Iran vs États-Unis, le diplomatico

Mardi 29 novembre, les supporters de football du monde entier avaient les yeux rivés sur une rencontre autant sportive que politique.

À 20H, le coup de sifflet inaugural de l’arbitre espagnol Antonio Mateu Lahoz a résonné dans le stade Al-Thumama de Doha, où se sont affrontés les États-Unis et l’Iran. Loin d’être un simple match de qualification pour les 8e de finale, cette rencontre est celle de deux pays qui entretiennent, depuis la fin des années 1970, une relation chaotique. Voilà plus de 40 ans que le dialogue est rompu entre la Maison Blanche et la République islamique d’Iran.

Sur Tik Tok, de nombreuses vidéos tournent en dérision l’affrontement, allant jusqu’à redouter, non sans ironie, l’implosion d’une troisième guerre mondiale. Finalement, c’est la “Team USA” qui l’a remporté face à la “Tim Melli” un à zéro.

Climat électrique à Doha

Depuis septembre 2022, l’Iran est en proie à une vague de manifestations déclenchée par la mort de l’étudiante Mahsa Amina. Âgée de 22 ans, la jeune kurde est interpellée par la police des mœurs au motif qu’elle n’avait pas respecté le code vestimentaire de la République islamique. Le tragique destin de Mahsa Amina devient alors le symbole d’une protestation populaire contre l’autoritarisme religieux et dépasse même les frontières perses.

La lutte des femmes iraniennes s’invite jusqu’à Doha. Pour leur premier match les opposant à l’Angleterre, les joueurs iraniens se sont abstenus de chanter l’hymne national, en guise de soutien symbolique au peuple victime de la répression du régime. 


En amont de ce même match, le capitaine iranien Ehsan Hajsafi a témoigné sa solidarité aux Iranien·nes :

Tout ce que l’on a, on le doit à notre peuple et nous sommes ici pour travailler dur, combattre, avoir un bon comportement sur le terrain, marquer des buts et nous dévouer au peuple iranien. J’espère que la situation évoluera comme le souhaite le peuple et que tout le monde sera heureux.

De son côté, la Fédération américaine de football a maladroitement tenté de manifester son “soutien aux femmes en Iran qui luttent pour les droits humains fondamentaux” en dénaturant, par la même, le drapeau de la République islamique d’Iran. Sur ses réseaux sociaux, la Fédération a choisi d’effacer toute la dimension religieuse du drapeau, ne laissant visibles plus que les trois bandes verte, rouge et blanche. Les mentions “Allah” et “Allahu Akbar” ont disparu, provoquant l’indignation côté iranien et la demande explicite d’une suspension de 10 matchs pour “atteinte à la dignité” du pays. Les publications litigieuses ont depuis été modifiées, laissant se profiler une accalmie à quelques heures d’un match tant redouté. 

Parallèlement, les joueurs américains ont également eu à rendre des comptes sur leur engagement politique. En conférence de presse, un journaliste iranien prend à parti le capitaine de la Team USA Tyler Adams. Après lui avoir notifié que la prononciation du nom propre “Iran” n’était pas respectée aux États-Unis, preuve d’un manque de respect, il lui demande de justifier sa position par rapport à la discrimination envers les personnes noires sur le sol américain : “Êtes-vous d’accord pour représenter les États-Unis alors qu’il y a tant de discrimination envers les personnes noires en Amérique ?” assène-t-il.

Ce à quoi le milieu de terrain de Leeds répond avec calme et humilité “Mes excuses pour la faute de prononciation de votre pays (…). Il y a de la discrimination partout où vous allez. Une des choses que j’ai apprises, particulièrement depuis que je vis à l’étranger et que j’ai dû m’adapter à différentes cultures, c’est qu’aux États-Unis nous continuons à faire des progrès tous les jours.

https://www.youtube.com/watch?v=x_Y5D_4eD_E

L’État voyou vs Le Grand Satan ?

Les joueurs des nations américaine et iranienne deviennent, à leur dépens, les instruments idéologiques de deux forces politiques diamétralement et historiquement opposées.
Encore aujourd’hui, l’Iran figure parmi la liste noire des “Etats voyous”, considéré par la Maison Blanche comme un pays qui violerait tous les principes élémentaires du droit international. De son côté, la République islamique d’Iran perçoit encore les Etats-Unis comme le “Grand Satan”, une appellation née dans la bouche de l’Ayatollah Khomeyni en 1979, année charnière dans la tumultueuse relation Iran/Etats-Unis.

Le match du mardi 29 novembre avait tout d’une rencontre inédite. Deux peuples dirigés par des hommes qui refusent de dialoguer.

La dernière fois qu’une telle rencontre a eu lieu, elle se déroulait sur le sol français alors que l’Hexagone accueillait la Coupe du monde en 1998. À cette période, la tendance est au rapprochement diplomatique entre Bill Clinton et le président iranien fraîchement élu Mohammad Khatami. La rencontre au stade de Gerland se déroule sans accroc, les hymnes nationaux sont respectés et les joueurs iraniens offrent même à leurs adversaires des bouquets de fleurs blanches, symbole de paix. Le match se solde finalement par une victoire perse, deux buts à un.

Avant ce match édition 2022 , les sélectionneurs Gregg Berhalter (États-Unis) et Carlos Queiroz (Iran) ont préféré recentrer le débat autour de son enjeu sportif énorme ; se qualifier pour la première fois de leur histoire en 8ème de finale de la Coupe du Monde. Finalement, ce sont les américains qui repartent vainqueur grâce au but marqué par Christian Pulisic à la 38ème minute.

Les joueurs des deux équipes n’ont affiché aucun message politique sur la pelouse, un geste mal perçu depuis Téhéran. La défaite iranienne a même été célébrée par des milliers d’Iranien·nes considérant l’Équipe nationale comme un instrument supplémentaire de la propagande du régime.