Pour Wejdene, 2022 a été l’année de la transformation, du Glow Up. En l’espace de deux ans, celle qui n’a “pas eu d’autre choix que de grandir” s’est métamorphosée.
Chanteuse, danseuse et fraîchement modèle, Wejdene veut croquer le monde. Du moins, c’est l’impression que la jeune artiste livre dès son entrée dans le studio où s’apprête à débuter le shooting. Dans la salle prévue pour le stylisme, Wejdene observe avec soin et curiosité les vêtements et accessoires qu’elle est sur le point de porter. Elle enfile une première tenue ; un ensemble bleu roi. Puis une deuxième, une robe grise drapée de velours signée Ottolinger. Au total elle sera sublimée de quatre looks.
Devant l’objectif, Wejdene respire l’assurance. Comme un poisson dans l’eau, elle multiplie les poses avec exigence et professionnalisme, sans jamais oublier de s’amuser : “C’est comme si j’avais toujours kiffé ça.” Malgré l’effervescence et la dizaine de personnes présente entre les quatre murs du studio, Wejdene n’écoute que sa voix intérieure. Face à l’écran de l’ordinateur où s’affichent les clichés qui viennent d’être capturés, elle est en parfaite maîtrise. En dépit des avis extérieurs, Wejdene reste fidèle à ses propres intuitions. Elle sait pertinemment ce qu’elle veut et inutile d’essayer de l’en dissuader.
À mesure que les heures passent, le studio se vide et une ambiance intimiste s’installe progressivement dans la pièce. L’interview commence. Wejdene est assise en tailleur sur le sol, son épaisse doudoune rose fait office de matelas. Elle peine encore à réaliser tout le chemin qu’elle a parcouru en deux ans. La sortie de son premier album 16. La rencontre avec son public grâce à une tournée dans l’Hexagone, couronnée d’un Zénith complet. Une participation à Danse avec les Stars. Une collaboration avec l’un des plus grands couturiers français, Jean-Paul Gaultier. Celle qui ne s’attendait pas à ce que “ça aille aussi vite” a dû faire preuve d’endurance et surtout, de résilience. Elle a su tirer le bon du mauvais pour écrire ses peines et chanter sa douleur.
Sans même le vouloir, Wejdene représente une génération entière de jeunes femmes, parfois contraintes de se défaire du regard des autres pour mieux rebondir. Même si “les gens ont tout fait pour la [me] descendre”, elle est passée de l’anonymat à la surexposition médiatique. De la minorité à la majorité. De la joie à la tristesse, pour enfin transformer la tristesse en espoir. Pour autoriser à la guérison une place dans son cœur, Wejdene a choisi de s’écouter et de s’orienter vers une nouvelle direction artistique, en parfaite harmonie avec qui elle est au plus profond d’elle-même. Ce Glow Up n’est pas anecdotique, il a été un réel pansement pour Wejdene. “Là, c’est vraiment moi” assume-t-elle fièrement. Plus de place au doute.
Aujourd’hui tu es habituée au regard des gens et à l’exposition, mais au début ça a dû être particulier. Comment tu l’as vécu ?
C’était bizarre parce qu’avant de péter sur TikTok, je n’étais pas du tout connue et c’est en sortant du confinement, qu’on a commencé à me demander des photos dans la rue. Il n’y a pas eu de transition, mais je l’ai bien vécu parce que j’étais bien entourée. J’ai su gérer la chose.
À ce moment-là avec ton équipe vous vous rendiez compte de tout ce qu’il se jouait autour de toi et du fait qu’il fallait dépasser le “buzz” ?
Vu qu’on était en plein dedans, on ne s’en rendait pas forcément compte. C’est surtout la maison de disques qui nous expliquait que ça allait être dur de prouver que ce n’était pas qu’un buzz. Du coup, la construction du premier album était assez difficile parce que j’avais peur de ne pas réussir à faire des hits à la hauteur de “Anissa” ou “Coco”. Ça, c’était le plus gros stress.
Tu as le sentiment d’avoir eu le temps de grandir malgré ton exposition soudaine?
C’est surtout que je n’ai pas eu d’autre choix que de grandir. Je n’ai pas fait les choses ordinaires d’une fille de seize ans. Donc quand on te met là-dedans, tu es obligée d’être grande. Au début, tu te dis que tu préfères aller en studio ou faire des shootings photo plutôt que d’aller à l’école. Petit à petit, ça devient ton travail et ce n’est pas quelque chose que j’ai vu venir. Dès que les gens et les médias ont commencé à sérieusement s’intéresser à ma musique, là j’ai compris que c’était plus qu’un loisir et que c’était vraiment mon travail. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je ne m’attendais pas à ce que ça aille aussi vite. Dans ma tête, je pensais qu’il fallait galérer au moins pendant cinq ans avant d’avoir des occasions pareilles.
