Si beaucoup l’ont découvert avec la sortie de Bleu Gospel, en 2021, considérer Tuerie comme un jeunot serait une erreur. Le Boulonnais distribuait déjà les punchlines il y a plus de 10 ans. Sur des freestyles ou des feats, les archéologues de Youtube, comme il les appelle lui-même, peuvent trouver les vestiges de cette époque, celle non pas de Tuerie, mais de Tuerie Balboa. Un puncheur, dont certaines phases pouvaient déjà faire l’effet d’un uppercut à l’époque.
Mais distribuer quelques phases, ça ne remplit pas le frigo. Et lorsque, dos au mur, Tuerie a perdu son travail, c’est dans la musique qu’il a choisi de se jeter corps et âme pour donner naissance à son premier succès, sa première œuvre majeure : Bleu Gospel. Un EP de 8 titres dans lequel Tuerie a présenté son parcours, sinueux, dur, poignant et illustré par les nuances d’un bleu profond. Le projet d’une vie, sorti avec ses frères de la famille Foufoune Palace.
Mais que raconter, après le projet d’une vie ? C’est la question que le public du rappeur a dû se poser après avoir digéré Bleu Gospel… Et c’est aussi le défi qu’a relevé Tuerie en sortant Papillon Monarque. Un autre EP, une autre couleur et surtout d’autres soucis. Comme une suite de Bleu Gospel, ce dernier projet raconte le présent d’un rappeur ambitieux, d’un père de famille et d’un homme qui tente d’apprivoiser les démons qui le poursuivent tout en assumant les responsabilités que sa vie lui impose. Un nouveau chapitre donc, sur fond de compositions éclectiques, de mélodies inspirées, mais aussi de belles rimes et d’égotrip percutant.
C’est chez lui, dans les locaux de Foufoune Palace, que Tuerie nous a reçu pour discuter à la fois de son parcours atypique, de son dernier EP, Papillon Monarque, et plus largement de sa musique.
Tu viens de Boulogne, une ville importante pour le rap français. Qui sont les premières personnes qui t’ont donné envie de rapper ? Est-ce qu’il y a des rappeurs de Boulogne parmi elles ?
La première personne qui m’a donné envie de rapper, c’est un rappeur qui s’appelle Mase. Parce qu’à l’époque, j’avais des waves… Une époque bien lointaine (rires). Mase, c’était juste après Biggy et ça a été le protégé de Puff Daddy. Il avait une manière de s’habiller, une nonchalance, un flow que j’ai toujours kiffé. C’est vraiment le premier qui m’a donné envie de m’intéresser à cette culture.
Ensuite, il y a eu MC Solaar sur le morceau “All in my grill” avec Missy Elliott. C’est le premier couplet de rap que j’ai appris par cœur. Ensuite, il y a eu des JAY-Z, Eminem aussi parce que j’arrivais à relate par rapport aux choses qu’il vivait. Pour le rap français, je viens de cette pépinière boulonnaise. Du coup du point de vue technique, j’ai toujours regardé des Booba, des Dany Dan, des Salif… En plus de cette envie de rapper, ils m’ont aussi donné mes premières armes au niveau des placements.
Ces rappeurs que tu cites, les Booba, les Dany Dan, les Salif… J’imagine qu’en habitant à Boulogne tu les a croisés ou peut-être même que tu les côtoies. Ce sont des artistes à qui tu as fait écouter tes morceaux à tes débuts ?
Le premier rappeur iconique à qui j’ai fait écouter l’un de mes morceaux, c’est Dany Dan. Ça s’est passé en pleine rue comme ça.
Tu l’as croisée et tu lui as dit “écoute ça” ?
“S’il te plaît”, je lui ai dit “écoute ça s’il te plaît” (rires). Mais il a écouté et m’a répondu “well à la régulière yo, c’est chaud, c’est chaud, continue à pousser le truc yo”. Ça a été le premier à encourager un peu ce que je fais. Pour les autres, j’ai des relations qui ne sont pas forcément liées au rap, mais plus à l’affect avec eux. Ce sont un peu les grands reufs du quartier. En réalité, c’est ça ma relation avec le rap boulonnais.
