Favé, génération jersey

À peine majeur, Favé a goûté à la viralité du succès avec son single “Urus”. Le rappeur pionnier de la jersey en France cherche désormais à s’installer durablement sur la scène musicale de son pays. “Je ne me considère pas comme un rappeur TikTok, je suis un artiste, tout simplement”, résume-t-il, en réponse aux étiquettes associées à sa réussite. Désormais, avec son EP “F4” ainsi que son premier album sur lequel il travaille actuellement, Favé compte bien faire étalage de toute sa palette d’artiste.

Views : Dans quel contexte tu as démarré la musique ?

Favé : C’était pendant le confinement de 2020, j’étais dans ma chambre et j’ai écrit un freestyle “comme ça” sur mon téléphone, presque pour rigoler. Je l’ai envoyé à mes potes qui l’ont kiffé, l’ont repartagé en story. En fait, au début, je racontais n’importe quoi dans mes textes. Je mentais, ce n’était pas moi. Mais ça m’a appris à me placer, trouver les flows, trouver les rimes… Et avec le temps, j’ai commencé à être authentique, vraiment raconter ma vie dans ma musique. J’avais très envie de retransmettre une partie de moi dans ma musique.

Tu penses que le confinement a changé la trajectoire de la carrière ?

Oui, c’est sûr, parce que j’aurais peut-être été amené à faire de la musique, mais pas aussi rapidement. T’es chez toi, tu n’as rien à faire, donc il faut s’occuper. Je m’enregistrais, je me filmais, je rentabilisais ce moment.

Dans la jersey, c’est assez orienté sur le fait de rentransmettre une énergie, aux dépends parfois du texte. Est-ce que c’est quelque chose qui te plaît ?

Oui, c’est vrai. Dans ma musique, je porte plus d’attention à la forme qu’au fond. Après, je ne me prends pas trop la tête sur ces questions, sur ce que le public va aimer ou quoi que ce soit. J’essaye de garder de l’instinct avant tout.

Parmi tes inspirations, tu as cité notamment le XV Barbar, Gradur ou Joke. Qu’est-ce qui t’as plu dans cette période du rap français ?

En fait pour moi, cette période, c’est vraiment synonyme de découverte du rap. C’était tout nouveau pour moi donc ça m’a poussé à être de plus en plus curieux. J’ai des souvenirs d’aller sur YouTube pour les écouter, c’était une claque pour moi. Quand je réécoute des sons que j’écoutais à l’époque, je me rends compte de l’évolution. C’est super différent et on voit à quel point a évolué. Aujourd’hui, il y a tellement de choses, c’est plus aussi restreint qu’avant et ça me plaît.

Dans ton parcours d’artiste, SoundCloud est un élement important. C’est une plateforme qui a connu son âge d’or vers 2016 ou 2017 aux États-Unis, avec des artistes comme XXXTENTACION ou Lil Uzi Vert. Toi tu es arrivé plus tard sur cette plateforme, pourquoi t’as fait ce choix ?

J’ai conscience que je suis arrivé après la forte période du rap SoundCloud, mais quand je suis arrivé il y avait encore une bonne communauté sur la plateforme en France. Moi, je venais de commencer, je ne savais pas comment tout ça fonctionnait, comme par exemple diffuser ma musique sur les plateformes de streaming. Je n’avais pas non plus d’argent pour payer des clips, donc je me suis dit que j’allais tenter SoundCloud. La plateforme m’a donné plus de liberté, parce que tu postes ce que tu veux. Si tu as envie d’envoyer 4 mixtapes en 2 jours, rien ne t’en empêche.

À quel moment dans ta carrière, tu as senti que quelque chose était en train de se passer, comme un avant-après vis-à-vis du succès ?

Avant même de sortir mon premier clip, j’ai senti que j’allais pouvoir faire quelque chose parce que je kiffais vraiment ce que je faisais. Ensuite, il y a eu le “Freestyle 5” avec un clip sur YouTube. Ç’a été pour moi un moment où j’ai passé un cap. À partir de ce moment, il n’y a plus eu que des clips, c’était une manière de dire : “Je passe un step, c’est bon.”

Tu fais partie des jeunes artistes qui ont eu un succès fulgurant, est-ce que ça t’as mis une pression de te savoir attendu, et est-ce que t’as réussi à bien le gérer ?

