les coachings donnés à la MMA Factory. D’ici à la fin d’année, il espère toutefois vivre uniquement de l’UFC. “Pour l’État français, je n’ai pas le statut de sportif de haut niveau. Je touche simplement des salaires de prestation de la part d’une entreprise américaine. En terme d’assurance, j’ai celles de l’UFC qui me couvrent quand je combats chez eux. Quand je me suis cassé une côte et que je ne pouvais plus faire de coaching, c’est madame qui a assuré derrière.” Représentant du drapeau tricolore dans une ligue majeure reconnue mondialement, Alan Baudot ne peut pourtant compter que sur lui-même. La situation du MMA en France étant ce qu’elle est, il ne bénéficie pas non plus de l’appui d’une fédération.
Si le chemin est encore long, les choses prennent la bonne direction. L’organisation de combats MMA a été autorisée sur le sol français il y a quelques mois, une aubaine pour attirer des sponsors, très rares jusqu’ici, nécessaires au développement de la discipline. Partenaires de plusieurs marques françaises, Alan est un témoin privilégié de l’évolution du rapport de force entre les athlètes et les annonceurs. “Avant, les marques allaient toujours vers des acteurs, des chanteurs, des profils classiques. Maintenant, les sportifs sont les nouvelles rockstars. Vu l’évolution que l’UFC a amené dans le monde du MMA, les décideurs ne sont pas stupides et savent que c’est l’avenir en termes de marketing” décrypte-t-il.
Côté UFC, le bien être financier des combattants n’est en tout cas pas une priorité : “Ils s’en foutent. C’est une entreprise, il faut que ça tourne. Ils nous payent pour la prestation qu’on donne, mais que tu vives dans un F3 ou dans un château, ce n’est pas un problème pour eux.” Bien loin de l’opulence dégoulinante d’un Conor McGregor, Alan Baudot préfère donc œuvrer pour garantir un avenir serein aux jeunes pousses du MMA français. Il nous parle ainsi de son entraîneur, également promoteur, qui va bientôt mettre en place un système pour embaucher les combattants et transformer leurs gains de combats en salaires mensualisés, afin d’avoir des rentrées d’argent tout au long de l’année, même en cas de blessure ou d’absence de combats.
La gloire à portée de bras
Toujours aussi affable, même lorsqu’il évoque les difficultés structurelles de son sport, Alan Baudot avoue qu’il a désormais les yeux rivés vers Las Vegas. Et il n’est pas du genre à cacher ses ambitions, bien au contraire : “J’ai toujours kiffé la gloire. Je veux marquer l’histoire et faire en sorte que le jour où je meurs, les gens se souviennent de moi et que je laisse un héritage.” Pour cela, le Lyonnais sait qu’il va non seulement falloir enchaîner les triomphes, mais aussi faire le show. Tel un gladiateur, il lui faut entrer dans le cœur du public. Une mission qui va de pair avec son style de combat, Baudot étant considéré comme un action fighter : “C’est quelqu’un qui fait en sorte de donner du show et que les gens kiffent. Je vais à la bagarre.”
S’il ne se considère pas comme calculateur hors de la cage, il est conscient que sa personnalité dans l’octogone peut aider sa carrière : “J’ai envie d’être bankable aux yeux de l’UFC. Quand tu vois un combattant, qui n’est peut-être pas le plus fort, qui donne tout et qui transmet quelque chose dans la cage, ça change tout. C’est ce qui fait la différence dans le sport business.” Alors qu’on discute avec lui depuis plus d’une heure, on ne résiste pas à l’interroger sur le sourire que son visage arbore dans la cage. “Je souris tout le temps, c’est ma nature” répond Alan. “Je m’entraîne deux fois par jour pendant des mois. Si je commence à y aller à reculons ou en faisant la gueule, c’est compliqué. Je ne vais pas le faire longtemps.”
Ce sourire, Alan le gardera-t-il face à Rodrigo Nascimento Ferreira, lorsque la cloche retentira dans la nuit blanche de Vegas ? “Au niveau de mon visage, il y aura des moments où je vais être fermé, mais je vais toujours sourire intérieurement” annonce le Black Samuraï, heureux de partager sa passion avec ses proches et avec le public : “Le plus dur de mon travail, c’est quand je viens me préparer. Le combat du 17 juillet, c’est une récompense, un cadeau. C’est le moment où tu viens pour kiffer, où tu te lâches.” Notre entretien touchant à sa fin, il est temps pour lui de repartir à la MMA Factory. Nous l’avons mis en retard. En début d’après-midi, il a un coaching à donner, et pas à n’importe qui. Sa compagne l’attend en effet devant le club. En la voyant s’impatienter, Alan Baudot lui adressera un autre sourire, probablement le plus sincère de la matinée.
Le combat d’Alan Baudot sera visible en direct sur RMC Sport dans la nuit de samedi à dimanche.
Photos : Alexandre Mouchet (@alex_mouchet) et Tony Raveloarison (@tony.r3)
Texte : Julien Perocheau (@julienperocheau)
Production : Julien Bihan (@julienbihan)