“À la dixième minute de mon show, j’aurai déjà fumé tous ceux qui ont fait et qui vont faire l’Olympia en 2023… Et les autres aussi “. Comme les grands athlètes, Makala aime les statements, les grandes déclarations et surtout, il aime les assumer sur le terrain. Le jour du match, le 27 mai 2023, près de 2000 personnes se sont réunies pour le voir, leur champion, dans un Olympia sold-out. Et si Makala n’est pas un sportif, mais bien un rappeur suisse, ce soir-là il a réalisé la performance que tous ses supporters attendaient.
2 heures 30 de show, des transitions léchées, un cardio de coureur de fond et une présence scénique à couper le souffle… Un souffle qui manquait aux courageux de la fosse, lorsque le rappeur a entonné le refrain de “Film d’action” à la fin du concert. Les rares curieux venus le découvrir et les indécis qui doutaient encore de ses capacités de showman ont pu être servis : sur scène, le Suisse ne blague pas.
“Tu délivres une performance physique, tu dois être prêt, travailler ta condition et puis c’est de la technique. Savoir quand donner un effort, quand parler avec le public, sentir le truc. Avoir le QI rap.” Condition physique, technique et feeling donc, la recette d’un performeur sur de lui, celui qui a trouvé l’équilibre entre l’énergie et la maîtrise.
Makala c’est CR7
Cette balance entre physique et expérience, entre fougue et analyse, c’est aussi ce qui définit le prime d’un athlète. “Makala c’est CR7 ” estime Varnish La Piscine comme pour étayer la comparaison. Et qui de mieux pour parler de Makala que Varnish, le seul beatmaker dont l’artiste accepte les prods et surtout un “vrai frère ” pour lui. D’ailleurs, ce n’est pas dans un studio ou lors d’un concert que les deux artistes —que l’on appelle aussi les frères la Piscine– se sont rencontrés, mais sur un terrain de football genevois : la comparaison avec Cristiano Ronaldo prend d’autant plus de sens. “C’est le meilleur rappeur francophone du monde. Il est comme ces grands champions. Quand il parle, il assume derrière, il n’a pas de limites, pas de plafond. Il se dépasse à chaque fois “, assure Varnish. Makala, c’est ce type qui vous murmure à l’oreille tout le match et qui réussit la dernière action décisive sous votre nez, le sourire aux lèvres.
“J’ai toujours eu cet esprit de compétition, ce besoin de me dépasser. Évidemment, ça vient du sport. Mon père m’en montrait beaucoup et j’en ai fait très tôt.” À défaut d’être devenu un athlète, Makala a donc fait du rap son sport. Et il a la dalle. Il porte sur lui les ambitions de toute une génération de rappeurs genevois, de toute son équipe. Slimka, Di-meh, Mairo ou Varnish… Son “équipage” comme l’appelle Makala, ce sont ces artistes suisses qui cassent les normes du rap francophone, ses festivals et surtout ses salles de concert, en proposant des shows qui détonnent.
En tête de liste, c’est le Mak qui ouvre la porte : premier Suisse deux fois sold-out à la Machine du Moulin Rouge, premier Suisse sold-out à l’Elysée Montmartre et maintenant le premier qui remplit un Olympia. “Ce n’est pas parce qu’on vient de Suisse qu’on n’a pas le droit de rêver et d’avoir des ambitions qui nous dépassent. L’Olympia c’est une salle culte. Mais ça met en tête aux gens que c’est possible que d’autres puissent le faire aussi.” Lorsqu’il monte sur scène ou qu’il entre en studio, le rappeur porte son pays sur ses épaules, comme un capitaine porterait son équipe. Et dans la team du Mak, on vise le titre : “tout niquer c’est le game plan” (“Boss”).
