« Il n’existe réellement que trois sports : la tauromachie, l’alpinisme et les sports automobiles. Tout le reste ne sont que des jeux ». Si l’on s’en tient à la définition d’Ernest Hemingway, la vie de Naomi Schiff n’a jamais été un jeu.
Aussi vite que les monoplaces qu’elle analyse désormais pour Sky Sport, l’ancienne pilote de 29 ans se téléporte de la chaleur du Grand Prix d’Espagne à l’Est parisien, où mes grands gestes attendent la sortie de son taxi. Ici, les rares accélérations qu’héberge le périphérique sont moins bruyantes que les paddocks qu’elle arpente dans le monde entier. C’est désormais là, au milieu des pilotes et des mécaniciens qu’elle vit, les oreilles bouchées par le rupteur des V6 turbo et les retours de sa régie.
Née à Anvers en Belgique, Naomi quitte à 4 ans son pays natal pour suivre son père en Afrique du Sud. Comme lui, elle tombe amoureuse des sports automobiles après avoir passé une fête d’anniversaire dans un karting. Naomi a 11 ans et « supplie » son père de l’emmener à nouveau. Après le judo, la natation et l’athlétisme, elle retournera vers la piste pour y consacrer sa vie.
À la différence des sports populaires qui, à l’instar du football et du basket, rendent le rêve accessible à qui peut s’équiper de peu, le sport automobile heurte cruellement celui ou celle qui ne pourra jamais se payer le rêve. « Le sport automobile est si cher qu’il est très difficile de prendre le risque de s’y consacrer entièrement », dit-elle avec un cynisme devenu bien trop familier. Pourtant, Naomi décide d’y croire. Après avoir obtenu son propre kart près d’un an après l’avoir découvert, la compétition commence. Naomi remporte quelques courses, et se propulse pied au plancher vers le niveau national. Deuxième des championnats d’Afrique du Sud, elle représentera à 14 ans le pays lors des championnats du monde. Privilège qu’elle répétera pendant quatre années consécutives.
Condamnée à l’itinérance forcée, collée à la vie de ceux qui dédient leur vie au sport professionnel, Naomi Schiff quitte adolescente l’abri du familier pour l’Europe, passage obligé pour quiconque porte l’ambition d’une grande carrière. Là-bas, elle y côtoie Max Verstappen et Esteban Ocon.
L’Europe s’étend au Monde au fur et à mesure que son talent se développe. En 2014, elle brille en Asie dans la compétition des Clio Cup, avant de revenir sur le vieux continent pour piloter dans les catégories GT, qu’on connaît plus familièrement par son appellation transalpine Gran Turismo. Au volant d’une KTM X-Bow, Naomi terminera deuxième de l’édition 2018 des prestigieuses « 24 heures de Nürburgring ».
L’année 2019 rapproche Naomi Schiff de son futur destin, alors qu’elle participe à la W Series dans une monoplace à mi-chemin entre une F3 et une F4. Inauguré la même année, le championnat uniquement réservé aux femmes œuvre pour leur promotion en vue d’accéder un jour à la Formule 1.
Pour Claire Williams, ancienne directrice de l’emblématique écurie éponyme et personnage central du sport automobile, les W Series « offrent aux femmes une plateforme qu’elles n’ont pas actuellement et accélèrent le processus de promotion des femmes dans le sport automobile. »
Si la compétition a guidé la vie de Naomi Schiff, son adversité ne s’est jamais limitée à la piste. Les efforts récents, timides, investis dans la promotion de plus d’égalité et de parité mettent tristement en exergue un constat accablant : le sport automobile est sexiste.
Anvers et contre tout :
Si tu me demandes ce que sont les obstacles pour une femme par rapport aux hommes, il y en a tellement. Il suffit de voir qu’il n’y a aucune femme qui pilote dans l’élite de ce sport.
Naomi Schiff
Graal du sport automobile, la Formule 1 symbolise l’ultime réussite d’un pilote dans son milieu. Pourtant, le rêve tourne à l’utopie lorsqu’il s’écrit au féminin. Dans l’histoire du sport, seules deux femmes ont connu le privilège de s’asseoir dans le baquet d’une Formule 1. Au crépuscule des années 1950, Maria Theresa de Filippis devient au volant de sa Maserati 250F la toute première femme à piloter une Formule 1. Une dizaine d’années plus tard, la Napolitaine sera succédée par sa compatriote Lella Lombardi, qui prendra le départ de 12 Grand Prix. Depuis 1976, plus rien.
