De “MTP Anthem” pour Ateyaba à “Tony Sosa” chez Booba, la discographie de Richie Beats regorge de morceaux que les amateurs de rap francophone connaissent bien. Et si vous ne voyez pas qui est ce beatmaker français, vous avez sûrement déjà entendu son tag “Oh my god” dans vos titres préférés, quels qu’ils soient.
En près de 15 ans de carrière, Richie Beats a collaboré avec un nombre d’artistes démesuré tout en développant son propre son, entre minimalisme et 808 assourdissantes. Un cocktail qui n’est pas sans rappeler le son Trap d’Atlanta, l’une des principales inspirations du producteur.
C’est cette énergie, cet amour du rap et des percussions retentissantes qu’on retrouve dans “Oh My God vol.1”, le tout premier album de Richie Beats en tant que producteur, sorti le 24 novembre dernier.
Comment tu as commencé la musique ?
Il faut savoir qu’à la base, j’étais DJ carribéen, donc je faisais beaucoup de sets dans des grosses boîtes antillaises qui tournaient bien. Je mixais des morceaux dancehall, du Vybz Kartel, du Elephant Man etc. Ensuite, je me suis mis à faire des remix pour mes shows et après j’ai commencé les prods. Je me disais “autant jouer mes sons en club plutôt que de jouer les morceaux d’autres gens ”.
Tes premiers placements du coup ce n’était pas des prods rap ?
Non, c’était de la dancehall. J’ai beaucoup travaillé avec des artistes et des crews guadeloupéens : Mortenal, SamX, Saïk, Young Chang MC… J’étais sur leur première mixtape. J’ai fait ma transition vers le rap avec eux justement. Ils faisaient tous de la dancehall et quand le crunk est arrivé on s’est tous mis à en faire, on était dans ce délire Atlanta, Lil Jon. C’est ce qui m’a fait switch.
À l’époque, quand tu commences les prods rap, qui sont tes références ?
Pharrell, Dr. Dre, Timbaland, Just Blaze, J Dilla et Kanye.
Qu’est-ce qu’ils avaient de plus que les autres ?
Ils avaient le meilleur son. C’était différent des autres. Et dans ce qu’ils dégageaient en tant qu’humain, c’était différent aussi. Même si tu ne les connaissais pas, tu pouvais les apprécier juste par leur lifestyle. Ce sont des gars qui se faisaient kiffer.
On parle de style et ça fait longtemps que tu fais des prods. De Ol Kainry à Kay The Prodigy, qu’est ce qui a changé dans ta façon de travailler, dans la patte Richie Beats entre celui que tu étais à tes débuts, et celui d’aujourd’hui ?
L’expérience. J’en ai beaucoup plus et on va dire que je suis beaucoup plus réfléchi. Ça m’amène à des choses plus précises, plus efficaces.
J’ai envoyé 30 prods environ, avant “Tony Sosa”. Booba répondait mais sans plus. C’était des réponses du style “bien reçu”. Pour “Tony Sosa” ça a été autre chose : “ça c’est noir”
Quand tu commences une prod, à quoi tu penses en premier, quel est l’élément le plus important pour toi ?
C’est complexe parce que quand j’étais plus jeune, je me disais que c’était le beat et les percussions. Mais la mélodie ramène quelque chose. Je pense que ça va de pair, je n’arriverais pas à décider, j’aime trop les percussions mais la mélo…
La mélo a pris de l’importance un peu plus tard pour toi du coup ?
Oui c’est vrai. Il y a une période où je samplais beaucoup quand j’ai commencé parce que justement, je ne connaissais rien à la théorie musicale. Et après seulement, je me suis forcé à arrêter de sampler, à composer moi-même. C’est là que j’ai capté de nouvelles choses.
J’avais vu dans une autre interview que tu te considérais comme un savant de la musique. Pourquoi ?