Boxe avec les mots
Plus que sur scène, c’est dans ses textes que l’on sent l’ambition débordante du rappeur. Du “Qui est le fils de p*te qui pensait rapper mieux que moi ” dans “Le Roi de La Floride” au “Tellement de barz [punchlines] dans mes textes, on dirait que j’suis au hebs [prison] ” dans “Les Barrages”, Makala clame haut et fort ce qu’il s’efforce de prouver tous les jours : il est le meilleur. Une certitude qui lui vaut son lot de détracteurs, indignés qu’il s’estime plus fort que Travis Scott et Kendrick Lamar sur scène ou qu’il défie Booba de rapper avec lui pour “le pousser vers la sortie “. Si certains le trouvent arrogant, lui assume son ambition “et il se donne les moyens de réussir ” assure son acolyte Varnish.
Difficile, donc, d’ignorer l’égotrip mordant du Suisse. Chaque track ou presque est truffé de punchlines tranchantes et de piques aiguisées au point que l’on peut difficilement s’empêcher de sourire, voire de ricaner quand on l’écoute. “Depuis petit, je suis ce gars dans la vanne, j’ai grandi avec des grands vanneurs, il fallait s’en sortir, être vif, savoir se défendre.” Et la meilleure défense, c’est souvent l’attaque, pour le Mak. Derrière son côté laid back, presque nonchalant que les moins attentifs prendraient pour de la facilité, c’est un puncheur précis et rigoureux qui se cache. “Boxe avec les mots”, le mantra de Lino et Calbo irait bien au Suisse tant son sens de la formule est efficace et ses barz imagées. “J’ai grandi avec ça ! Mon premier morceau, c’était un clash. Et puis je suis de la génération de la punchline. Si tu ne dis rien dans tes textes, c’est qu’ils ne sont pas bons.“
Encore une fois, le rappeur a soif de titres et de lumière. Pas question de pondre un texte banal, tout doit briller. Les comparaisons surprenantes se mélangent ainsi aux références subtiles dans son écriture. C’est l’apanage des rappeurs techniques auxquels il appartient : jouer avec les mots au point que cela semble facile.
Un nerd du rap
Pour maîtriser les fondamentaux d’un sport, il faut d’abord observer : même les plus grands champions se sont assis devant des vidéos de leurs aînés. Dans le rap, c’est la même chose, pas de performances sans fondamentaux. Et Makala a fait son quota de vidéos. Des X-men à Booba, en passant par Big Pun et Kanye West, il connaît ses classiques et continue d’écouter du rap sans cesse. “Dernièrement, il y a une Américaine que j’ai beaucoup aimée, Lola Brooke, sur un freestyle chez Funk Flex. Sinon j’aime bien ce que propose Gazo. Il a une manière de poser sa voix, il a son truc, son énergie. J’aime la façon dont sont mixées ses prods, la manière dont elles tapent.” Les morceaux de Guy2bezbar ou encore de Lil Yachty font également partie de ses derniers titres likés.
“C’est quelqu’un qui analyse énormément et qui réfléchit beaucoup “, décrit Slimka, également membre de la SuperWak Clique comme Makala et très proche de l’artiste. “J’écoute ce que font les autres, je suis à l’affût de tout ce qui sort “, confirme l’intéressé. Sans une concurrence qui en vaut la peine, comment se dépasser ? Impossible. Alors, il écoute, étudie, analyse les anciens comme ses concurrents. “Avec lui ? Aaaah il faut s’accrocher “, raconte Gracy Hopkins, rappeur et ami de Makala, quelques minutes avant l’Olympia.”Tu vois, quand tu regardes un match de foot, il y a des jeunes qui jouent parfois. On pourrait être indulgent avec eux parce qu’ils sont jeunes… Mais la mentale avec Makala c’est : tu entres sur le terrain, et tu dois être prêt. C’est la même chose dans le studio.“
“Charisme hein ?”