Sac : Kenzo
Gants : Custom
Sac : Kenzo
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Marquée par une omniprésence masculine, la Formule 1 n’exclut pas explicitement les femmes de ses compétitions. Pourtant, l’accession à la catégorie la plus prestigieuse du sport automobile discrimine automatiquement le genre sur la base de leurs capacités physiques. Bien renseignée, Naomi Schiff ne manque pas l’occasion de s’attaquer à cet éléphant sur la piste : « Quand tu arrives dans la succursale de la Formule 1, en F2 ou F3, il y a tout bonnement une barrière physique dont personne n’ose parler. On essaie de promouvoir l’idée que les hommes et les femmes peuvent s’affronter à armes égales, mais il faut mentionner ces contraintes physiques. »
En effet, si la Formule 1 bénéficie d’une direction assistée qui facilite, comme pour toute automobile, la maniabilité du volant, ses petites sœurs de la F2 et de la F3 ne jouissent pas du même privilège. « Si on demande à n’importe quel pilote ayant conduit une Formule 1 et une Formule 2, il te dira que conduire une monoplace de F2 est plus physique », poursuit Naomi. Et elle a raison. En 2019, quelques mois après avoir intégré l’écurie McLaren pour sa première saison en Formule 1, le Britannique Lando Norris expliquait comment la Formule 2 « était bien plus éprouvante physiquement », « que les gens ne réalisent pas à quel point cette monoplace est plus difficile à piloter que la F1 ».
Désavantagées, les femmes qui réussissent la performance de se hisser jusqu’aux catégories qui les rapprochent de l’illusion F1 voient leur ascension stoppée instantanément. Dans l’incapacité de piloter une monoplace aussi bien que leurs homologues masculins, leur talent n’a plus aucune chance de pouvoir se matérialiser par des résultats concrets. Ainsi s’effondre, inéluctablement, l’aspiration de toute pilote.
Pilote de développement pour l’écurie de Formule 1 Alfa Romeo de 2018 à 2021, Tatiana Calderon sert de pavillon témoin au plafond de verre évoqué par Naomi : « En Formule 3, elle s’est débrouillée pour être dans le top 10. Avec une direction assistée, elle aurait certainement fait mieux. Tatiana est ensuite allée en F2 et s’est constamment retrouvée à l’arrière de la course, car elle ne pouvait tout simplement pas tourner le volant. »
« Ça n’est pas une question de donner aux femmes un avantage », conclut-elle, « mais favoriser un système plus égalitaire. Je suis persuadée que nous pouvons piloter à égalité, mais il faut changer le système depuis ses racines pour qu’une femme puisse arriver un jour en F1. »
Le combat pour une mécanique plus juste s’ajoute à une vision archaïque de la femme dans le sport automobile. La sur-représentation des hommes dans une discipline où personne ne cultive la pensée concrète que l’une d’entre elles puisse un jour rivaliser sérieusement invisibilise la femme de tout cet environnement. Meilleur argument marketing de la Formule 1 ces dernières années, la très populaire série Netflix Drive to Survive perpétue le mythe d’une F1 hyper masculine. En mars 2023, l’association Female in Motorsports (FIM) notait que sur les dix épisodes de la cinquième saison, les femmes n’avaient eu la parole que six minutes et sept secondes sur les six heures et demie de la série. Un total famélique de 1,54 %.
Nouveau départ :
Longtemps, Naomi Schiff a poursuivi ce rêve. Puis elle a fini par déchanter, elle aussi. Le chemin de croix d’une femme pilote de course peut lui aussi se diviser par quatorze, tant les épreuves posées sur la route de cette aventure sont nombreuses. La passion qu’elle a choisi d’aimer fait payer à son rêveur le tribut impitoyable des souffrances injustes. Dans le sport automobile, la sélection des futurs champions est avant tout une question d’argent.
