Moise Kean : “Je sais à quel point c’est dur pour un homme noir de vivre en Italie”

Moise Kean est un homme précoce. Label qui accompagne ceux dont le talent nourri les rêves de leurs spectateurs, l’espoir a toujours fait partie de la vie de Moise Kean. Enfant, il jouait avec les plus grands, façonnant dans son évolution un travail rigoureux et une étonnante maturité. Adolescent, il devient le premier joueur de l’histoire né au 21ᵉ siècle à jouer un match professionnel du championnat italien, avant d’étendre son record de précocité à la Ligue des Champions et l’équipe nationale.

Itinérant, Moise Kean s’est imposé comme l’un des plus grands attaquants de son pays pour assoir une place au sein de la Juventus son club, avant de partir en Angleterre, en France, pour finalement revenir dans le Piémont. À 23 ans, Kean lutte contre les blessures du corps pour retrouver le niveau qui fait de lui l’un des meilleurs jeunes du continent. Aux pieds des Alpes, il est toujours plus facile de viser les sommets.

Veste, Gilet, Short, Jean,
Baskets & Lunettes : Givenchy
Collier, Bagues & Bracelet (poignet droit) : Saboteur

La vie de Moise Kean est aussi celle d’un homme qui, par l’observation de foules aux cris de singes armés de bananes et d’ecocups, a dû se demander pourquoi autant d’hommes et de femmes pouvaient être aussi violents avec un mineur à qui on reprochait de ne pas ressembler à ses coéquipiers. Il est aussi facile d’oublier que dans le sport, les blessures ne sont jamais limitées au corps.

Si bien souvent, l’ignominie des actes les plus odieux ne trouve pas d’explications, elle laisse pourtant des cicatrices sur ceux qui les subissent. Moise Kean ne comprend pas comment il peut être haï, insulté et violenté à cause de la couleur de sa peau. Résilient, c’est à son tour de porter l’espoir exigeant que cela puisse changer un jour.

Comment as-tu vécu la jeunesse d’un jeune footballeur extrêmement talentueux et précoce ?

Naturellement, le football a toujours été mon rêve. Puis quand tu commences à façonner une méthode de travail, tu dois avoir un rêve et croire en ce que tu fais.

Depuis que j’ai 9, 10 ans, j’ai toujours été le plus jeune à jouer dans la rue. Les gens autour de moi croyaient plus que moi que je pouvais devenir très bon. Cela m’a aidé à également croire en moi. À 16 ans, je suis devenu le plus jeune joueur professionnel de l’histoire de la Juventus.

Comment as-tu géré la pression d’être aussi précoce ?

Je suis quelqu’un qui ne ressent pas la pression. J’ai toujours eu l’habitude d’être avec des gens plus âgés. Cela m’a poussé à avoir toujours plus d’ambition depuis que je suis jeune.

As-tu affronté les moments difficiles dans ton parcours ?

Il y a constamment des moments difficiles. Mais je sais comment m’en sortir, car à chaque moment compliqué il y a une issue positive. Je ne me presse pas, je ne panique jamais, ça fait partie de la vie. Tout arrive pour une bonne raison, et la seule chose que je puisse faire et continuer de travailler dur.

Tu as joué avec les meilleurs joueurs du monde, qu’est-ce que cela t’a appris ?

J’ai effectivement eu la chance de jouer avec quelques-uns des meilleurs joueurs du monde. J’en suis reconnaissant, car cela m’a beaucoup appris. Il y a une histoire que je n’oublierai jamais. J’avais 15 ans, et j’accède pour la première fois aux vestiaires de l’équipe professionnelle de la Juventus, et là Mario Mandžukić me dit : “Tu fais quoi ici ?”. Je réponds : “Ils m’ont envoyé ici.” Puis il continue : “Ne penses pas que tu vas rester ici, tu vas rester peut-être une semaine, et repartir.” Là, je me dis : “Wow, il a voulu me montrer à quel point c’était dur. À ce moment-là, j’ai appris énormément de choses, même si je me suis demandé s’il était juste méchant ou si c’était pour m’aider.

T’en penses quoi aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je sais que c’est parce qu’il m’aimait, que c’est pour m’aider.

Je suis né en Italie, et depuis que je suis à l’école, je sais à quel point c’est dur pour un homme noir de vivre dans ce pays. Je sais ce que cela fait d’être victime de racisme.

Trench : Undercover
Jean : Bluemarble
Sandale : Jacquemus

Dans ta carrière, tu as été la cible d’insultes racistes dans plusieurs stades. Peux-tu me raconter ce qu’est être un joueur de football noir en Italie ?

Je suis né en Italie, et depuis que je suis à l’école, je sais à quel point c’est dur pour un homme noir de vivre dans ce pays. Je sais ce que cela fait d’être victime de racisme. Beaucoup de choses me sont arrivées, et j’espère que cela changera. Quand cela est récemment arrivé à Romelu Lukaku, je n’étais pas surpris. Je me suis dit : “Bienvenue en Italie n**** !” Je souhaite vraiment qu’un jour les gens comprendront que c’est quelque chose qui n’a pas besoin d’exister. Tout le monde est humain, a une âme et un cœur.

En 2019, tu es victime de racisme à Cagliari pendant le match et après une célébration. Après le match, certains coéquipiers et ton coach laissent entendre que tu l’as provoqué. As-tu la sensation que les choses ont changé depuis cet événement ?

Quand ça m’est arrivé, je ne m’y attendais pas. Je savais très bien qu’il y a beaucoup de racisme, mais je ne pensais pas que ça arriverait jusqu’au football. Et j’étais encore très jeune. Je ne me doutais pas que ça puisse arriver dans un stade. Je peux peut-être comprendre que ça arrive en dehors, avec des personnes que tu ne connais pas, mais dans un stade où tu emmènes ta famille, tes enfants, c’est la honte.

