Summer Walker, icône hors normes

En seulement trois ans, elle est passée de chanteuse undergroud à artiste internationale.

summer walker portrait

En seulement trois ans, Summer Walker est passée de chanteuse undergroud à artiste internationale. Avec sa musique décomplexée et cathartique, elle donne un nouveau souffle au r’n’b féminin. 

En 2019, Summer Walker sort Over It, son premier album, et détrône « Queen B » dans les charts. Pour son retour, l’artiste s’offre un record plus saisissant encore: Still Over It est le premier album d’une artiste féminine de r’n’b à figurer en tête du classement Billboard 200 depuis 2016.  Une petite consécration pour la chanteuse originaire d’Atlanta, dont la carrière a connu une ascension fulgurante. Elle capte la lumière pour la première fois il y a trois ans avec Last Day of Summer, une mixtape qui ouvre les portes de son univers complexe voire cryptique.

En plus de la musique, Summer Marjani Walker se passionne pour les théories conspirationnistes, se complait dans le yoga et la méditation hindoue. Par son écriture qui joue sur des émotions intemporelles, elle rassure ceux qu’affligent la douleur de la rupture et la désillusion, montre comment y faire face. « Ma musique est réelle, elle évoque des situations réelles et vous vivez probablement ce dont je parle. » Elle  transpire l’authenticité. 

Un parcours qui détonne

Sur la chaîne YouTube portant le nom de « Punani96Tsunami », des vidéos datées d’il y a sept ans montrent une jeune femme s’initier à la musique. La jeune pousse se met en scène dans le modeste décor de sa chambre, composé d’un synthétiseur et d’un mur vert anis en arrière-plan. Sur l’une des vidéos, le micro trône sur un pied de fortune, bricolé avec un vase, un livre et un verre en plastique. Elle y interprète “It’s Getting Late”, une cover remixée du duo Floetry, qui se distingue au début des années 2000 par sa musique poétique. Avec ces premiers jets, la petite audience de Summer Walker découvre son groove r’n’b. Biberonnée à Amy Winehouse, Jazmine Sullivan ou encore Erykah Badu, elle révèle ses talents dans le secret. Elle confiera plus tard qu’« aucun de [ses] camarades de classe ne savait [qu’elle] faisait de la musique ». Accompagnée de sa guitare, qu’elle apprend à jouer en autodidacte, la chanteuse poli son grain sirupeux, prend du galon et s’affirme à mesure des vidéos. 

 Elle est arrivée avec des tatouages sur le visage, une guitare à la main et son histoire de strip-teaseuse la nuit et femme de ménage le jour. 

Sean Famoso McNichol, co-fondateur du label Love Renaissance

Ces vestiges, Summer Walker ne veut pas les effacer, ils sont sa fierté. Elle les évoque avec nostalgie lorsqu’elle déroule ses souvenirs par vagues, où se mélangent les instants magiques et les autres. Avant d’exhiber sa silhouette moulée dans des clips aux millions de vues, Summer Walker fait parade de son corps la nuit, dans un club de strip-tease d’Atlanta. Le jour, elle se tue à la tâche, fait du nettoyage chez des particuliers en échange de quelques sous. Sur un compte Instagram dédié, @summersoclean, divers services sont proposés: 25$ pour laver un réfrigérateur, 100$ pour ranger un dressing… Juste ce qu’il faut pour vivre. 

C’est cette trajectoire atypique qui séduit le label Love Renaissance (LVRN), lorsqu’il signe la chanteuse en 2018. « Elle est arrivée avec des tatouages sur le visage, une guitare à la main et son histoire de strip-teaseuse la nuit et femme de ménage le jour. » se souvient Sean Famoso McNichol, co-fondateur de LVRN. À l’époque, le label compte dans ses rangs 6LACK, et trouve en Summer Walker son pendant féminin. Il magnifie un dark r’n’b profondément introspectif aussi bien qu’elle puise dans ses émotions et ses émois pour se dévoiler.

En octobre 2018, sa première mixtape Last Day of Summer prend la forme d’un recueil d’élégies intimes. Le morceau inaugural, “BP”, est d’ailleurs celui qui la définit le plus : « Il donne une assez bonne idée de moi et de ce que je ressens en général », résume Summer Walker. Dans cette ébauche, la chanteuse pose sa voix sur une musique lascive, découpée par le producteur Arsenio Archer. Sur huit des douze pistes que composent le projet, il donne à ses instrumentales une substance sensuelle, douce et émoussée. Un type de r’n’b qui a le vent en poupe grâce à l’essaim d’artistes provenant de la scène canadienne : Drake, The Weeknd, PartyNextDoor, le binôme dvsn ou encore Bryson Tiller. 

Le morceau “Girls Need Love” envoûte Drake lorsqu’il découvre fortuitement le clip dans une salle de bowling. Summer Walker y assume ses désirs et se décomplexe, comme le fait Drizzy dans ses chansons. Le rappeur aime le titre mais veut le sublimer de sa voix. Il contacte la chanteuse en herbes sur Instagram, greffe un couplet au morceau et enregistre le remix. « Nous l’avons fait par DM », confiera plus tard Summer Walker. Même avec Drake, le processus créatif reste inchangé : « J’apprécie ma solitude et je n’aime pas être entourée quand je fais ma musique. » Adoubée par le « Lover Boy », elle est en quelques mois propulsée sur le devant de la scène internationale, un an après ses débuts officiels dans la musique. 