Tu es une sorte de faux nouveau rappeur, dans le sens où ça fait longtemps que tu rappes. Il y a ce succès d’estime qui est arrivé avec Bleu Gospel en 2021, mais tu rappais déjà sous le nom de Tuerie Balboa avant, dans les années 2010. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’elle t’évoque cette période passée ?
Elle m’évoque un peu la fougue et la spontanéité. Mais c’est aussi une période durant laquelle je me cachais derrière des mots. À cette époque je faisais peut-être 80% d’égotrip et 20% d’introspection. Là maintenant, j’ai fait le switch. Je pense que je me débrouillais bien avant, mais c’est juste que ça manquait d’âme, de profondeur.
Tu fais partie de Foufoune Palace. On a l’impression que c’est un peu plus qu’un simple label, comme une famille. Quand est-ce que tu as intégré ce collectif et surtout, qu’est ce qu’il t’apporte ?
Les membres de Foufoune Palace m’apportent beaucoup en tant que frère. On est tous Foufoune Palace avant même l’appellation. C’est juste qu’un jour, on a été obligé de mettre un tampon dessus parce que ça devenait sérieux. Mais sinon, c’est juste une bande de potes de très longue date qui a décidé de transformer leur tristesse en business.
En 2021, tu as envoyé Bleu Gospel, ton premier succès d’estime en tant que Tuerie. Un EP dense où tu racontes ton parcours et les épreuves que tu as traversées, comme une vraie carte de visite, comme le projet d’une vie. Est-ce que tu peux expliquer l’urgence de ce disque et pourquoi c’était important de le sortir pour toi ?
C’était urgent, parce que je venais de me faire virer comme un malpropre de mon taff de l’époque et je venais d’apprendre que j’allais avoir un fils. Donc tout tombait au même moment. Avec l’argent que je prenais en partant de mon travail, il fallait faire quelque chose. J’avais le choix entre un job lambda bien chiant pour assurer mes arrières ou me lancer à fond dans ce que je fais de mieux : la musique. Et ça a été cette espèce de saut dans le vide, sans parachute, sans rappel. C’est le pari le plus risqué de ma vie et celui que je regrette le moins. Tout simplement.
Et finalement, c’est ce qui t’a permis de te lancer à fond dans la musique.
Totalement. En fait, c’est ce qui m’a permis de faire de la musique aussi sincère. J’avais besoin que l’on me comprenne. Ce besoin, je l’ai assouvi avec mes frères d’une manière totalement folle parce qu’en étant autant dans l’introspection à cette époque-là, c’était… C’était “ovniesque”. Je me suis toujours dit “Mais en fait, je suis complètement fou parce que je raconte ma vie, mais tout le monde s’en bat les couilles”, alors que c’est ce qui m’a le plus rapproché des gens.
Il fallait que je reste moi-même et ça passe aussi par toutes ces facettes, me monter sous toutes mes coutures, montrer tout ce que j’écoute, d’où la diversité de sonorités. J’avais besoin, si ça marchait, que les gens comprennent que l’on ne peut pas me mettre en cage. Si j’ai envie de faire une balade, je vais faire une balade et tu vas te grailles cette balade. Si j’ai envie de faire un projet uniquement chanté, ce sera chanté. Si j’ai envie de faire du rock ou de la bossanova, ça va se passer… D’une certaine manière, il a fallu habituer le public à ce que ma musique soit celle du contre-pied.
Du coup, j’ai l’impression que Papillon Monarque, qui est un projet important même si c’est un format EP…
…Merci de le dire. Il faut savoir que quand tu arrives chez un distributeur et qu’il entend un projet comme ça, c’est “ok, on le sort en album”. Non, ce n’est pas un album. Ce sera un album quand il y aura les finances qui suivront mes ambitions. Pour moi, un album, ça doit être gigantesque. J’ai besoin de philharmonie. J’ai besoin d’aller chercher un artiste que j’aime à l’international, ou de collaborer avec mes frères. Là, il n’y a pratiquement personne en tant qu’artiste rap ou à voix, mis à part Hedges, qui est juste transcendant, mais qui est en fait, l’un des plus beaux instruments de ce nouveau projet-là.