Oui c’est la science ! Ça veut dire que ce n’est peut-être pas des formules et des choses scientifiques au sens où on l’entend, mais là tu prends une lead que tu mets avec un sub que tu mets avec un clap… et tu peux faire quelque chose d’incroyable ! Pour moi c’est de la science au même titre qu’assembler des formules.
Avant d’aller sur le projet, il y a un artiste pour qui tu as fait deux très grosses prods et dont j’aimerais parler : c’est Booba. Comment s’est faite la connexion avec lui et comment c’est de bosser avec un monument pareil ?
Déjà la connexion, c’est Naadei qui est une très bonne amie à moi, pour qui j’ai produit. A cette époque-là, je lui envoyais des prods et elle essayait des choses. Un jour elle me dit, comme disent les canadiens : ““Je share la room” avec Booba, si tu veux je te passe son mail“. Je lui ai dit “let’s go” direct. Et j’ai envoyé 30 prods environ, avant “Tony Sosa”. Il répondait mais sans plus. C’était des réponses du style “bien reçu”. Pour “Tony Sosa” ça a été autre chose : “ça, c’est noir” (rires).
Tu as découvert un peu par hasard que tu étais sur la prod de Tony Sosa si je ne me trompe pas, tu n’as rien su en amont. Tu peux raconter ce moment ?
Booba était à la fin de l’album, au moment où je lui envoie la prod donc je suis un peu arrivé au dernier moment. Ensuite ça s’est enchaîné très vite. Il a enregistré le son, il est parti le clipper direct. Et il a balancé le single.
Moi quand j’apprends ça, je suis posé chez moi. C’est un pote qui m’appelle et me dit “le dernier Booba c’est toi ”. Je dis “Quoi ?! ” (rires). C’est trop lourd ! Et je découvre le son et au début je n’aime pas le son et à force de le réécouter… C’est un classique aujourd’hui. Mais j’ai été agréablement surpris, c’est un trop bon souvenir.
Pour aller sur le projet, Oh My God Vol.1, pourquoi c’était important pour toi, après avoir produit pour des dizaines et des dizaines d’artistes, pendant près de 15 ans, de sortir un projet ? Qu’est-ce qui t’as poussé à passer ce cap et finalement à le faire maintenant ?
Déjà, c’est beaucoup de cogite, beaucoup de potes autour de moi qui me disent “gars, il faut que tu laisses ton empreinte, que tu fasses quelque chose de sérieux”, on va dire. Parce que ce n’est pas que je ne faisais pas les choses sérieusement, je plaçais des prods mais je n’étais pas en Dr. Dre tu vois, je n’était pas en Alchemist. Je n’étais pas en Kanye. Je me suis dis “qu’est-ce qui me manque finalement” ? Et en réécoutant de la musique, je retombe sur “I’m So Hood” de DJ Khaled. Cette tape, c’était trop, c’était n’importe quoi. Et je retombe aussi sur la mixtape de Gangsta Grillz, la mixtape de DJ Drama, Je réécoute le premier album d’Alchemist… Je me suis dit que j’étais obligé de faire mon shit.
Il y a ce truc de laisser son empreinte à travers son propre projet et sa propre voie chez toi. En studio ça se matérialise comment ? Quelle est la différence entre faire une prod pour un artiste et faire une prod pour son propre projet ?
Quand tu fais la prod pour lui, il y a une partie de toi que tu dois oublier. Pas forcément tout le temps, mais tu es à son service par rapport à ce qu’il demande. Quand cette personne vient chez toi, c’est autre chose. C’est toi qui la sert, c’est toi qui décide… Donc c’est une autre manière d’aborder la façon dont tu travailles mais ça reste toujours bien quand tu choisis les bons artistes.
Une question sur ton tag, “Oh my god” qui est aussi le titre de l’album, d’où il vient ?
C’est Dieu tout simplement. Oh my god, oh mon Dieu. je voulais juste garder Dieu le plus près de moi dans la musique. Je suis tombé dessus dans un pack de sample de DJ et je me suis dit “woooow c’est ce qu’il faut ‘oh my god’“.