Sex-symbol féministe 

Malgré la gloire brutale, Summer Walker préserve sa sobriété. Son album Over It la consacre et la met en grâce auprès des amoureux du genre. La recette est la même que son précédent projet : des lyrics crus et vrais enrobés d’une mélodie voluptueuse. Grâce au producteur London on da Track, qui devient son amant en 2019, elle exhale son revival r’n’b des années 1990. “Playing Games” console les nostalgiques du temps où les Destiny’s Child étaient à leur apogée. Dans “Come Thru”, Usher prête sa voix pour une version actualisée de “You Make Me Wanna”. 702, le girls band de Los Angeles, est samplé sur “Body”. 

Pour Still Over It, le projet sophomore, Walker rappelle Arsenio Archer, l’artisan de sa première mixtape. Avec London on da Track, qui devient père de son enfant entre-temps, la connexion reste efficace. La chanteuse prolonge son ode à la culture des années 1990, qu’elle reprend à son compte. The Neptunes produisent “Dat Right There”, un morceau plus pêchu, où Pharrell Williams et Summer Walker mêlent leurs voix. L’ancienne vedette des B2K, Omarion, dépose un couplet dans “Screwin” tout en faisant les backs. Comme une grande soeur qui passe le flambeau, Ciara offre sa bénédiction dans une prière qui clôture l’album : « Seigneur, merci de me rappeler qui je suis. Je suis une reine, je mérite d’être traitée comme telle. Je suis une guerrière, je me lèverai. »

Je trouve ça bizarre que quand je montre mes fesses ou poste une photo de moi dénudée, ça passe. Mais si j’ai envie de donner mon avis sur le racisme aux Etats-Unis, la religion ou la politique, là j’en fais trop.

Summer Walker

Paradoxalement, Summer Walker célèbre l’héritage d’un genre porté par des figures qui lui sont antagonistes. Son esthétique bouscule les standards féminins du r’n’b classique. Tout comme Kehlani, elle démythifie l’image stéréotypée de la chanteuse sexy mais angélique, nourrie par Aaliyah, Brandy, Ashanti, Jennifer Lopez et autres Destiny’s Child. Walker incarne l’évolution d’un style et de ses représentations. Elle s’affranchit des convenances, arbore fièrement son fessier refait au détour d’une conversation avec Ari Lenox, une de ses rares complices de l’industrie. Elle assume ses extensions de cils, ses piercings, ses tatouages ostentatoires et ses perruques excentriques qui la rapprochent de Cardi B, Nicki Minaj, Lil Kim ou Foxy Brown. 

Summer Walker n’en demeure pas moins un sex-symbol. « Elle est le genre de fille dont Drake parle dans ses chansons. », soutient Sylvia Obell, journaliste chez Essence et Buzzfeed. « Beaucoup d’hommes chantent leur coup de foudre pour une strip-teaseuse, mais on n’a jamais le point de vue de la strip-teaseuse en question. » Pour autant, Walker ne veut pas être circonscrite à cette image qu’elle renvoie et refuse d’être figée dans une objetisation surannée : « Je trouve ça bizarre que quand je montre mes fesses ou poste une photo de moi dénudée, ça passe. Mais si j’ai envie de donner mon avis sur le racisme aux Etats-Unis, la religion ou la politique, là j’en fais trop. » Un message féministe, celui d’une artiste qui revendique la liberté de s’exprimer à voix haute, mais qui contraste avec ce qu’elle est vraiment : une femme profondément introvertie.

Les revers du succès

Summer Walker s’épanche rarement dans les médias, limite les prises de paroles, ce qui nourrit le mystère autour d’elle. Celle qui « fait de la musique que pour l’argent » souffre en réalité d’anxiété sociale. Un mal dolent, qu’elle maquille par un masque de femme libérée. Une tromperie rassurante. En 2019, lorsqu’elle reçoit le prix de la « Meilleure nouvelle artiste » aux Soul Train Awards, ses remerciements prennent une tournure embarrassante. « Je ne m’attendais pas à ça. Merci à LVRN et merci à London on da Track. J’apprécie vraiment ce que vous avez fait. », prononce-t-elle mécaniquement, avant de s’enfuir aussitôt en coulisses. 

Si le discours expéditif a suscité les moqueries de plusieurs internautes, il a été pour Summer Walker un moment de détresse. En novembre de la même année, elle décide d’annuler les dernières dates de sa tournée américaine, First and Last Tour, pour préserver sa santé mentale. Plusieurs détracteurs, dont Wendy Williams, présentatrice du talk-show éponyme, condamnent le comportement ambivalent de la chanteuse. « Est-ce la tenue d’une femme qui souffre d’anxiété sociale ? », interroge l’animatrice, en exposant une photo de Summer Walker en tenue légère.

Face aux critiques, l’artiste annonce son retrait de la musique, assène un message d’au revoir qui fissure la relation qu’elle entretient avec une partie de ses fans: « J’ai décidé que vous ne me méritez pas. […] Je vous laisse ma musique et je m’en vais. J’emm**de les interviews, les séances photos, les vidéos, et surtout les concerts. » Elle refait pourtant surface un an après avec un EP, Life On Earth, puis Still Over It en novembre 2021, qui entérine son retour. Un moyen de panser les plaies de ce craquage nerveux et de renouer le lien avec son public. Le pari est réussi : Still Over It est devenu l’album ayant généré le plus de streams en une semaine pour une artiste féminine de r’n’b. 

https://www.instagram.com/p/CVdTBA1AT5e/

Dans un post Instagram, elle plaide sa propre cause, dit être « juste une personne normale, rien de plus. » Presque star malgré elle, Summer Walker cultive sa simplicité jusque dans ses chansons. “Material Things”, le tout premier morceau qu’elle ajoute sur sa chaîne YouTube, résume la quintessence de son personnage: « Je n’ai pas besoin de choses matérielles / Tu peux me donner ton coeur / C’est tout ce dont j’aurai jamais besoin » ; « Je n’ai pas besoin de perles / je ne suis pas ce genre de fille. » Une fille ordinaire en somme.

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