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Bigflo et Oli, la vie en rose

Vingt-et-une dates en trois mois. Dans l’intensité d’un calendrier qui les a amenés jusqu’aux 40 000 spectateurs de la Paris Défense Arena, le 8 décembre 2023, Bigflo et Oli réussissent à arrêter leur temps dans les loges décorées d’un rouge intense du Zénith de Dijon. Il est 19 h, Bigflo pioche deux San Pellegrino dans le mini-bar de leur chambre éphémère, les pose sur la table qui nous sépare, et rejoint son frère sur le canapé qui affronte les fauteuils marron d’où nous poserons les questions.

Dans près de deux heures, les deux frères monteront sur la scène bourguignonne, quelques jours avant de s’envoler remplir le Centre Bell de Montréal, le Centre Vidéotron de Québec, et de passer quelques jours à New York. À 30 et 27 ans, Bigflo et Oli ont rempli à Paris La Défense Arena la plus grande salle de concert d’Europe, « entre eux, en catimini ». Un paradoxe pour ces rappeurs toujours en quête de leur légitimité.

Aurore toulousaine

Pour comprendre le succès de Bigflo et Oli, il faut retourner à Toulouse. Fils d’un père musicien et d’une mère agente de voyage, Florian et Olivio grandissent au cœur de la brique rouge des Minimes, dans un « petit quartier pavillonnaire » de la ville rose. L’enfance des frères Ordonez se nourrit du mélange parental argentino-algérien. « On a toujours grandi avec beaucoup d’univers différents », se souvient Bigflo, l’aîné de la fratrie. “Au centre aéré, on n’était qu’avec des jeunes qui ne venaient pas de milieux favorisés. Le soir, quand on rentrait, les amis latinos de mon père faisaient un barbecue à la maison. Le lendemain, nos tantes algériennes venaient manger un couscous”, poursuit-il. À l’héritage familial s’ajoute l’importance de l’ancrage local, immunisé par un accent devenu signature. Bigflo et Oli sont « Toulousaings ».

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Oli : Veste adidas, pull Amoses, pantalon P.O.Views
Flo : Veste adidas, pull Amoses, pantalon MM6
Sneakers : adidas

À Toulouse, l’art peine à se faire une place dans une ville phagocytée par l’omniprésence d’Airbus, du « Téfécé » et du Stade toulousain. « Quand on était ados, les seules choses qu’il y avait, c’était un open mic par mois organisé par des gars qui n’avaient pas grand-chose. Il n’y avait rien de mis en place », se rappelle Bigflo.

Rapidement, les deux frères cultivent l’obsession d’une carrière dans la musique sur laquelle ils s‘appuieront pour honorer leurs racines toulousaines. « Ça nous énervait qu’on ne parle jamais de Toulouse. On ne comprenait pas », regrette Bigflo. « Toulouse est une ville qui a beaucoup de mal à rayonner, finalement, à travers la France. » Les adolescents grandissent avec les fiertés locales incontournables, de Zebda à Claude Nougaro, dont les œuvres commencent à prendre la poussière.

Après « Rap Contenders Sud » dans lequel Bigflo, « moins de 50 kilos », et son petit frère Oli se révèlent, le rêve des deux frères commence à prendre forme au lycée. Sur les bancs de Saint-Sernin, Bigflo et Oli tournent le clip de “Pourquoi pas nous ?” (2012), dans lequel Orelsan accompagne leurs rimes de hochements de tête convaincus. À défaut de partager un featuring avec le rappeur caennais, acte manqué devenu mythe de la carrière du duo, Bigflo et Oli veulent comme lui, porter le drapeau de leur ville. « On s’est toujours dit que notre rêve était de mettre Toulouse sur la carte. Le succès de Bigflo et Oli a toujours été lié au rayonnement de la ville. »

À Toulouse, même ceux qui n’aiment pas notre musique nous respectent.