Le premier morceau que tu a sorti pour le projet, c’est “Chut!” avec Kay The Prodigy. Il y a un clip pour ce single, dans lequel j’ai remarqué que tu te mettais assez en avant. Et forcément, ça m’a fait penser à Metro Boomin qui a pris l’habitude de régulièrement se montrer. Est-ce que tu as en tête ce besoin, cette énergie de vouloir qu’on t’identifie visuellement ?
J’avoue que je n’ai pas pensé à cet aspect. Mais je me dis qu’à partir du moment où tu fournis un travail, te montrer, montrer aux gens que ça t’appartient et que c’est toi qui l’a produit, c’est assez normal.
Dans mon approche je voyais naturel d’être dans le clip, d’être avec Kay, de montrer qu’on est ensemble, que c’est une connexion et j’ai grave apprécié. Je pense même que ça devrait se faire plus souvent, qu’il y ait le beatmaker en plus dans les visuels ou dans les crédits. Et puis ça se faisait à l’époque ! Nous, on ne captait pas forcément parce qu’on ne connaissait pas toujours les beatmakers mais les compositeurs se mettaient en avant, et c’est assez logique puisque ce sont eux qui font le son… C’est aussi une manière de représenter.
Je pose la question aussi parce qu’il y a des beatmakers qui sortent des projets et finalement, soit il n’y a pas de clips, soit on ne les voit pas. Donc c’est un parti pris de se montrer.
C’est vrai, c’est un parti pris. Ça peut être grave lourd et bien marcher de jouer ce côté lowkey mais c’est dur à défendre aussi ! Je me dis que c’est mieux que les gens te voient plutôt que l’inverse et qu’ils ne sachent pas qui tu es.
On parle du clip avec Kay, c’est aussi le single, le seul extrait que tu as envoyé avant la sortie du projet. Pourquoi tu l’as choisie pour une première approche ? Parce qu’il y a des artistes qui sont plus exposés, qui ont plus de hype sur ton album…
Je n’ai pas de fille qui rappe dans mon projet, à part Kay. Il y a Biaziouka aussi mais elle chante. Et je me suis dit, arriver avec Kay alors que j’ai de gros noms derrière, lui donner la lumière d’ouvrir le bal du projet, c’était parfait. Elle arrive avec son rap, son flow, je la prends comme la rappeuse talentueuse qu’elle est, qui va faire du bruit et qui est déjà en place avec quelques grands. C’était déjà pour honorer sa prestation et mettre en avant aussi le rap féminin que je l’ai choisie.
Tu l’as rencontrée comment ?
En gros, je suis sur la fin du projet. J’ai 11 track et là je tombe sur “Prestige”, je kiffe direct, je la follow et je lui envoie “Viens on fait du son”. Elle me répond “Vas-y let’s go”. Ça s’est fait trop rapidement. Je crois même que 3 ou 4 jours après on était en studio, et on a fait “Chut!”. Et c’était fluide ! C’est vraiment ma go sûre, en studio c’est easy et j’aime beaucoup quand ça se passe comme ça.
Sur la tracklist, il y a des artistes qui viennent de milieux divers avec des façons de rapper et des codes assez différents. Ça va de Freeze Corleone à Biaziouka en passant par ThaHomey. Comment tu as imaginé le casting, est-ce que ce sont des artistes que tu avais déjà en tête avant de commencer à travailler l’album ?
Quand je commence un projet, je visualise le truc et j’y pense pendant des jours, non-stop. Avant de commencer le projet en 2021, j’avais déjà un tableau avec tous les noms. Il y a juste une personne que je n’ai pas réussi à avoir. Mais sinon, j’avais déjà le plan d’action en tête et je savais qu’avec du temps, j’allais pouvoir toucher tout le monde.
Tu étais dans une optique où tu voulais pousser les artistes dans leurs retranchements ou plutôt te mettre en avant, montrer ce dont toi tu es capable en choisissant des artistes pour sublimer des prods ?