Étant très souvent sollicitée, comment tu parviens à gérer tous ces flux d’informations?
Je n’y arrive toujours pas, même après trois ans. Parfois, il m’arrive de ne pas répondre aux gens parce que j’ai besoin de mes moments à moi. Quand je ne suis pas au travail, j’ai ma vie personnelle à gérer et c’est très dur de réussir à faire la différence entre le pro et le perso parce qu’en réalité, tout est mélangé. Je n’ai pas de téléphone uniquement pour le travail donc dans mes contacts, ça passe du pro à “maman”. Parfois, je laisse les gens en “remis” et c’est pas bien mais c’est soit ça, soit j’engage une discussion et je ne dors pas de la nuit (rires, ndlr).
Parmi les difficultés que tu as traversées ces deux dernières années, il y a notamment le harcèlement.
Personnellement, je parlerais plutôt de cyber-harcèlement parce que ça ne m’est jamais arrivé en pleine rue comme ça. Et surtout, j’essaye ne pas dramatiser la chose en me disant que personne ne va me harceler ! C’est surtout des moqueries et du manque de respect de la part de gens qui ne savent pas reconnaître le travail.
Ça m’agaçait vraiment qu’on ne me reconnaisse pas pour mon travail ou ma musique, mais que pour mon âge.
Il y a eu beaucoup d’obsessions sur les réseaux sociaux par rapport à ton âge dès que tu t’es faite connaître. Avec le recul, tu penses quoi de ces fixettes ?
Je l’ai mal vécu. Au bout d’un moment, quand tu vas tous les jours au studio et qu’on finit toujours par parler de ton âge, de ce que tu dis, de tes tenues… Tu en viens à te dire : “Les gens parlent de toi que pour tes gaffes.” J’ai quand même sorti un album, parlez plutôt de ça ! Pourquoi parler toujours de mon âge ? À ce moment-là j’ai dit que je n’étais pas majeure, et les gens continuaient à être en boucle dessus. Ça m’agaçait vraiment qu’on ne me reconnaisse pas pour mon travail ou ma musique, mais que pour mon âge.
Comment tu arrives à te préserver des méchancetés ?
En réalité, on ne se préserve jamais des méchancetés, tu les vois quoi qu’il arrive. Parfois, je ne vais pas sur Twitter exprès, puis il suffit que j’aille sur TikTok pour voir une moquerie sur moi, ou des comparaisons avec d’autres artistes. Dans ces cas-là, tu te dis : “Mais pourquoi autant de comparaisons ?” Si c’est pas des moqueries sur ta musique, c’est sur ton physique, ta manière de t’exprimer. Les gens vont tout faire pour te descendre, ils vont prendre des petits passages de toi où tu fais ne serait-ce qu’une faute pour te faire passer pour la débile du coin. C’est ce qu’il s’est passé avec “Anissa” et la petite faute de français que j’ai faite. Aujourd’hui, les gens ne me voient que comme une “faute de français”. Je suis plus que ça, j’avais 15 ans, maintenant il faut passer à autre chose ! C’était drôle deux minutes mais au bout d’un moment ça devient lourd.
Tu as eu l’occasion de faire ton premier Zénith en mai dernier. Comment tu as réagi en voyant une salle noire de monde face à toi ?
De base, je ne stresse pas quand je fais des scènes mais là c’était vraiment d’un autre niveau. Mes jambes allaient lâcher, mes genoux tremblaient tellement je stressais, ça ne m’a jamais fait ça (rires). Les gens criaient “Wejdene, Wejdene !”, et vu que c’est l’une des plus grandes salles que j’ai faite, c’est un bruit tout nouveau que je ne connaissais pas. À ce moment-là, je me suis dit : “Il y a trop de monde !” Après ce qui est vraiment intéressant sur scène c’est que tu peux nouer une relation avec ton public, il n’y a pas que la musique. Le soir du Zénith, j’ai pu directement parler avec eux et ça, c’était trop bien.
Justement ton public, tu le prends en compte quand tu crées ta musique ?
Oui beaucoup, mais je ne sais pas si c’est forcément une bonne chose. Parfois j’ai peur de plus essayer de leur plaire plutôt que de tester ce que j’ai réellement envie de faire. Après, je pars du principe que mon public et moi on a plus ou moins le même âge, donc je me dis que ce que j’écoute, ils l’écoutent aussi.
En juillet dernier tu as tweeté “Nouvelle D.A, nouveau flow, nouvelle Wej”. Tu entendais quoi par là ?