Oli

Les deux adolescents s’émancipent aussi vite que s’accroît leur succès musical. Bigflo et Oli voyagent en tournée, enchaînent les plateaux TV, mais n’abandonnent jamais la rue du Taur qui relie leur lycée au « Cap », surnom donné à la plus célèbre place de la ville. Les deux frères n’abandonnent pas non plus la rue Pargaminières, qui mène jusque Chez Tonton et au Saint des Seins, reliques culturelles de la Place Saint-Pierre, icônes de la vie nocturne toulousaine. « J’y suis encore impliqué à ma petite échelle », précise Oli. « Dès que je peux, je me déplace à des open-mic. Mes DMs sont ouverts et je réponds beaucoup. J’essaie de donner un peu de mon temps, un peu de force. » À Toulouse, Bigflo et Oli ne sont pas seulement les artistes au million d’albums vendus. « On a toujours eu ce rôle-là qui fait qu’à Toulouse, même ceux qui n’aiment pas notre musique nous respectent. Des gens ne nous aiment probablement pas, mais on s’est toujours sentis bien chez nous. »

Un festival à la maison

Pour marquer Toulouse de leur empreinte, Bigflo et Oli veulent incarner les événements de la ville. À l’évocation de Nipsey Hustle, dont l’héritage à Crenshaw sacralise l’emblème d’un artiste impliqué, les deux frères avouent leur admiration pour Jul, sa personnalité et son rapport à sa ville de Marseille. Depuis longtemps, les frères ont accumulé la frustration d’un manque culturel, qui voyait les grandes stars internationales à la Lil Wayne débarquer en Occitanie « toutes les années bissextiles ». L’idée murît jusqu’à les obséder complètement. Bigflo et Oli organiseront un festival.

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Oli : Manteau et chemise Kenzo, pantalon Lemaire, casquette P.O.Views
Flo : Ensemble Kenzo
Sneakers : Raf Simons x adidas

« On était dégoûtés de ne pas avoir de festival chez nous », lance Bigflo avant d’être repris par son petit frère. « Ça n’est pas dénigrant pour ce qui est entrepris ici, mais on parle d’un prisme ‘grand public’ », complète Oli. « C’est important de le dire pour devancer ceux qui pourraient nous reprocher de penser qu’on est les seuls. On sait qu’on n’est pas les seuls. » 

Au fur et à mesure que leur notoriété augmente, Bigflo et Oli commencent à croire que ce rêve peut se réaliser. « En grandissant, on s’est dit : “Est-ce que c’est nous qui allons le faire ?” », se souvient Bigflo. « Plus on gagnait de l’argent, plus on perçait, plus on avait des équipes en place. Au lieu de l’attendre, on s’y est mis ». Il y a cinq ans, le duo commence à poser les premières pierres d’un projet qui se précise un peu plus chaque année. 

Bigflo et Oli l’imaginent Place de l’Europe, à quelques mètres du jardin japonais et de son école de commerce, avant de déchanter. Les frères et leur équipe explorent 22 sites différents de la ville avant de trouver l’emplacement final. Le Rose Festival se tiendra au « MEETT », le Parc des Expositions et Centre de Conventions de Toulouse, imaginé par le cabinet OMA du célébrissime architecte néerlandais Rem Koolhaas.

Ainsi débute le joyeux processus de la création d’un festival de musique. À la tête de la direction artistique de l’événement, les deux frères s’occupent aussi de la programmation, que Bigflo assimile à un jeu vidéo. Avec plus d’un an d’avance sur l’édition concernée, le duo pose sur une feuille les artistes qu’ils veulent voir sur la scène rose du nord-ouest de Toulouse, à seulement quelques kilomètres de l’aéroport de Blagnac. Forcément, leurs appétences personnelles influencent naturellement le line-up du festival.

Lors de l’inauguration du « Rose », en 2022, Bigflo et Oli réussissent à programmer Laylow, une autre fierté locale. Tout sauf un hasard. « On voulait vraiment l’avoir », se réjouit Bigflo. Quant à la relation entre les icônes musicales contemporaines de Toulouse, Oli poursuit avec enthousiasme : « On s’écrit de temps en temps. Il est venu parce qu’il savait que le Rose nous tenait à cœur. C’était l’une de ses premières grosses dates en dehors des Bercy qu’il a déjà fait. Il a fait ce choix en se disant : “C’est cool, c’est à la maison”. Il était venu avec plein de membres de sa famille. »

Si l’humilité des frères Ordonez ne permet pas immédiatement de réaliser l’ampleur d’un festival qui a réuni 90 000 personnes lors des trois premiers jours de septembre 2023, le duo entrevoit son succès dans à travers les artistes qui y performent, de Gazo, Angèle à SCH.