Je les ai poussé dans leurs retranchements parce que je les ai tous fait rapper. Ils ont tous rappé, il n’y en a pas un qui a fait semblant. Quand on fait le son avec Alpha Wann, je lui dit “Vas-y frérot, là j’ai envie que tu m’envoies le rap”, il me répond “Pas de refrain ?” je lui dit “Je ne sais pas hein, moi c’est les raps”. Et sur le son “CDG” c’est parce que j’ai grave kiffé la partie “J’suis à CDG, Nike CDG…”, on l’a mise à nouveau comme une sorte de refrain mais à la base il n’y en avait pas. C’était un tout droit.
Justement sur “CDG”, le beat m’a un peu rappelé “Mitsubishi” que tu as fait pour lui, avec des percussions un peu dirty, lourdes et j’ai l’impression qu’en même temps il a de l’espace pour rapper. C’est quelque chose, je trouve, qu’il a pas mal commencé à faire sur la Don Dada mixtape. C’est lui qui t’as demandé ce genre de prod ou c’est plutôt une proposition de ta part ?
Moi, quand j’entends “Philly Flingo”, je me dis que ça y est on est parti là, on peut envoyer les bonnes prods lourdes. Quand il prend “Mitsubishi” déjà, je suis étonné moi-même parce qu’il faut savoir que la prod qu’on entend sur le morceau, c’est le début de l’instru originale. À la base, je faisais commencer mes prods juste avec les drums et après le tout rentrait. C’était mon style. Et en fait, “Mitsubishi” c’est le début d’une prod qu’il a pris et il m’a dit “Loop moi ça je veux rapper sur ça”. Il n’a vraiment pris que le moment où je lui ai passé les percussions, mais la prod originale c’est une tout autre prod. Carrément, si je te la fais écouter, tu ne vas même pas la reconnaître ! Je crois qu’à la base, c’était même Maes qui me l’avais mise de côté, donc vraiment rien à voir. Rien à voir !
Quand il a pris la prod, ça m’a conforté dans ce que j’avais remarqué avant : il était ouvert à la grosse drum, au 808 bien crade. Même quand il a sorti UMLA, il était déjà dans ce truc un peu dirty mais vraiment la Don Dada Tape, ça grogne énervé. Pour “CDG”, c’est ce truc très trap que je voulais, un morceau de rap qui tabasse, un truc lourd : tu mets ça en club, il faut que tu sois en mode “meeeerde” et que tu bouge la tête comme ça (il fronce les sourcils ndlr). Mon but dans presque chaque morceau sur Oh My God Vol.1, c’était vraiment de mettre en avant mon côté trap. C’est ce qui prédomine dans le projet parce que c’est important pour moi, ça fait partie de mon identité.
Atlanta, c’est le premier État que j’ai fait quand je suis allé aux États-Unis. J’ai pris toute la vibe et je l’ai ramenée dans mes valises.
Oui, parce que tu as cité Atlanta très tôt dans l’interview, j’ai l’impression que cette trap là, ces prods aux drums lourdes, c’est un peu l’une de tes principales influences.
Bien sûr. Atlanta, c’est le premier État que j’ai fait quand je suis allé aux États-Unis pour la première fois. Je suis parti à Atlanta, à Marietta et je suis resté 2 ou 3 semaines. J’ai pris toute la vibe et je l’ai ramenée dans mes valises. C’était au tout début de l’ère Richie Homie Quan et des Young Thug, un peu avant qu’ils arrivent au top. Ils étaient déjà là mais ils arrivaient.
Un autre artiste dont je suis obligé de parler, c’est Ateyaba. Avant le projet, tu avais déjà fait de gros morceaux avec lui comme “Jen Selter”, “MTP Anthem” ou “2014 à l’infini” par exemple. Et là, il a deux morceaux sur ton projet. C’est le seul. Pourquoi il a eu cet espèce de privilège ? C’était prévu ?