J’ai réagi comme ça car c’est la seule façon. Et je n’ai pas mal réagi. Mon premier objectif était de marquer et ensuite de célébrer ainsi, pour qu’ils puissent comprendre qu’il n’y a aucune place pour le racisme, ni dans le football ni dans le monde.

Tu as l’impression d’être soutenu, compris ?

Personne ne peut comprendre ce que tu ressens. Ma célébration a prouvé tout cela. Je marque, je célèbre avec les mains ouvertes, et ils continuent à te lancer des trucs. C’est juste un signe que ça ne va pas, que ça ne devrait pas arriver dans le foot. En théorie, le football est quelque chose que tu fais avec amour, mais certaines personnes ne peuvent le comprendre.

As-tu eu des retours de gens que tu as inspiré par ta résilience ?

Quand tu commences à atteindre le meilleur niveau, tu as des gens, des enfants, qui te suivent de près. La seule chose à faire, c’est donner un bon exemple, et être sincère avec toi-même. Ces gens-là veulent voir le vrai toi.

Tu es en ce moment à Paris, quelle est ta relation avec la ville ?

Paris est comme une maison pour moi. Même quand j’étais plus jeune, je venais ici parce que j’y ai de la famille. Je me sens toujours chez moi ici. Quand j’étais au PSG, ça me donnait encore plus de motivation pour jouer ici. J’ai passé de tellement bons moments à Paris. C’est probablement ce qui m’a aidé à faire des bonnes choses ici. Mes coéquipiers, le staff, je peux me sacrifier pour eux. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

Que retiens-tu de ton expérience au PSG ?

C’est le meilleur moment de ma carrière, je me suis vraiment plu ici. Je ne pourrais pas oublier tout ce que j’y ai appris et tous les beaux moments que j’y ai vécu.

Tu aurais aimé rester plus longtemps ?

Je réalisais des belles choses. Mais après, personne ne peut savoir ce qu’il se passera demain. Je vis au jour le jour, et à Paris j’étais très reconnaissant. On ne sait pas ce qui pourra arriver.

Est-ce que t’as l’impression que cette histoire n’est pas finie ?

Je ne sais pas. [rires] Comme je t’ai dit, je vis au jour le jour en me concentrant pour être l’un des meilleurs attaquants. Si ça arrive, ça arrive. Tout arrive pour une bonne raison.

Chapeau, Chemise, Chemise : Jacquemus
Pantalon, Kilt : Sean Suen
Baskets : Givenchy
Collier : Chanel
Bracelet : Saboteur

En dehors du terrain, tu cultives un certain sens de la mode, peux-tu me parler de cette passion ?

Je n’ai pas toujours été dans la mode tant que ça. Avant le football, avec le peu de choses et le peu d’argent que j’avais, je ne pouvais pas m’acheter des grandes marques comme Louis Vuitton ou Gucci. Mais j’essayais quand même de bien m’habiller, car je trouve que la mode est un bon moyen d’expression. C’est l’une des meilleures choses pour t’exprimer, car c’est la première chose que les gens voient chez toi.

Est-ce important de cultiver un style propre dans un sport où tout le monde porte le même maillot ?

Ce que j’aime, c’est être différent. J’aime toujours ajouter à mon style quelque chose de différent. Si tout le monde est pareil, alors on s’ennuie.

De quels footballeurs aimes-tu le style ?

Je trouve qu’Hector Bellerin s’habille très bien. Sinon, à Everton, je jouais avec un Tom Davies, qui arrive à vraiment bien exprimer son style. Beaucoup d’autres essayent, mais ils n’y arrivent pas.

Comment décrirais-tu ton style ?

[Longue pause] Différent.

De plus en plus de joueurs signent des partenariats avec des maisons, à l’image de Grealish avec Gucci. Est-ce que c’est une perspective vers laquelle tu aimerais te tourner ?

Bien sûr ! Mais avant tout, je le fais pour m’amuser, car j’aime la mode avant tout. Si ça doit arriver, alors ça arrivera. Évidemment, j’espère que ça arrivera.

D’autres personnes t’inspirent dans ton style ?

J’aime beaucoup comment A$AP Rocky s’habille. J’aime aussi comment certains joueurs de NBA s’habillent aussi, comme Shai Gilgeous-Alexander. J’apprécie aussi les pièces étonnantes, comment on peut réussir à les porter.

As-tu d’autres passions en dehors du football ?

J’aime rapper, j’ai fait du rap avec mes amis depuis longtemps. C’est quelque chose que j’aime notamment faire quand je suis à Turin, d’aller en studio. C’est une activité qui m’apaise, quand j’arrive à ne pas penser au football, même si c’est dur de ne pas y penser.

T’écoutes quoi ?

J’écoute beaucoup de Kodak (Black), Meek Mill, Peezy ou Jay Critch.

C’est quelque chose que tu veux poursuivre sérieusement après ta carrière ?

Oui, j’espère un jour ! Mais tu dois trouver le bon moment. Tu dois rester concentré sur ce que tu fais d’abord, même si on pense bien sûr au futur. J’espère qu’après ma carrière, je ferai de la musique que les gens écouteront.

Photos : Moise Luzolo
Direction artistique : Alice Poireau-Metge
Coordination artistique : Iris Gonzales
Stylisme : Louis Battistelli & Lexington Rocchio 
Interview : Matthieu Fortin 
Production : Alice Poireau-Metge
Coiffure : Idy Barber  
Remerciements : Gurvan Summer