Encourager les violets

La créativité des deux frères ne se limite pas au studio qu’ils ont installé dans la cave de leur appartement du centre-ville. Descendu en deuxième division, le Toulouse Football Club est racheté par le fonds d’investissement américain RedBird Capital Partners en 2020. L’acquisition du club ouvre une nouvelle ère, marquée par l’arrivée à sa tête de Damien Comolli. Lorsque Oli raconte l’intronisation du nouveau président, son sourire s’élargit : « Quand il est arrivé, j’avais demandé son numéro pour lui écrire “Bienvenue à Toulouse !” Il m’a invité à manger et on a commencé à échanger avec eux. On a discuté et c’est vrai qu’on leur a dit qu’on voulait trop faire des trucs avec le club. » Premiers supporters du TFC, Bigflo et Oli fréquentent souvent le Stadium de Toulouse, qu’ils ont rempli à deux reprises en y réunissant près de 60 000 spectateurs.

Veste et pantalon Songzio

Les relations se renforcent et l’idée d’une collaboration avec leur club de cœur se concrétise lorsque Damien Comolli propose aux frères d’imaginer le troisième maillot du « Tef’ ». Avec leur marque, « Visionnaire », qu’ils ont fondée en 2017 avec Malick Seck, Bigflo et Oli conceptualisent une tunique aux nuances violettes que les joueurs du TFC inaugurent le 6 novembre 2022 contre l’AS Monaco. Trois mois plus tard, le maillot « Visionnaire » est ressorti au Parc des Princes : « Ça a été l’un de nos rêves ultimes de les voir jouer contre le PSG avec nos maillots », s’enthousiasme Oli. « On a de très bons contacts avec cette nouvelle équipe du TFC », renchérit Bigflo. « Quand ils ont refait la direction artistique du club, ils nous ont même mis en contact avec l’équipe marketing. Ils nous ont posé des questions sur ce qu’était Toulouse, les valeurs de la ville… »

Déflagration mentale

Populaires depuis l’école, les deux collégiens de Michelet n’ont pas suivi de cours pour la célébrité. Lorsqu’il évoque les épreuves qu’entraîne la notoriété de deux artistes disque de diamant, le visage de Bigflo se referme. « Il y a 4 ans, j’ai fait un burn-out total et radical », lance-t-il. « Je prenais tout à cœur, je voulais tout et… J’encaissais trop. Tout ce qui est nouveau devient difficile à gérer. En fait, c’est dur, ces métiers-là. Ce qui nous arrive, c’est des trucs qui ne s’apprennent pas. » Allégorique, il explique les différences qui peuvent séparer l’artiste d’un sportif professionnel. « Le sportif de haut niveau est encadré dans un club, il y a plein de gars qui sont là avant lui, qui lui expliquent. Il y a le coach de machin, le coach mental. Nous, les artistes, on n’a pas ça, on est vraiment tout seul. » Avant de prendre la mesure de sa notoriété, Bigflo gère lui-même son calendrier, s’occupe des billets d’avion de son frère, et rechigne à faire appel à une assistante. « Il n’y a que les gens qui se la pètent qui ont une assistante », conclut-il dans un rictus. 