Ce n’était pas prévu. A la base il n’y avait que “Fly2LA”. Je savais déjà que j’allais le mettre, le morceau est incroyable. Et pendant que je faisais le projet, je lui envoyais des prods, il a posé sur celle de “Tagada”. “Fly2LA”, c’est vraiment une autre vibe d’Ateyaba, plus cool. Pour moi, il a plusieurs univers. Il est à la fois capable de faire des morceaux assez cools, assez suaves comme ça et il peut aussi poser des morceaux plus énervés dans le style de “Majeur en l’air”. Je voulais les deux univers et je me suis dit que c’était lourd d’avoir “Fly2LA” et “Tagada” pour les représenter l’un et l’autre.
C’est un artiste qui est assez singulier Ateyaba et qui provoque toujours beaucoup de réactions. Comment tu l’as rencontré et comment tu le décrirais ?
C’est la première personne que j’ai rencontrée virtuellement à l’époque. J’envoyais déjà des prods, c’était en 2010 avant même que je sois chez Goldeneye et tout. On se parlait déjà et je voyais très bien qui c’était, j’écoutais sa musique. Je crois que j’avais pris “Prêt pour l’argent” mais je l’avais download (rires). Et j’avoue, je me bousillais déjà à sa musique et dès que j’ai entendu Joke, que j’ai vu ce blaze là sur Internet à l’époque de Myspace etc, il avait déjà un buzz. Il rendait déjà les gens fous. Et moi c’était la première fois que j’entendais un mec faire l’Amérique aussi bien que l’Amérique. J’ai carrément signé à Goldeneye parce qu’il y a Blastar et il y a Joke. C’est vraiment eux qui m’ont motivé à signer, parce que Blastar c’est un grand sensei et que Joke, il est vraiment dans le turfu.
Ateyaba, il fait partie du top 10 voire top 5 de ces dernières années, facile.
Il est vraiment dans le futur quand on est en studio avec lui ?
Bien sûr, bien sûr. Tu vois quand il dit “J’ai voulu faire une passe et j’ai mis un but” ? C’est ça. Tu vas le voir bosser et après il va te sortir des trucs, tu vas te dire “Mais wesh à quel moment il a réfléchi à ça ? ” Tu sais moi je vois des gens gratter et ils réfléchissent, lui il ne réfléchit pas. C’est easy pour lui. Personnellement, je trouve qu’il y a de très bons rappeurs et je respecte tous les rappeurs en France mais Ateyaba, il fait partie du top 10 voire top 5 de ces dernières années, facile. Il est en place tu vois. Les gars de 25 ans aujourd’hui, ils peuvent te dire que Joke est un des meilleurs rappeurs qu’ils aient entendu parce que le mec, il a des métaphores, des phases…. Et ça depuis longtemps ! Depuis le franc !
Il y a un morceau avec ADZ qui est un artiste UK. Londres et les UK sont très présents en ce moment dans la musique mondiale. Comment tu as reçu cette vague là et comment ça t’a influencé, dans ta façon de travailler ?
Moi, je suis un mec de London. Ça veut dire que je vais au carnaval de Londres depuis 2010/2011. Et évidemment on sent l’influence des UK partout. Le morceau que Drake sample sur “One Dance” par exemple, c’est un son qui passe tous les ans au carnaval, c’est un peu le hit du carnaval. La drill quand elle est arrivée, je me la prends mais l’excès de violence qu’il y a c’est moins ma came, je vais plus vers des artistes comme Central Cee ou Knucks. Mais en règle générale, je suis fanatique des Londonniens. C’est eux la pop frère, ils sont trop forts. Dans les mélos, dans leurs albums, si tu regardes bien ce sont toujours de vrais instruments. Les gars sont pointus de fou et je sur-kiffe.
C’est quelque chose que tu as senti en faisant “Tempted” avec ADZ ?