Au début oui, ça m’a mis une pression, notamment parce qu’avec mon équipe on mettait du temps à savoir ce que l’on voulait faire. Je me disais qu’il fallait être super productif, donc ça me pesait un peu. Au final, ça ne servait à rien, parce que si aujourd’hui, j’en suis là, c’est qu’on a fait ce qu’il fallait. Mais sur le coup, il y a toujours l’envie d’en faire plus, sauf qu’il faut savoir doser, créer de l’attente et envoyer les bonnes choses. Sinon, les gens se lassent vite. De façon générale, aujourd’hui, je vis bien le succès. Je gère ma communauté comme quand j’avais 1000 abonnés, c’est toujours une famille, c’est juste sa taille qui change.

Le plus gros succès de ta carrière jusqu’ici, c’est “Urus”. Beaucoup de gens t’ont découvert avec ça. Tu saurais expliquer pourquoi il a autant marché ? Quand tu l’as fait, tu imaginais un tel succès ?

Quand je travaillais dessus, personne en France ne faisait de la jersey à part Kerchak. Et encore, il n’y avait pas l’engouement qu’il y a sur lui aujourd’hui. Donc forcément ça aide à la réussite du morceau ce côté précurseur. Par contre, au moment de sa création pour moi je faisais juste un son jersey que je trouvais cool. Pour moi, c’est juste un bon son parmi tant d’autres. Je m’y attendais pas donc ç’a été une sacrée surprise.

Le succès du morceau est très lié à sa viralité sur les réseaux et notamment TikTok. De cette tendance est née l’expression “rappeur TikTok”, à laquelle tu as déjà été associé. Est-ce que c’est un terme qui te dérange ?

Pour moi, c’est un terme péjoratif. Même si ça peut aider, parce que TikTok fait la promotion de ta musique, c’est trop réducteur. Avant de sortir “Urus” j’avais déjà fait de bonnes stats sans forcément avoir besoin de la plateforme. Je ne me considère pas comme un rappeur TikTok, je suis un artiste, tout simplement.

T’as sorti ton premier EP avec “F4”, t’avais quelle ambition avec ce projet ?

Je voulais proposer une sorte de carte de visite après le succès de “Urus”. C’était le bon moment pour envoyer une palette de 5 titres, montrer aux gens ce que je sais faire sur différents morceaux. Je suis content du fait que le projet est assez varié musicalement et qu’il fonctionne bien. C’est une bonne première. On est en train de travailler sur ce qui sera un album ou une mixtape pour la suite, ça sera quelque chose de gros, donc on se prend beaucoup la tête dessus. Pour moi, c’est tout simplement ça un album, un gros projet sur lequel tu passes beaucoup de temps, tu te prends la tête et au final, tu sors un truc dont tu es fier. J’ai envie d’en profiter pour varier, expérimenter de nouveaux genres musicaux.

Récemment, tu as vécu une grosse collaboration avec Kerchak, Leto et Gazo sur “No Lèche”. Comment t’as vécu cette connexion ?

Un jour, on m’appelle et on me dit “Gazo t’invites à faire un feat, il y aura Kerchak et Leto.” Du coup, je fonce au studio. Gazo m’a envoyé le morceau, le jour-même, je lui ai envoyé mon couplet. Je n’ai pas loupé l’occasion. Avec Gazo et Leto, jusqu’au clip, on ne s’était pas vu, mais c’était lourd de bosser avec eux parce que tu passes un cap. Tu te dis que tu commences à être pris au sérieux. Juste en discutant sur le tournage, ils m’ont donné de bons conseils pour la suite. J’ai profité de leur expérience.

Pour des artistes de ta génération, l’image est plus importante que jamais. Est-ce que c’est quelque chose auquel tu penses dans ton développement artistique ?

Ça compte beaucoup. Si je n’avais pas la tête que j’ai aujourd’hui, si ça se trouve, Favé n’aurait pas autant d’impact. Je travaille dessus, mais au-delà, j’aime naturellement bien m’habiller, me sentir frais.

Photographe : Félix Devaux
Direction artistique : Iris Gonzales
Chef de projet : Camille Menut
IA : Alexandre Mouchet
Graphisme : Antoine Mougenot, Noémi Bonzi, Baptiste Guiné, Alizée Colliard
Production : Alice Poireau-Metge
Interview : Corentin Saguez

Stylisme : KENZO VARSITY JUNGLE et KENZO Printemps/Eté 2023.
Chaussures : KENZO HOOPS