C’est plus moi. Les sons de ce nouvel album j’aurais pu les faire il y a deux ans, mais avec mon équipe on sentait que ce n’était pas encore le moment. Personnellement, j’ai toujours été très r’n’b, j’écoute que ça. Du coup avec mon deuxième album je me suis permise de faire exactement ce que j’aime et ce que j’écoute. Là, c’est vraiment moi et mes idées. Du choix des prods aux compositeurs…
Pour le premier album je me disais qu’il fallait faire des titres commerciaux parce que malheureusement, c’est comme ça que ça fonctionne. Sur Glow Up, j’ai décidé de vraiment m’amuser et faire une musique qui me ressemble.
Tu dirais que tu t’es moins bridée avec Glow Up, par rapport à 16?
Après, pour le premier album je ne recevais pas forcément d’instructions, ça restait mes choix, mais je me disais quand même qu’il fallait faire des titres commerciaux parce que c’est comme ça que ça fonctionne malheureusement. Pour le deuxième album j’ai décidé de vraiment m’amuser. Je voulais une musique qui me ressemble. C’est en ça que Glow Up est complètement différent du premier album.
En écoutant Glow Up aujourd’hui, tu ressens quoi ?
Je le trouve relaxant, il m’apaise beaucoup. Dès que j’ai besoin de calme, c’est mon album que j’écoute. Il tourne en boucle dans ma voiture. Parfois, je me mets à la place de quelqu’un qui ne me connaît pas et qui découvre l’album pour la première fois. J’essaye d’avoir un regard extérieur pour trouver ce qui ne va pas, mais honnêtement je ne trouve pas de défaut (rires) ! Je l’aime vraiment trop, c’est mon bébé.
Tu avais les mêmes sentiments pour 16 ?
Non parce que sur 16 je ne réalisais pas la grandeur de tout ce qui se jouait. Et bizarrement, j’ai l’impression que c’est quand tu ne t’y attends pas que ça fonctionne. Pour mon premier album, je ne pensais vraiment pas faire autant de ventes en première semaine par exemple. Et en vrai, c’est toujours mieux de ne pas avoir d’attentes.
J’ai l’impression d’avoir réussi à transformer ma voix en un instrument.
Au niveau du travail sur ta voix, on sent une énorme différence. Il y a des sons en particulier sur lesquels tu t’es toi-même étonnée ?
J’ai clairement changé de voix entre 16 et Glow Up, elle est devenue plus grave. J’ai suivi des cours de chant pour ma tournée mais ce n’est pas ça qui l’a transformée. Ma voix est devenue grave, sans que je sache trop comment (rires). En revanche, je me suis surprise dans ma manière de chanter par moment. Par exemple dans “Défilé“, je trouve ça trop joli la manière avec laquelle j’arrive à rester sur la même note en ajoutant toujours des petites vibes par-ci par-là, sans trop en faire. Idem dans “À deux“. À ce moment-là, j’ai eu l’impression d’avoir vraiment réussi à transformer ma voix en un instrument.
Tu dirais que tu es allée au bout de ta transformation avec Glow Up ?
Comme je suis en plein dedans depuis maintenant un an, je n’arrive pas à m’en rendre compte. J’ai tellement écouté l’album que c’est des titres que je connais par cœur. Donc maintenant, j’attends de recevoir les avis extérieurs. Quand mon entourage a écouté l’album, tout le monde m’a dit : “C’est dingue, tu chantes comme telle ou telle personne“. Mes sœurs me connaissent bien, elles savent très bien les titres que j’écoute donc elles savent aussi de qui je me suis inspirée.
C’était quoi les noms qui revenaient ?
Ella Mai, Summer Walker, un peu de Queen Nadja, beaucoup de Destiny’s Child. À chaque fois, j’arrivais au studio avec une nouvelle référence r’n’b, que des filles (rires) ! Je me suis plus inspirée des US qu’autre chose.
Dans Glow Up, tu évoques également la pression de réussir, notamment dans l’outro “8.10”, qui est un titre très introspectif. Avec cet album là, comment as-tu réussi à parler des choses qui t’ont faites souffrir?
L’album est arrivé à une période compliquée pour moi. Je pense que si je l’avais fait bien après, ma peine serait passée et l’album n’aurait pas été aussi profond. Là, j’ai du le commencer au moment où ça n’allait pas du tout dans ma tête. Du coup, c’était très facile d’écrire. C’est en ça que c’était thérapeutique. J’ai fait une liste de toutes les choses qui m’étaient arrivées et avec mon équipe on discutait de ce que je pouvais mettre ou non, pour éviter de trop rentrer dans l’intime. Au final, j’ai sélectionné ce qui me tenait le plus à cœur.