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Ensemble Kenzo

Ensemble, ils ont naturellement épousé la symbiose nécessaire à l’évolution d’une carrière en duo. « Le plus important pour Flo, c’est moi. Et pour moi, c’est Flo », assure Oli, le plus jeune de la fratrie. Pour se préserver, il faut s’éloigner d’internet et réussir à atteindre l’utopie d’une déconnexion numérique. « Je regardais beaucoup Internet. En fait, quand tu es un mec d’Internet, quand tu deviens connu, tu ne peux plus l’utiliser comme tu le faisais avant », explique Bigflo. « J’ai mis du temps à l’apprendre. Je continuais à aller sur Internet et dès qu’il y avait ma gueule sur une vidéo, je regardais tous les commentaires, et je disais : “Ah merde, pourquoi il dit ça ?” » À 30 ans, qu’il a célébré ce début d’année, Bigflo fait désormais un peu plus de 50 kilos. Toujours chétif, ses mâchoires creusées qu’on distingue malgré sa barbe fournie se serrent un peu plus lorsqu’il évoque la haine en ligne : « Je n’arrivais plus à avoir le même recul que quand je n’étais pas connu. Moi, ça m’est déjà arrivé de dire des saloperies sur un artiste quand je n’étais pas connu. Je m’en fous, en vrai, ce n’est pas très grave non plus. Mais quand c’est toi, tu es en mode : “Ah, pourquoi ?” ».

Je pensais qu’être connu, être célèbre et réussir sa vie, ça enlevait tous les soucis. En réalité, ça ne change pas grand-chose.

Bigflo

Entre deux gorgées, il décrit son burn-out, la prise de conscience d’une vie « pas comme les autres », la gestion d’un argent nouveau, le manque de confiance en soi ou le comportement des fans, lui qui ne comprenait pas toujours pourquoi des gens pouvaient pleurer devant lui. « Je pensais qu’être connu, être célèbre et réussir sa vie, ça enlevait tous les soucis. En réalité, ça ne change pas grand-chose, quoi. » Sincère, il dresse l’autoportrait d’un « Monsieur tout le monde ». « Si tu n’es pas heureux, si ta mère elle est malade, si t’as des embrouilles avec ta meuf, ça a autant d’impact dans ta vie que n’importe qui. Je m’attendais à ce que le succès soit une pommade plus efficace. Ça ne l’est pas tant. »

La force de Bigflo et Oli réside aussi dans l’importance de leur entourage. Les deux frères, qui ont gardé les mêmes amis depuis l’adolescence, privilégient le cercle restreint à qui ils peuvent accorder leur confiance. Oli nous parle de son pote Flavien, étudiant dans les métiers de l’eau, pour qui Views, la valeur d’un disque de platine ou l’importance de faire un Bercy sont loin des priorités du quotidien. À l’autre extrémité du canapé, Bigflo aime nous rappeler que ses retours en Occitanie se terminent souvent par le visionnage du Seigneur des Anneaux avec ses amis du conservatoire. « On aurait pu vivre à Paris, traîner avec des gens cools de Paname, participer à des soirées stylées, oublier les potes. Mais non, bien souvent, on a la flemme de Paris alors on rentre à Toulouse », conclut-il.

« Rap macroniste »

Malgré la précocité de leur carrière, Bigflo et Oli ont mis longtemps à comprendre l’importance de leur style dans le développement de leur notoriété. « On a été naïfs, très naïfs. On nous disait : “Vous voulez un styliste ?” On répondait : “Bah non, pas besoin“. Du coup, tu revois les vieux clips, les vieilles photos, on était habillés comme des culs, ça ne donnait pas envie. On ne voulait pas se travestir, pas réfléchir. On aurait peut-être dû calculer un poil plus. » L’image de Bigflo et Oli reste accusée au tribunal de la crédibilité.

À l’instar de leur festival, la musique de Bigflo et Oli est éclectique. Sur l’album Les autres c’est nous, ils cultivent la diversité des styles qu’ils exploitent en y invitant Vald et Francis Cabrel. Au fil des albums, Bigflo et Oli s’éloignent des puristes et développent l’image de « rappeurs TF1 », qu’ils ont rejoint en 2022 dans le jury de l’émission musicale « The Voice ». « J’ai toujours dit à Oli que cela arriverait », analyse le grand frère. « Je ne sais pas si un rappeur était déjà allé autant grand public que nous. Nous, on est allés jusqu’au Douze Coups de midi avec Jean-Luc Reichmann. C’est normal qu’il y ait une réaction qui soit très forte à tout ça. »

Le 5 avril 2022, à quelques jours de l’élection présidentielle, Bigflo et Oli publient le clip de « Sacré Bordel », et donnent vie à la maison de verre qu’André Breton fantasmait dans Nadja. Après deux ans d’absence, les deux frères s’immiscent au cœur d’un carré de verre transparent qu’ils installent sur la Place du Capitole de Toulouse, dans les reliefs pyrénéens de Peyragudes, dans le village occitan de Lauzerte et sur la Place de la République, à Paris. « Sacré Bordel » parle de leur amour de la France, de leur inconfort à en brandir le drapeau, mais de leur chance d’être Français lorsqu’ils s’évadent à l’étranger. Le duo, qui explique dans la description du clip publié sur YouTube son désir de « revenir avec une chanson forte de sens plutôt qu’une chanson légère », ne s’attend probablement pas à causer un tel bordel.