Lutte permanente faite de sacrifice et d’incertitude, la carrière de Naomi Schiff se vit littéralement course après course : « Le sport automobile est vraiment très cher, c’est un sport qui ne t’offre aucune garantie. De mes 18 ans à mes 26 ans, ça a été très dur. Je n’avais pas assez d’argent pour faire un championnat entier, alors je faisais une course ici et là. Il n’y avait jamais de continuité. Je ne savais jamais à quoi m’attendre le lendemain, je ne pouvais pas me projeter. Quand tu es jeune, et que tu es tant investie dans le sport, tu ne réalises pas la valeur de l’argent. Mais quand je suis arrivée en Europe, que je me suis retrouvée seule et que j’essayais de percer sans argent, c’est là que j’ai réalisé à quel point ce sport est sexiste, fermé d’esprit, et qu’il est extrêmement difficile pour une femme d’y réussir. »
Au combat du genre s’est ajoutée la bataille économique. Au fil des ans, Naomi Schiff combat cet adversaire bien plus coriace que tous ceux qu’elle croise sur la piste. Malgré ces sacrifices inhérents à la pratique de son sport, Naomi range finalement la combinaison ignifugée qu’elle aimait tant porter. « Le sport automobile est vraiment très cher. C’est un sport qui ne t’offre absolument aucune garantie. C’est quelque chose que j’ai fait pendant seize années, et que j’ai simplement arrêté parce que je n’avais plus d’argent. »
Hors du baquet, Naomi Schiff se met au service de son sport. Analyste pour la chaîne de télévision britannique Sky Sports, elle décortique et commente chaque Grand Prix, en plus de la tâche sporadique des interviews d’après course pour F1 TV, la chaîne officielle de la Formule 1. Si celle qui se rêve sage-femme dans une autre vie aurait pu définitivement quitter les paddocks, cette nouvelle opportunité l’a installée comme l’une des personnalités les plus pertinentes des sports mécaniques.
Journaliste F1 au sein de la référence télévisuelle anglophone de la discipline depuis plus d’une décennie, Natalie Pinkham raconte pour Views l’impact de Naomi au sein de Sky : « Naomi apporte une grande énergie à notre équipe. Elle pense comme une pilote. C’est dans son ADN. Elle parle avec la passion de quelqu’un qui est toujours enthousiaste et capable de faire de la compétition. D’un point de vue personnel, j’adore l’avoir à mes côtés lors des courses. c’est la joueuse d’équipe par excellence et elle est très amusante. »
Au micro, Naomi ajoute une casquette d’ambassadrice qui concentre désormais son combat pour faire de la Formule 1 et du sport automobile des disciplines plus justes, inclusives et paritaires. « Susie Wolff m’a déjà consultée pour travailler sur des questions d’inclusivité », dit-elle avec admiration pour l’ancienne pilote de course écossaise. « Elle connaît très bien ces sujets, et en étant la seconde moitié de l’un des couples les plus influents de notre milieu, elle a accès à des personnes haut placées. »
Jupe : Sankuanz
Bolero : House of Campbell chez Studio Paillette
Jupe : Sankuanz
Bolero : House of Campbell chez Studio Paillette
Deuxième moitié de ce power couple, le directeur de l’écurie Mercedes-AMG Toto Wolff tient la carrière Naomi Schiff en très haute estime. « Comme le dit le proverbe : on ne peut pas être ce que l’on ne voit pas », explique-t-il à Views. « Naomi joue un rôle extrêmement important dans le sport, car non seulement elle fait un travail de classe mondial, mais elle montre aussi aux jeunes femmes qu’une carrière pluridisciplinaire est possible dans le sport. Naomi a été pilote, travaille maintenant pour le plus grand radiodiffuseur du sport, et sa vaste expérience l’aide à faire un meilleur travail dans son rôle. » Pour l’Autrichien, Naomi ouvre la voie pour des femmes qui pourront, grâce à son exemple, encore plus prospérer : « En tant que sport, nous devons continuer à travailler pour développer des opportunités pour les talents féminins de percer, dans toutes les disciplines qui contribuent à notre succès global. »
Humble, Naomi insiste sur les éloges dédiés aux personnes qu’elle admire sans se mettre en avant. C’est à travers les mots de Toto Wolff, ou en la questionnant longuement, qu’on comprend réellement l’influence qu’elle a dans la F1. « Je me rappelle d’une conversation avec Sergio Perez », raconte-t-elle entre deux gorgées, « il m’a parlé de la W Series et m’a demandé pourquoi on ne voyait pas plus de femmes se développer dans le sport. Il n’était pas au courant de la contrainte physique que peuvent rencontrer les femmes pilotes. Il m’a dit : ‘En tant que leaders du sport, on pourrait mettre la pression sur la FIA pour faire changer les choses’. »
En première ligne :
Étape inéluctable qui attend les personnalités dites « publiques », Naomi Schiff a dû affronter son lot de critiques. Cruels, les détracteurs numériques, dont la photo de profil est aussi inexistante que toute forme d’intelligence, se déchainent sur elle. Avec violence, ces comptes Twitter n’insultent pas seulement ses compétences, mais son physique, son genre, son apparence et sa couleur de peau.