Tu traites notamment d’un sujet assez sensible, celui du métissage entre personnes de communautés ou religions différentes. Je fais référence à “Complexe” en featuring avec Alonzo et “Rebeu Renoi”, en featuring avec Genezio. Pourquoi tu as voulu en parler?
Parce qu’on dirait aujourd’hui que ce sujet est tabou. En tout cas, c’est ce que je remarque sur les réseaux sociaux. Les gens en parlent comme si le métissage était à bannir et je ne comprends pas pourquoi. Après, vu que je suis la cible facile, il a fallu que je fasse un son comme ça pour que les gens parlent mal de moi. En plus, j’ai eu des remarques là-dessus tout au long de ma carrière. C’est la première chose que les haters vont dire : “Elle est toujours avec des Renois”.
Et de manière générale, il y a des personnes qui vivent ça constamment. J’ai des copines, je sais que si elles ramènent un Renoi chez elles, ça ne va pas passer. Ça existe encore vraiment aujourd’hui, en 2023. Et ça, c’est dur à vivre ; d’être obligé de quitter la personne que tu aimes parce que ta famille ne l’accepte pas. Donc je me suis dit que j’allais écrire un titre pour que les personnes qui vivent ces situations puissent s’identifier. Qu’il s’agisse de la couleur de peau, dans “Rebeu Renoi“, ou de la religion dans “Complexe“, c’est la même douleur au fond.
Quand mon équipe m’a dit que j’allais travailler avec Jean-Paul Gaultier, je n’y croyais pas.
Tu as récemment suscité l’intérêt des marques. Tu es l’un des visages de la collection “Cyber” de Jean Paul Gaultier. Comment s’est passée cette connexion ?
J’ai rencontré Jean-Paul Gaultier sur le plateau de Danse avec les Stars où il était l’un des jurés. On avait super bien accrochés, on s’entendait grave bien même en off. Il était très bienveillant. Une fois l’émission terminée, nos équipes sont restées en contact et ça s’est fait assez naturellement entre nous. On m’a dit que j’allais travailler avec lui et je n’y croyais pas, j’ai demandé trois fois à mon équipe si c’était vrai (rires). Quand je suis arrivée sur le plateau du shooting, j’étais qu’avec des Américains et je ne suis pas habituée à ça moi. Il y avait le coiffeur de Beyoncé ! Là je me suis dit : “Je suis où là ?”
Ça a toujours été une passion pour toi la mode ?
Je ne dirais pas que c’est une passion mais c’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. C’est un peu le rêve de petite fille. Même dans Danse avec les Stars, ma pièce préférée c’était celle où il y avait tous les costumes des danseurs. J’ai toujours aimé le bling-bling. Quand tu rentres dans la mode, on te dit quelle tenue tu vas porter, on t’explique à quel moment la caméra va tourner autour de toi…. En fait c’est comme ci j’avais toujours kiffé ça mais que je ne l’avais jamais réellement dit. Je suis très à l’aise devant la caméra et je ne pense pas que ce soit le cas de tout le monde.
Avec la musique tu fais déjà un métier d’image en soi.
Je pense que c’est aussi mon image qui a donné envie à Jean Paul Gaultier de travailler avec moi. C’est quelque chose que je gère bien (rires) !
En parlant d’image, tu pourrais me raconter l’histoire derrière la cover de Glow Up ?
Au début, on n’avait pas de cover. Quand tu commences à voir que ton album se remplit, tu vois un peu le fond du projet, et c’est seulement à ce moment-là que tu es capable de voir vers quelle direction artistique tu te diriges. Tu ne peux pas choisir de cover sans titre parce que tu ne sais pas encore vraiment ce que tu vas raconter. Mais on avait une certitude pour ce deuxième album, on voulait une cover centrée sur mon visage.
Quand tu la regardes maintenant, elle t’évoque quoi cette pochette?
Sincèrement je ne saurais pas te répondre parce qu’on voulait d’une cover où on voyait une jeune femme un peu perdue. Et au final, je trouve que ce n’est pas du tout l’image que ça renvoie. Au contraire, il y a beaucoup d’assurance qui s’en dégage et je trouve ça bien mieux. C’est aussi pour ça qu’on a changé le nom de l’album. À la base il devait s’appeler Indécise, je pense qu’on voulait montrer qu’on avait souffert. Mais finalement, un mois avant de clôturer l’album, le mood a complètement changé et tout est devenu beaucoup plus positif, d’où le choix de Glow Up. Le soleil a pris le dessus, un peu comme sur la cover, c’était écrit.
Photographie : Alex Mouchet
Assistant photographie : Moïse Luzolo
Direction artistique et stylisme : Iris Gonzales
Production : Alice Poireau-Metge
Interview : Nouma Ben
Direction des contenus : Julien Bihan