Il y a eu une vague, la mode de détester Bigflo et Oli. Vraiment, ça a duré deux ans. On était des pestiférés du rap et on se faisait taper dessus tout le temps. En vrai, c’était trop chiant.

Bigflo

Sur X (anciennement Twitter), le morceau est moqué. Les internautes reprochent aux paroles un enchaînement de lieux communs sans saveur, sans engagement. Les artistes, que plus personne n’ose appeler « rappeurs », perdent leur crédibilité sur l’autel d’un morceau jugé trop tiède.

Conscients d’avoir perdu une partie de leur public initial, ils regrettent toutefois les commentaires acerbes. Optimiste, Bigflo préfère y voir la rançon du succès : « J’ai l’impression que c’est comme tous les artistes, c’est le temps qui fait… ».

Planète Rap

Parfois, ceux qui aiment se rappeler rappeurs se surprennent des retours positifs du public. Trop connu pour faire un Grünt, trop commercial pour un Colors, Oli enregistre en février dernier un freestyle dans les studios de Skyrock. Pendant 10 minutes, le Toulousain raconte dans Planète Rap ses débuts dans la musique, les critiques et revient sur « Sacré Bordel », « un son incompris par les cons. » Il y déplore que son « Vive la France » sonne comme un « Votez Macron ».

Les bénéfices de ce passage incontournable chez Fred Musa, totem d’un accomplissement pour tout rappeur ayant commencé dans sa chambre, redonne au duo la foi dans cet art musical. Les deux frères préviennent, « le prochain album sera très rap ». Pour expliquer le désir d’un retour aux sources, Oli tresse la comparaison avec un artiste : « C’est un peu comme les couleurs des peintres, certains ont une période rouge, bleue. Nous, on a envie de se replonger dans notre période rap. Pendant un moment, les gens n’entendront pas le côté très variété de Bigflo et Oli. »

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Oli : Manteau et chemise Kenzo, pantalon Lemaire, casquette P.O Views
Flo : Ensemble Kenzo
Sneakers : Raf Simons x adidas

Bigflo et Oli connaissent parfaitement les critiques dont ils sont l’objet. « Plus t’es connu, plus tu touches de personnes, plus de gens risquent de ne pas t’aimer », résume Oli. Malgré tout, le duo évoque avec amertume les moqueries qu’ils jugent illégitimes. Dans l’émission radio « After Rap », diffusée sur Mouv’ et arrêtée en 2022, le journaliste Yérim Sar explose de rire au récit des coulisses d’un concert de Bigflo et Oli. Chaque nom d’invité provoque un rictus plus frénétique que le précédent. « Je me souviens d’une chronique sur l’émission où ils citaient les invités qu’on avait à notre concert », se rappelle Oli. « Ça se foutait de notre gueule. Quand ils disaient Squeezie, tout le monde se marrait. Aujourd’hui, il fait une vidéo avec Mehdi Maïzi, ce qui est ouf. »

Il regrette une reconnaissance jamais obtenue, malgré des initiatives précurseures. « Concernant YouTube, on a été dans les premiers à côtoyer des Squeezie, Jérôme Niel, Dix Minutes à Perdre, toute cette génération. Flo m’avait dit : “C’est le futur de la création artistique, faut qu’on fasse des trucs avec eux.” On se prenait certaines foudres, alors qu’on voulait juste connecter un peu tous les mondes, d’être dans un truc populaire. » Aujourd’hui, les adolescents élevés sur Internet fréquentent toujours les personnalités contemporaines de YouTube qui, à l’instar de Lena Situations et Seb la Frite, retrouvent les frères pour explorer Toulouse et découvrir le fameux Saint des Seins.