Plus que la performance, ce qui frappe dans la fosse de l’Olympia, c’est peut-être la réception du public. Des pogos endiablés, des fans qui rappent chaque couplet comme s’ils les avaient écrits eux-mêmes et cette énergie de fête, de célébration… La connexion est presque spirituelle entre le Mak et ses fans. Le Suisse captive, il le sait et s’il vient pour impressionner ou pour éteindre, il est aussi là pour séduire. “J’ai l’habitude de dire qu’un concert, c’est comme un date. Avant, tu fais ta musique, c’est un peu comme si tu parles à une fille. Ça se drague sur les réseaux. Mais au date, tu vois vraiment ce qu’elle a dans le ventre, tu vois si elle a du game ou pas. La scène, c’est pareil : il faut confirmer.”
Et le rappeur séduit même avant la scène. En DM, difficile de ne pas répondre à ses phrases d’accroche. Comme en témoignent ses punchs variées, Makala aime jouer avec les mots : pour éteindre comme pour séduire, il parle bien. “Petit, mes parents étaient toujours fascinés par le fait que je parle énormément très jeune. C’étaient mes premiers fans. Je leur faisais des shows dans le salon, j’avais toujours un tas de choses à raconter et des théories pour eux. J’aimais beaucoup danser aussi. En fait, j’étais toujours en train de les divertir.” Divertir pour séduire, que ce soit pour le petit Jordy (de son vrai nom), ou pour le Makala actuel, la rhétorique fonctionne de la même manière. Des textes à l’esthétique musicale jusqu’à sa communication sur Instagram et Twitter, le Mak reste un vanneur.
Mais plus qu’une bonne disquette en DM ou qu’une performance de haut niveau sur scène, il dégage un charisme presque inexplicable. “Il a un délire de te parler comme si c’était une sorte de gourou, il va te sortir une phrase complètement normale et toi, tu vas te dire ‘Mais putain il a trop raison ! “, analysait déjà le journaliste Aurélien Chapuis en 2019, dans un épisode du podcast No Fun. Une constante dans la musique de Makala dont la voix, l’attitude et l’assurance tranchent avec le reste du rapgame. Il a ce truc en plus, celui qui vous fait acquiescer bêtement en souriant quand il murmure”Makala c’est le meilleur” au début du morceau “Boss” ou “Charisme hein ? Tu comprends pas ce qui t’arrive hein ? “sur “Les Barrages”.
Le style du non-style
Séduire, c’est aussi sortir du lot avec une personnalité, une authenticité qui frappe. Et la différence de Makala est aussi l’une de ses plus grandes armes. Le Suisse ne se fixe aucune limite et avec son acolyte de toujours, Varnish, il produit une musique singulière, incomparable. Que ce soit dans les prods choisies qui vont de la funk à la trap en passant par la bossa nova, ou bien dans ses flows, ses placements ou le traitement de sa voix. Si Makala annonce une sortie, impossible de deviner quoi que ce soit avant d’écouter le morceau : vous serez forcément désarçonnés. Écouter Radio Suicide c’est se plonger dans ce “style du non-style” comme l’appelle Makala sur “Sad Boy”, cet univers où tous les coups sont permis, où tout est authentique et rien n’est prévisible, un style qui détonne.”C’était mon premier album, je voulais montrer toute ma palette, tout ce dont je suis capable.” Et pour garder cette liberté qui l’obsède, Makala privilégie la spontanéité. Sur scène, son DJ Sébastien Lopes et lui-même ne travaillent que 3 jours à l’avance, pour garder cette connexion, ce feeling. Aucun show ne ressemble ainsi au précédent, avec une setlist qui bouge entre chaque concert ou presque. Et en studio, c’est pareil :”La prod va m’emmener quelque part et je vais la suivre. Ou moi, je vais emmener la prod quelque part. Et finalement, ce qui va se faire, c’est ce qui devra se faire.“