Avec ADZ, ça s’est fait très naturellement, oui. On s’est rencontrés en studio, on a roulé un joint, on a discuté un peu, il m’a raconté sa vie, nous on lui a raconté un peu la nôtre. Et au bout d’un moment le petit ne parle plus, il s’enferme, il est sur son téléphone. Il gratte, il gratte, il gratte. Et il revient me voir, il me dit “j’ai presque fini” et je vois qu’il a un long texte! Un pavé ! J’étais choqué. En plus à l’époque je ne le connais pas, on est en séminaire, c’est la première fois que je fais du son avec lui donc je ne sais pas comment il pose etc. Eh ben, il va derrière et il pose ça en one shot. Ça veut dire que dans le son, il y a un moment tu l’entends sur “Tempted”, il dit “laisse moi boire un petit peu de jus”. En fait il avait rappé pendant 1min30, il a fait une petite pause avant de reprendre. Mais il est trop talentueux, 19 ans à peine et c’est un tueur, franchement c’est un tueur.
Quelle prod t’as demandé le plus de travail sur le projet ?
Je crois que c’est Freeze. Parce que je voulais que ça sonne bien en termes de mix. Ce n’est pas vraiment de faire la prod, parce qu’avec Flem c’était easy, on a déjà beaucoup collaboré ensemble. Mais c’était pour lui donner mon délire plus que celui de Freeze. Qu’on ressente dans le mix et la façon dont ça sonne que c’est mon univers.
Et à l’inverse la prod la plus facile ?
Je crois que c’était Kay hein… Kay et ThaHomey. ThaHomey en plus il y a un beat swish. Les deux sons, on les a fait le même soir hein ! Je t’ai même pas parlé de ThaHomey mais lui c’est ma révélation de l’année dernière. C’est le premier rappeur que j’ai vu bien rapper sans écrire. Il n’écrit pas.
Ça veut dire que le soir où on fait la session, je m’attends à ce qu’il aille dans la cabine pour rapper, ou au moins qu’il écrive pendant que l’instru tourne. Il me dit “Moi, je suis prêt” j’étais en mode “Comment ça “je suis prêt”, mais t’as pas écrit !” (rires). Avant de commencer il me demande s’il y a moyen de mettre le micro à côté de l’ingénieur du son. Moi je dis ok, mais je ne comprends pas trop. Il faut faire un autre set up pour monsieur, je ne le connais pas très bien, il rend ouf lui ! (rires). Du coup, je sors passer un appel et en revenant, je vois qu’on est déjà aux ¾ du son. Et il n’a toujours rien écrit. Et j’entends “Slam n**** j’arrive toujours à temps, j’ai mon backwoods je peux l’éclater devant”. Je me dis “genius” j’étais choqué. Le gars n’a rien écrit il a rappé, on a plié le morceau en une nuit et je crois qu’en plus c’est le morceau le plus long de l’album.
Tu n’es pas le seul beatmaker qui sort des projets en ce moment. Quel regard tu portes par rapport à cette mouvance-là, de remettre les beatmakers en avant ? J’imagine que c’est quelque chose que tu vois d’un œil positif ?
Je pense que c’est quelque chose qu’il faut normaliser, pour les beatmaker les plus jeunes comme pour les plus anciens. C’est la meilleure manière de s’exprimer en fait. Aujourd’hui, on a des plateformes, on peut sortir des projets, il ne faut pas hésiter à montrer notre travail, qu’on se montre ou pas, au moins montrer notre travail en dehors des placements. Parce que ça peut aussi créer une économie. Il peut y avoir des artistes qui t’appellent parce qu’ils ont entendu tes prods, ou même mieux, un artiste qui vient et qui te dit “vas-y je veux que tu réalises mon projet parce que tu sais réaliser un projet”. En fait, faire un projet ça ramène plus de corde à son arc que faire des prods. Parce que là on réalise un truc de A à Z.
Les beatmakers sont en studio, ils réalisent déjà en donnant des conseils en toplinant…
Mais c’est ce qu’il font tout le temps ! Je connais plein de beatmakers qui font des toplines. Mais ils sont tellement humbles, tellement en mode “C’est pour la culture”, qu’ils ne demandent même pas à être crédités alors qu’en vrai, ils pourraient demander. Et c’est normal, surtout si le truc c’est un hit.
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