Pour Bigflo, certains souvenirs sont douloureux. « Il y a eu une vague, la mode de détester Bigflo et Oli. Vraiment, ça a duré deux ans. On était des pestiférés du rap et on se faisait taper dessus tout le temps. En vrai, c’était trop chiant. » Le morceau « Dommage », leur premier single de diamant qui se distingue par l’absence de couplets rappés, catalyse les critiques adressées au duo. « On est au studio, on adore. Ça nous rappelle des chansons latino que notre père chantait, un peu Manu Chao. Mais on sait que là, c’était peut-être le premier morceau qu’on faisait qui n’était pas du tout rap. Je me souviens, on se regarde et on se dit, frérot, il y aura vraiment un avant et un après. »

Quand un Kalash Criminel dit : “Bigflo et Oli, moi je les kiffe, c’est mes gars, ils viennent avec moi sur scène et je fais un morceau avec eux”, forcément, ça nous aide énormément.

Oli

Le salut des deux rappeurs vient aussi de ceux qui les admirent. Partagés par Nekfeu et soutenus par Orelsan à leurs débuts, Bigflo et Oli tiennent à mentionner ceux qui les ont épaulés dans leur parcours. « Quand un Kalash Criminel dit : “Bigflo et Oli, moi je les kiffe, c’est mes gars, ils viennent avec moi sur scène et je fais un morceau avec eux”, forcément, ça nous aide énormément. » Inspiration avec laquelle ils ont enregistré le morceau « Que ça dure » (2020), le rappeur Jul a longtemps encouragé le succès des Toulousains, qu’il est allé voir sur scène. « Accueillir Jul à Marseille pour l’un de nos concerts, c’était ouf », entame Bigflo. « Il n’était jamais allé dans une salle de concert s’asseoir. Et ce concert, il est resté tout le long. Je me rappelle, je voyais Jul », poursuit Oli. « Je sais que ça a contribué au fait qu’il nous ait invité sur son album La Machine. On a fait ce morceau avec lui, l’occasion de passer du temps ensemble. Je sais que ça aussi, ça a été un déclic. »

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Oli : Veste et pantalon Songzio
Flo : Veste Songzio, pantalon MM6
Sneakers : adidas

L’image des frères évolue aussi grâce à leurs concerts, qu’ils estiment comme leur plus grande force. « Le premier qui m’a dit ça, c’est Vald », raconte Bigflo. Hilare, il raconte comment le rappeur de « Désaccordé » a longtemps hésité à les apprécier. « Ça n’a jamais été méchant, mais il avait dit : “Le rap doit être vulgaire, ou sinon c’est Bigflo et Oli.” » Le premier cité se questionne encore sur la signification de cette phrase, mais se rassure en se rappelant la conclusion du rappeur : « Bigflo et Oli que j’embrasse. ». Puis s’interroge à nouveau : « Ça reste Vald qui embrasse. »

La relation entre les artistes se renforce aux festival des Vieilles Charrues. Pendant le concert, les rappeurs aperçoivent Vald assis sur une chaise. L’artiste assiste à tout le concert et retrouve les frères à l’issue de leur performance. « Ça y est, j’ai tout compris. J’ai compris Bigflo et Oli », se souvient Bigflo. Pendant le confinement, Vald regarde Bigflo sur Twitch et devient « fan », jusqu’à enregistrer ensemble un titre éponyme. « Ah mais Vald, il ne fait pas le feat avec nous, je pense, s’il n’y a pas le “banneur fou”. C’était un de mes trucs qu’il a préféré au monde », se rappelle le protagoniste. 

Le « banneur fou »

En 2020, la pandémie et le confinement qu’elle provoque en France freine les carrières d’artistes qui se tournent vers Internet pour ne pas sombrer dans l’oblomovisme. Le refuge de Bigflo s’appelle Twitch. Là-bas, Oli n’est pas là « pour faire le gentil ».