Plus encore que la connexion avec Sébastien Lopes, celle que Makala entretient avec Varnish fascine davantage. Les deux hommes se comprennent sans se parler. “On a le même humour. Et quand tu captes ce qui fait rire quelqu’un, c’est là que tu le connais. Et Varnish il me connaît trop bien. On discute, il va voir comment je m’habille, ce que j’écoute en ce moment et il va me proposer ce qu’il faut. C’est ça être un ami : rester attentif à l’autre et à ce qu’il aime “, décrit Makala. Le rappeur compare même Varnish à un tailleur. Celui qui l’habille, qui lui permet de revêtir sa musique, son univers sur mesure. Un univers composé de pièces de haute couture :”Les gens qui m’écoutent, je considère que ce sont des gens qui aiment aussi les pièces inédites, surprenantes. Et c’est ce qu’on retrouve dans le monde de la mode. Des fois, tu vois des pièces, tu es choqué ! Tu te dis “il me la faut” et en même temps, tu te dis “est-ce que j’oserais vraiment mettre ça ? “
Seuls ceux qui osent peuvent donc comprendre la musique de Makala. Un son qu’il veut aussi impressionnant qu’un sac de créateur ou qu’un manteau de luxe excentrique. Et si un vêtement de haute couture peut parfois briller, c’est souvent sa délicatesse qui le rend désirable. Encore une fois, la comparaison va à merveille à l’artiste dont la finesse et la minutie vont des jeux de mots de ses textes, aux références des clips qu’il réalise lui-même, en passant par ses covers ou les prods de Varnish. À l’image d’un créateur de mode, tout chez lui converge vers une même vision, tellement singulière qu’elle en devient décalée, au point que ceux qui ne sont pas en mesure d’en capter les références la rejettent.”Les gens qui m’écoutent se connaissent eux-mêmes, ils savent ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas “, estime l’artiste. Mais il en a conscience, parfois il va même “trop loin pour ses proches” comme il le dit dans “Le Roi de la Floride”.
Perfectionner son art
Ce style du non-style constitue la base de l’univers de Makala mais il est néanmoins évolutif. Du premier projet la Clef en 2013 à Radio Suicide en 2019, le Mak a ainsi peaufiné ce style, à l’image d’un jeune athlète qui travaille à l’entraînement pour s’améliorer en tout point ou d’un créateur qui développe sa première collection en puisant dans toutes ses inspirations. Une fois passé le premier succès d’estime, les premières lights, les premières performances, athlètes et créateurs vont évoluer. Le premier va développer de nouveaux moves, basés sur ses points forts, quand le créateur va explorer de nouvelles silhouettes dans la continuité de l’identité qu’il a déjà établie. Mais que ce soit pour l’un ou pour l’autre, il reste cette première réussite, ces fondations sur lesquelles bâtir. À la jonction de l’obsession de performer du sportif et de la recherche de création de l’artiste, Makala s’inscrit dans un schéma similaire. Après un premier album, Radio Suicide, dans lequel il a pu montrer l’étendue de ce qu’il pouvait faire, la vision du Suisse se précise sur son deuxième et dernier projet en date, Chaos Kiss. Plus cohérent, plus court, plus digeste… Sur ce deuxième album, le Suisse cherche certes à prouver, mais surtout à s’exprimer. “Chaos Kiss, embrasser le chaos… le message est puissant. Cet album, c’est vraiment un état d’esprit. J’avais besoin de dire certaines choses, j’ai pu le faire.“
La colère devant les dettes que lui doivent certains sur “Lards”, un enfant conçu dans son dos lors d’une tromperie dans “Boss” ou simplement la trahison et le sentiment d’abandon susurrés sur le morceau “Prison Break”… Le rappeur s’est plus raconté sur Chaos Kiss que sur tous ses projets sortis auparavant. Mais il reste pudique : pas question de s’étendre. “Il faut laisser de la place à l’imagination des gens, à l’interprétation. J’aime aussi ce truc un peu abstrait.” Laisser chacun développer sa propre vision comme lui arrive à le faire, c’est ce qu’offre Makala à ceux qui le comprennent : les amateurs de sport, les assoiffés de belles performances et les esthètes, ceux que l’élégance hypnotise.