Dans Bleu Gospel, tu te présentes, tu racontes ton enfance, tes traumatismes. Ces facettes que tu as montrées sur ce projet, elles sont toujours présentes sur Papillon Monarque, mais cette fois, c’est comme une suite, tu dépeins surtout ce qui se passe maintenant pour toi. C’est ancré dans le présent et en fait, ce sont les problèmes que tu vis au quotidien.
C’est totalement ça. C’est la première fois qu’on me le dit et ce n’est pas tout le monde qui capte que c’est assez rapproché dans le temps. Ça va très vite. À l’époque où je pose “27 Cèdres” mon fils fait du 27, là, il doit faire du 29 à peine. Donc oui, c’est l’énergie du moment et je voulais aussi mettre un coup de pied dans l’image attendrissante, le truc du gendre idéal ou de l’ami parfait qui sourit tout le temps que j’ai pu dégager avec Bleu Gospel. Il fallait absolument que j’aille encore plus loin dans la déconstruction, que les gens comprennent que je ne suis pas le mec parfait, loin de là. J’ai mes défauts, j’ai mes travers et je vous les offre. D’où aussi le titre, Papillon Monarque. À l’intérieur de ses ailes, il y a plusieurs veines. Ses veines symbolisent les différents traits de caractère du papillon monarque et par extension mes traits de caractère, dans le cadre du projet.
Il y a d’autres significations ?
Il y en a une deuxième. C’est ce côté un peu spirituel que tu retrouves dans “Là où on dort heureux”. Parce que le papillon monarque, quand tu le rencontres en Amérique du Sud, lors de la fête des morts, ça veut dire qu’un être aimé qui est parti pense à toi. Voilà, c’est le double sens du titre Papillon Monarque. C’est fou que ce soit le symbole de ces deux trucs assez différents : ça représentait trop bien ce projet.
Le papillon, c’est aussi voler, prendre de la hauteur. C’est quelque chose que tu fais sur cet EP, il y a des morceaux ou tu exprimes ce que tu penses du toi d’avant. Par moment, c’est avec bienveillance, sur G par exemple et d’autres fois, c’est violent, avec des choses très personnelles, le viol subit par ton père, des pensées négatives que tu avais par rapport à d’anciens amis à toi etc… Et au début de l’Ep tu dis : ”Je suis payé pour vider mon sac”. Est-ce que c’est ce que la musique te permet de faire une sorte de thérapie de ce que tu as fait avant ?
Aujourd’hui, je comprends qu’il y ait des vertus thérapeutiques, mais ce n’est pas une thérapie complète. Par exemple, Bleu Gospel, là où je pensais que ça allait totalement me sauver, ça a juste ouvert la boîte de Pandore. Maintenant, il faut la refermer et pour ça… Il faut beaucoup d’efforts, ça demande un vrai travail. Et puis oui, c’est paradoxal, mais je suis vraiment payé pour vider mon sac. Certes, j’essaie de faire de la bonne musique. Mais il y a certainement, indéniablement, l’envie pour des gens qui ont déjà écouté Bleu Gospel de savoir “il s’est passé quoi ensuite ?”
Oui, en tout cas, ça a été ma réaction. Bleu Gospel, c’était tellement dense, je me suis dit “mais qu’est-ce qu’il va nous raconter maintenant” ?
Déjà, c’est… C’est de l’art. J’ai encore l’occasion et la force de me raconter. Mais je pense que si un jour les barillets sont vides au niveau de l’introspection, je passerai à quelque chose qui est plus grand que moi, c’est-à-dire les autres : mes proches vivent des choses, ont leurs expériences, qui me nourrissent. Et je ne suis pas quelqu’un qui lit énormément, mais j’arrive à lire à travers les gens, à travers ce qu’ils ont vécu. Ça aussi, ce sont des choses qui nourrissent mon art. Donc, je ne me fais pas de soucis, je n’ai pas peur du syndrome de la feuille blanche et de toute façon, je n’ai pas le choix en fait. Je ne suis pas sorti d’affaires.