Suite à ces abus en ligne, Naomi Schiff est publiquement défendue par les plus grands noms de la discipline, à l’instar de Sebastian Vettel et Max Verstappen. S’il est toujours bienvenu d’être validée par les meilleurs de son domaine d’expertise, l’épisode a touché en plein cœur la plus grande difficulté de son métier. « Comme je n’ai pas eu la carrière que beaucoup de mes collègues ont eue, qui sont pour la plupart des anciens pilotes de F1, c’est difficile de gagner le respect autour de moi. Mais le plus dur, c’est de lire avec les commentaires de haine. Je me considère comme quelqu’un qui peut énormément encaisser, et je me suis toujours promis que je ne serais pas quelqu’un qui accorderait de l’importance aux commentaires et que je ne les lirais même pas. Je me suis rendue compte que non seulement je les lis, mais j’y accorde aussi de l’importance. »
Vulnérable, Naomi encaisse des coups que certains heurtent plus que d’autres : « Tout ce qui concerne les insultes raciales, cela ne me dérange pas. Ça me dérange pour toutes les personnes qui le verront et qui pourront s’y identifier, mais ma couleur de peau n’est pas un complexe. Je me sens juste mal pour les gens qui font ce genre de remarques. La crédibilité et les critiques sur ma légitimité m’affectent beaucoup plus. S’ils parlent de mon poids, cela me touche aussi, car c’est un complexe. C’est triste parce que tu retiens toujours un peu plus les côtés négatifs que les côtés positifs. »
Héros dynamique :
De tous les soutiens qu’elle reçoit, celui de Lewis Hamilton est le plus véhément. Interrogé pour Views, le pilote Mercedes appuie sur l’importance de Naomi Schiff au sein du paddock : « Naomi joue un rôle fondamental dans la lutte pour une meilleure représentation de notre sport. Grâce au travail acharné de personnes extraordinaires comme Naomi, la F1 commence à changer pour le mieux », explique-t-il. « Elle montre aux jeunes filles du monde entier qu’il y a une place pour elles dans ce sport et que leurs rêves sont possibles. En tant que femme noire, Naomi apporte une perspective différente qui est très précieuse, car elle connaît également très bien la course automobile. Elle utilise sa propre expérience en tant que pilote pour apporter un éclairage incroyable. Elle a un talent exceptionnel et il n’y a pas de meilleure personne que les jeunes filles puissent admirer. »
Lorsque j’évoque avec elle le soutien public du septuple champion du monde de Formule 1, Naomi sourit instantanément. Symbolique, leur relation a guidé sa vie et sa carrière. « Ma relation avec Lewis débute bien avant qu’il ne sache qui je suis. Il débute en Formule l’année où je commence le karting professionnellement. En Afrique du Sud, le paddock est relativement multiculturel car les mécaniciens sont souvent noirs. Donc je n’étais pas complètement seule dans cet environnement. Mais pour ce qui est de la piste, là j’étais vraiment toute seule. Lewis a toujours été le seul qui me ressemblait vraiment. Il a toujours été mon role model depuis que je suis enfant. »
Depuis plusieurs années, le pilote Mercedes s’est imposé comme le porte-voix majeur du monde de la Formule 1 concernant les combats sociétaux par lesquels il est directement concerné. À travers sa fondation « Mission 44 », Hamilton s’engage pour favoriser l’inclusivité dans l’éducation des jeunes. Devant les micros, sur ses t-shirts et sur son casque, il défie la vison obsolète des dirigeants de la FIA qui voudraient confortablement exclure les opinions politiques personnelles du sport automobile.
« Dans le contexte de la pandémie et de Black Lives Matter, il a changé son approche et a commencé à se battre beaucoup plus pour la diversité et l’inclusivité dans le sport automobile. Il m’a contacté sur Instagram et depuis, nous avons une relation où il m’a beaucoup soutenu », explique Naomi. « Quand j’ai commencé à travailler pour Sky, j’ai été la première personne à l’interviewer. Il devait faire cette interview avec la chaîne et il a spécialement demandé à ce que ce je fasse cette interview. Ça a été une belle preuve de soutien de quelqu’un que je considère comme un allié. »
Lewis Hamilton se rappelle parfaitement de cette interview : « Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai été interviewé par un journaliste non-blanc avant que Naomi ne rejoigne Sky », rappelle le Britannique. « Il y a beaucoup de journalistes talentueux en F1. Mais Naomi comprend mieux certaines des choses qui ont fait de moi le pilote que je suis aujourd’hui. Lorsqu’il s’agit de relever le défi d’être l’une des rares personnes noires dans notre sport, nous savons toutes les deux à quel point cela peut nous isoler. Naomi ayant elle-même été confrontée à certains de ces défis, il était important de s’assurer qu’elle se sente soutenue et que tout le paddock soit là pour elle. »
Source d’inspiration :
Partager une rencontre avec Naomi Schiff plonge son auditeur dans l’odyssée des mille vies qu’elle a à raconter. Personnage étonnante à la trajectoire qui semblerait presque scénarisée, il n’est pas si surprenant de découvrir que le cinéma est aussi sa réalité. En catimini, Naomi s’est glissée dans l’un des films les plus regardé de ces dernières années. Doublure de l’actrice britannique Lashana Lynch, Naomi Schiff conduit suffisamment bien pour retirer son « A » et prendre le volant de l’Aston Martin DBS Superleggera de « Nomi », digne héritière du double-07 de James Bond dans No Time to Die. Un an plus tard, Naomi Schiff intégrera également le générique de Jurassic World : Le Monde d’après.
