Alors qu’il évoluait jusqu’ici dans l’ombre de Daniel Lee, Matthieu Blazy a été nommé directeur artistique de Bottega Veneta. En misant sur une continuité créative, la marque poursuit son processus de développement sans prendre de risque conséquent.
Depuis trois ans, Bottega Veneta vit une période dorée après un passage à vide commercial et créatif au milieu des années 2010. Un nouveau souffle apporté par Daniel Lee, qui a imprégné la marque de son style minimaliste. Le designer a pourtant été remercié mercredi dernier par le groupe Kering, propriétaire de la griffe italienne. Un divorce impromptu, d’une « décision commune » annonce le communiqué, qui comporte pourtant quelques zones d’ombre.
Selon WWD, Daniel Lee a été évincé car il aurait été en conflit avec plusieurs personnes au sein de l’entreprise, agacées par son manque de communication. Cinq jours après l’annonce, le groupe de luxe révèle le nom de son successeur : Matthieu Blazy, le numéro deux de la marque. « Matthieu Blazy est une personne extraordinairement talentueuse, à qui je suis fier et enthousiaste de confier la direction créative de notre maison de luxe », se réjouit Leo Rongone, président-directeur général de la griffe italienne. Propulsé à la tête de Bottega Veneta, le créateur français aura pour premier exercice la Fashion Week de Milan en février prochain.
Plutôt que de nommer un créateur de renom, le groupe Kering procède à un remaniement en interne. En dehors du microcosme de la mode, Matthieu Blazy est un nom peu évocateur. Pourtant, son parcours sans faute le prédestinait à prendre les rênes d’une maison de luxe. Son aventure chez Bottega Veneta débute en 2020. Nommé directeur du design prêt-à-porter, il assiste Daniel Lee dans l’élaboration des collections et apporte son identité graphique. Tous deux disciples de Phoebe Philo, ils façonnent leurs styles et se construisent une esthétique similaire lors de leur passage chez Céline.
Avant de rejoindre la maison française, Blazy se forme à La Cambre, une des plus prestigieuses écoles de design de Belgique. Après l’obtention de son diplôme, il fait ses premières armes aux côtés de Raf Simons, au sein du label éponyme. Cette expérience le mène à un poste de directeur artistique chez Maison Margiela Artisanal, qu’il occupe de 2012 à 2015. L’anonymat faisant partie intégrante de la Maison Margiela, il commence d’abord à briller à l’ombre des regards.
Mon travail chez Margiela a été le premier où j’ai pu pleinement exprimer ma passion pour les vêtements vintages
Matthieu Blazy
Ses collections fascinent et suscitent pourtant l’intérêt d’une large audience. Dès son arrivée, il impose sa vision futuriste, se démarque par un sens du détail aiguisé. Il se crée un emblème, le masque, accessoire trivial qu’il transforme en un objet de luxe en l’empreignant de diamants. L’idée séduit Kanye West, qui arbore la cagoule incrustée sur les scènes de son Yeezus Tour. Matthieu Blazy habille le rappeur, qui choisit pour sa tournée internationale une garde-robe entièrement composée de pièces Margiela : dix tenues haute couture, vingt de prêt-à-porter, quatre masques rehaussés de pierres précieuses ainsi que des bombers brodés. « Nous avons parcouru les archives de la Maison, à la recherche de pièces emblématiques à réinterpréter. Nous avons ensuite cherché à adapter les vêtements, les tissus, les textures, les couleurs et les détails, afin de les transformer en une garde-robe de scène », avait annoncé la marque.
Suzy Menkes, la célèbre critique de mode britannique, est elle aussi conquise par le savoir-faire de Blazy lorsqu’elle assiste au défilé Haute Couture en 2014. « Avec une touche d’exotisme dans les tissus et une pointe d’érotisme dans les patchworks révélant la peau, cette collection exceptionnelle a fait sortir de l’ombre le créateur Matthieu Blazy. Il est rare dans la mode d’assister en direct à la naissance d’une star. » Cet adoubement le consacre, mais lève le voile sur son identité. Démasqué, le designer ne s’épanche pas plus dans les médias, n’accorde aucune interview et reste concentré sur son travail. Après l’arrivée de John Galliano à la tête de Margiela, Matthieu Blazy s’exile chez Céline, puis retrouve en 2016 son premier précepteur, Raf Simons, désormais à la tête de Calvin Klein.
Tout au long de son cheminement artistique, le créateur franco-belge a fait de l’artisanat un idéal esthétique, une signature. Pour la collection Printemps/Été 2022 de Bottega Veneta, il confectionne toutes les robes imprégnées de coquillages. Il aime déconstruire, rafistoler, assembler les matières, bricoler « des pièces portées et utilisées ». Selon lui, « il n’y a rien de plus ennuyeux que les vêtements neufs ».
Dans son unique interview existante, le créateur évoque son séjour au sein de la maison Margiela : « Cela a été le premier [travail] où j’ai pu pleinement exprimer ma passion pour les vêtements vintages. J’aime le vintage parce que c’est quelque chose de très unique, sans marque et complètement émotionnel. » Un goût pour le rétro, les pièces d’archives, l’authentique. Sur son compte Instagram, les images des anciennes collections couture de Margiela côtoient des photos de Lauryn Hill ou du groupe TLC.
Avec le départ de Daniel Lee, Blazy pourrait apporter une touche d’aspérité à l’esthétique classique de Bottega Veneta. En trois ans, le créateur britannique a été l’instigateur du « New Bottega », un maillage entre le « old Céline »— lignes rigoureuses, minimalisme, fusion du sobre et de l’élégant — et une touche techno. Un style stricte et léché, à rebours de l’excentrisme déployé par Gucci et Balenciaga, les principales concurrentes du groupe, mais qui parvient à convaincre.
Parmi les marques du groupe Kering ayant communiqué leurs chiffres, Bottega Veneta est la seule à afficher une croissance des ventes de 4,8% en 2020, malgré la crise sanitaire. Avec cette nomination, la griffe italienne opère à un remodelage plutôt qu’à une refonte complète. Plus qu’un renouveau artistique, le véritable défi de Matthieu Blazy sera de poursuivre le développement de la marque sans compromettre sa croissance.
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