C’est ce qu’on comprend sur l’EP. Là ou ça finissait sur une note très positive pour Bleu Gospel, aujourd’hui tu exprimes un état brut comme si tu nous disais “Là ça ne va pas”.
C’est exactement ça !
Quelque chose m’a surpris dans le morceau “G/Bounce”, c’est la seconde partie, “Bounce”. Il y a ce flow de colère pure et d’ailleurs, dans le mini-film que vous avez sorti pour illustrer le projet, on voit cette colère, c’est même un truc physique. D’où te vient-elle et est-ce que ton fils, qu’on entend à la fin du morceau quand elle s’arrête justement, est la seule personne qui arrive à calmer ce sentiment-là ?
J’ai l’impression que le vrai état de calme, de plénitude, se retrouve dans le pays caché dans les yeux de mon fils. Je pense que c’est là que je suis le plus en paix. Le deuxième endroit, c’est en studio. Et j’ai voulu, avec Steven (Norel, son réalisateur), la partie “Bounce” aussi intense. C’est pour ça que tu vois les gens dans une espèce de transe dans le film, parce que ça représente tous les trucs qu’on ingurgite, qu’on nous impose et qu’on décide de rejeter. C’est un peu comme le moment où il y a de la pub sur Apple, Spotify ou Youtube et tu craques, tu décides de prendre le premium pour t’en débarrasser. Pour moi, c’est le “vas-y j’en ai marre”. Je me mange du racisme à outrance, j’en ai juste marre de la connerie et c’est une manière de dire que je vomis le truc. Il y avait déjà ce côté-là sur le morceau “Prêche !” dans Bleu Gospel, c’était criard, un peu contestataire. Et puis quand je me retrouve à parler avec certaines personnes de maison de disque, j’arrive avec un hoodie Foufoune Palace les mecs, ils me voient comme “Ah putain encore les syndicalistes, les marginaux ! C’est eux !” Donc ça représente cette énergie-là aussi et du point de vue personnel, c’est la colère que je n’arrive pas à contenir.
On sent, en écoutant Papillon Monarque, que tu es un peu entre deux feux de manière permanente. L’exemple le plus marquant, c’est peut-être le paradoxe entre ta vie de rappeur et celle de père. “Encore quelques mauvais choix et je dors sous le pont de l’alma”, cette phrase m’a interpellé, parce que j’ai l’impression que tu es sur le fil en permanence par rapport à cette vie paradoxale. Comment tu arrives à garder l’équilibre entre ta vie de rappeur et ton autre vie ?
C’est la collection de sacrifices qu’il faut pour pouvoir vivre de ce métier-là. C’est vraiment un métier à haut risque, parce que tu sacrifies du temps, tu sacrifies ta famille par la même occasion. J’ai perdu beaucoup de plumes juste pour pouvoir vivre de cette passion-là.
Et puis la phase “encore quelques mauvais choix et je dors sous le pont de l’Alma”… J’ai travaillé dans le social. J’ai côtoyé des gens à la rue et parfois, c’étaient des personnes qui étaient pleines aux as avant, mais il s’est passé un petit truc qui a touché leur cœur et ils se sont retrouvés à la dérive, échoués, dans une situation dans laquelle ils n’auraient jamais dû être. Et quelques fois, j’ai l’impression de flirter avec ces choix qui peuvent mener les gens à la perdition.