Si le sport automobile et le doublage cinématographique favorisent l’invisibilité de ceux qui y consacrent leur vie, Naomi détonne encore. « Quand tu es un pilote de course, tu passes énormément de temps sous un casque. Les gens ne savent pas à quoi tu ressembles. » Anonymisé, le monde de la Formule 1 a bénéficié de « l’effet Netflix » qui, depuis 5 ans, narre l’élite du sport automobile à coup de storytelling huilé qui fait ressortir les fortes personnalités. « Quand tu me disais que les gens ne connaissaient pas les pilotes de F2 ou F3. Il y a quelques années, personne ne connaissait les pilotes en dehors du top 5 », analyse-t-elle. « Aujourd’hui, on connaît tous les pilotes de la grille avec une perspective différente. À l’époque, tu supportais quelqu’un pour son équipe ou ses résultats. Maintenant, tu supportes aussi un pilote par affection. »
Jupe : Sankuanz
Bolero : House of Campbell chez Studio Paillette
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L’affection dont parle Naomi dépasse largement les baquets qu’elle prend comme pavillon témoin. Suivie par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, elle aussi jouit d’une grande visibilité. Modèle comme Lewis Hamilton pour l’enfant qu’elle était, Naomi Schiff inspire tout autant. « Je me rappelle d’une course lors de la fin de saison des W Series, il y avait des filles qui étaient venues grâce à l’association « Goals for Girls ». 80 % d’entre elles étaient de couleur et issues de milieux défavorisés. Premièrement, elles étaient toutes choquées que des femmes pilotaient. Énormément de filles ne considèrent même pas que c’est un sport qu’elles peuvent faire. La plupart d’entre elles restaient autour de moi en disant : ‘C’est déjà fou qu’une femme puisse piloter, mais comment ça se fait que toi tu pilotes ?’ Comme si j’étais une sorte d’alien. »
Au crépuscule de sa vingtaine, Naomi endosse pleinement la responsabilité du message qu’elle peut porter. « J’ai réalisé que j’inspirais des gens. La plupart des gens pilotent égoïstement. Ce qu’on fait, c’est tourner en rond. Collectionner des trophées qui sont bien moins chers que l’argent qu’on investit dans le sport. On pilote pour des récompenses, puis on les met sur une étagère et on se sent bien. Mais concrètement, on ne fait pas grand-chose. »
Humble, Naomi peut désormais consacrer son prométhéisme à la représentation qu’elle est devenue pour de très nombreuses jeunes filles. « Je ne peux pas te dire le nombre de messages que j’ai reçu de parents qui me disent : ‘Mes filles regardent la F1 parce qu’elles veulent te voir.’ Des filles viennent dans le paddock et pleurent parce qu’elles sont heureuses de se sentir représentées », poursuit-elle. « Pas simplement comme une femme, mais comme une femme de couleur. Je fais également très attention à cette représentation. Par exemple, je me trouve mieux lorsque j’ai les cheveux lisses. Mais je ne les porte pas comme ça devant la caméra parce que j’ai l’opportunité de représenter une beauté qui n’est jamais montrée, celle des cheveux afro. »
Profondément convaincue qu’une femme pilotera une Formule 1 dans les quinze prochaines années, Naomi appelle toutes celles qui partagent ce qui était son rêve d’y croire encore plus fort. Comme l’affirme le célèbre dicton twitterien, Naomi Schiff marche pour que toutes celles qui lui succèderont puissent courir. Bonne nouvelle, Naomi Schiff marche très vite.
Photographie : Moïse Luzolo
Texte : Matthieu Fortin
Direction artistique : Iris Gonzales
Video : Tony Raveloarison
Stylisme : Iris Gonzales
Graphisme : Noémi Bonzi
Production : Alice Poireau-Metge et Nicolas Pruvost
MUA : Daurianne Emboule
Set designer : Sabrina Forte
Assistant Set Designer : Louise Bourgeois & Nanna Greiersen