On comprend à la fin de l’EP, sur “Là où on dort heureux”, que tu as perdu quelqu’un qui t’était cher. Et tout au long du projet, c’est comme si tu appelais cette personne, sur certains morceaux comme “No More” par exemple. J’ai l’impression que c’est ta mère ? Mais je ne sais pas, tu restes assez flou sur l’identité de cette personne…
Et tu as le droit de supposer ça (rires). Je te coupe parce que, non, ce n’est pas ma mère, mais en réalité, c’est un mélange de deux personnes. C’est ma grand-mère et c’est une tante que j’aimais de toutes mes forces. Je n’ai pas appelé le morceau grand-mère ou par le nom d’une personne partie, parce que je voulais ce titre comme le pansement de tous ceux qui ont rencontré cette espèce d’émotion. Tu sais, quand on ressent cette injustice, quand tu as l’impression que le ciel te confisque les gens que tu aimes le plus. Et on est forcément tous amenés à vivre cette épreuve. Il fallait que les gens sachent qu’ils ne sont pas seuls à ce moment-là. C’est pour cette raison qu’à la fin du track, je dis que la personne ressemble à mon fils, pour qu’on comprenne que l’être perdu est proche de moi.
Sur Papillon Monarque, il y a plus d’égotrip que sur Bleu Gospel. D’une manière générale, ça montre aussi que même si la proposition musicale est très éclectique, ton truc, c’est le rap. Pourquoi, c’était important de montrer ça, de mettre plus d’égotrip dans ta musique ?
Parce qu’il y a des moments où il faut remettre l’église au milieu du village (rires). Mais c’est le rap que j’aime. Et c’est aussi pour rappeler aux copains “ne vous inquiétez pas, je l’ai toujours ce truc.”
C’est vraiment distillé sur presque tous les morceaux.
Ça se sent sur le projet au niveau de la musique, mais même visuellement, quand tu regardes la pochette, c’est tout en puissance. C’est de dos, il y a la musculature imposante, le cuir… Et le papillon, c’est comme une légère touche de sensibilité, comme pour dire qu’il y a encore de la sensibilité, mais attention, le boug qui est là-devant vous, il y a quelqu’un qui a appuyé sur le bouton rouge feu et ça va péter.
Sur “Reconnu sans être riche” tu abordes le sujet du succès d’estime en profondeur. Il y a aussi quelques phases distillées à ce propos tout au long de l’EP. C’est quelque chose que tu connais bien depuis Bleu Gospel, puisqu’il a reçu pas mal d’éloges dans le milieu rap. Peut-être que c’est dit de façon maladroite, mais j’ai l’impression que le succès d’estime ça t’a un peu saoulé.
Non, tu ne le dis pas mal, parce qu’en fait, il n’y a que quelques lettres qui séparent “roi sans couronne” de “roi sans cojones” et c’est chiant. Ça va avec “ Ça pue la merde d’être reconnu sans être riche” , le refrain du morceau. Genre, on me dit “mec, c’est trop ta musique, elle déchire, tu m’as aidé pour ci, pour ça…”, Ok, mais qui m’aide moi ? Tu vois, j’ai besoin d’améliorer ma vie. Je ne suis pas prêt à faire de la musique jetable pour ça, mais c’est le petit coup de gueule, je tape du pied quoi. Quand tu te bats de toutes tes forces et que tu t’es autant sacrifié pour faire de la musique qualitative, tu as envie qu’il y ait aussi un retour.
Évidemment, on parle de rap, mais tu as beaucoup d’autres influences musicales ! Soûl, RnB, même un peu de variété… On perçoit tout ça et même plus sur Papillon Monarque. Et en même temps, tu as une patte, une ligne de conduite. Comment tu fais pour avoir cette D.A aussi poussée avec autant de facettes musicales ? Et comment tu bosses avec tes compos là-dessus ?
J’ai un binôme à la réalisation, qui s’appelle Kedyi, qui était déjà là sur Bleu Gospel. Je pense qu’on fait les choses très très spontanément et qu’on s’est entraîné pendant des années à savoir ce qu’on n’a pas envie de faire. Du coup, notre filtre est assez aiguisé, on sait ce qu’on ne veut pas faire. Pour Papillon Monarque, on a appelé beaucoup de monde, mais on a appelé des avengers, des mecs qui excellent dans leur domaine. Par exemple Har2nok, quand on l’appelle, c’est parce que personne ne fait cogner une prod avec autant de brutalité. Pareil quand j’appelle StillNas pour me sauver la vie et faire renaître de ses cendres un morceau comme G.
G a failli ne pas voir le jour ?
Oui, il y a eu une première version, mais le compositeur nous a fait comprendre qu’il n’était pas amoureux du titre et qu’il allait falloir 10 000 euros pour qu’il lâche le morceau. 10 000 euros, c’est ce que j’aimerais donner à tous les gens que j’aime et que je connais depuis très longtemps, sur ce projet. Du coup, je me suis retrouvé dans une sale situation, j’ai même failli lâcher et mon frère StillNas m’a dit “non, non t’inquiètes même pas, on va le faire ce morceau”. Il est venu ici dans les locaux de Foufoune Palace et il a rattrapé le truc, il a posé les mélodies. Ensuite, on a appelé Mike Bangerz qui était, encore une fois, en Afrique du Sud. Il nous a dit “Vous faites toujours de la musique sans moi ! Ça suffit, envoyez-moi les pistes !” (rires), et il a joué la basse. Har2nok a fait les drums et Liasse a fait une section mélodie sur l’intro. C’est comme ça qu’on a retrouvé ce morceau et c’est ce qui fait que c’est le titre que je préfère dans ma carrière : parce qu’il y a eu énormément d’amour, énormément de solidarité quand les gars ont vu que j’étais mal pour ce titre-là.
Et ça se sent, c’est un morceau très lumineux par rapport au reste du projet.
Exactement, exactement. En réalité, c’est mon côté chef d’orchestre, DA qui intervient quand tu as autant de compositeurs. Il faut juste que les gens te fassent confiance et on a eu de mal parce qu’on avait Bleu Gospel comme carte d’identité. Donc quand on a appelé les gens, ils sont venus, mais directement en un claquement de doigts. Il y avait, comme je le dis souvent, le sigle appellation d’origine contrôlée sur ma musique donc les compos se disent “Ok, on ne va pas se ficha”. C’est aussi ta responsabilité quand tu appelles ces gens-là, il faut honorer leur présence.
Le bleu, c’était une couleur très importante pour Bleu Gospel. Là, tu es passé sur un orange qui peut tirer un peu sur le rouge. Qu’est-ce qu’elle incarne cette couleur pour toi ?
Le rouge, je le laisserai à Prince Waly qui a une pochette qui n’est pas si lointaine, mais c’était une autre urgence pour lui, j’ai l’impression. Alors que ma pochette ressemble plus à celle de Jäde sur son dernier projet, Météo. C’est marrant parce qu’elle sort de l’eau sur cette cover-là et moi, sur Papillon Monarque, j’ai cette envie de sortir de l’eau. Il y a une espèce de sunset. Et ce orange, comme pour un lever ou un coucher de soleil, c’est parce que tu sens que l’on va changer de température. Que l’on va passer à autre chose.
Et en même temps, ça met la lumière sur ce qu’il se passe.
Exactement, c’est aussi pour ça qu’on a choisi cette couleur et par je ne sais quelle coïncidence, ça allait trop bien avec le papillon.
Je voulais finir sur la théorie des galets. On en a discuté la dernière fois que je t’ai interviewé. À l’époque, tu m’avais expliqué que lancer un galet, c’était comme se lancer dans un projet dans la vie : on ne sait pas combien de ricochets, on va faire, on ne sait même pas trop parfois où on va, mais on lance et on voit ce qui se passe. J’y ai pensé lorsque j’ai entendu “c’est vers les étoiles que mon galet fait des ricochets” sur “Handicap Match”. La dernière fois, tu m’avais dit que tu voulais lancer tranquillement, cette fois j’ai l’impression que tu sais où tu vas.
J’ai décidé d’essayer de lancer le plus loin possible. Peu importe ce qui se passe. Et c’est ce que je t’expliquais avec la théorie des galets… En réalité, c’est toi qui décide. Si tu lances le galet juste devant toi, ça va tomber là et t’éclabousser alors que si tu lances loin, tu peux toucher quelque chose juste plus loin et tu vois et j’ai décidé d’envoyer ça vers l’infini. Et on verra bien où ça me mène et de toute façon, j’ai déjà fait trop de sacrifices pour reculer donc il faut que j’aille au bout du truc.