Dans ses lives, où la dizaine de milliers d’euros de dons qu’il récolte est reversée au Secours Populaire, il interagit directement avec ses fans, en « roue libre ». Gare à celui qui voudrait s’en prendre à sa moustache. « Ta moustache est ratée là non ? Qui a dit ça ? @TomSawyer j’te ban ! Vous me le bannez lui. Ma moustache, qu’est-ce qu’elle a ma moustache ? Tu dégages ! » Les blagues et le sarcasme de Bigflo sur Twitch sont compilés dans plusieurs vidéos virales qui transforment instantanément le rappeur en meme sur Twitter. « Il y a eu un avant et un après », juge Bigflo de son propre aveu. De cet arc éphémère émerge un Bigflo auquel Internet s’identifie, un personnage authentique qui abandonne le personnal branding minitieux, réservé aux artistes populaires ultra-frileux.

bigflo et oli photoshoot portrait
Oli : Veste adidas, pull Amoses, pantalon P.O Views
Flo : Veste adidas, pull Amoses, pantalon MM6
Sneakers : adidas

« Pour dire la vérité. On n’avait jamais vu Bigflo et Oli comme ça… Dans les paroles, vite fait. Là, tu me vois vraiment insulter de “fils de pute”. Pour moi, c’était vraiment en mode blague, mais je pense qu’il y a un truc libérateur pour les gens qui avaient un problème avec nous. De se dire, ah, putain, ça fait du bien de les voir se lâcher. » Si la séquence a bien vieilli, Bigflo nous avoue quelques sueurs froides. « Au début, j’ai eu peur. Tu sais, les premières 24, 48 heures. Je me disais : “Merde ! Les gens ne comprennent pas que je rigole, je vais passer pour un gros connard. »

Quel bonheur c’était ! Le jour où on savait, qu’il a mis la story avec “Thank you, Bigflo et Oli”. C’est un des meilleurs jours de ma vie.

Bigflo sur Drake

À une trentaine de minutes de leur concert, Bigflo et Oli quittent leur canapé pour commencer leur préparation. Depuis le vestiaire d’où ils récupèrent leur tenue de scène, les frères haussent la voix pour permettre à la conversation de se poursuivre. Il faut alors mentionner l’éléphant dans la pièce avant de repartir : Drake.

“The French Guys of the Book”

« Ah, vous n’allez pas être contents », prévient Oli. En 2018, pour l’anniversaire de Bigflo qu’ils célèbrent ensemble dans le restaurant toulousain L’Hédone, Oli offre à son frère un carnet de paroles ayant appartenu au rappeur canadien. Bigflo poursuit l’anecdote, après nous avoir prévenu qu’il raconterait le récit détaillé de leur aventure dans une interview exclusive : « Quel bonheur c’était ! Le jour où on savait, qu’il a mis la story avec “Thank you, Bigflo et Oli”. C’est un des meilleurs jours de ma vie. »

Quelques semaines avant l’apparition du Covid, Bigflo nourrit l’idée de rendre à Drake son carnet. Démarrent alors les démarches périlleuses qui mènent au contact direct de l’une des plus grandes célébrités de l’industrie musicale. Trois ans avant la rencontre, les deux frères envoient un message à Noah Shebib, également connu par le nombre « 40 », producteur historique de Drake et co-fondateur du label OVO. Trois ans et de nombreux échanges plus tard, les deux Toulousains se retrouvent devant une entrée réservée du Madison Square Garden de New York, attendus par une enveloppe dorée « OVO » sur laquelle leur nom est inscrit. À l’issue du concert, Bigflo et Oli, « The French Guys of the Book », retrouvent Drake pour lui rendre le carnet de son adolescence, qui offre en retour un moment inoubliable à ceux qui rappaient dans la cour de l’école primaire Sermet vingt ans plus tôt.

La rencontre avec Drake sonne comme le symbole de la persévérance de ces « deux chiens de Toulouse », selon leur propre qualification. Le succès de Florian et Olivio Ordonez raconte l’odyssée de deux frères perpétuellement nourris par leur nostalgie, pour qui écrire le récit d’une vie nécessiterait plus longtemps que les 88 minutes qui viennent de s’écouler. Dans un quart-d’heure, ils seront plusieurs milliers à les écouter chanter.

Texte : Matthieu Fortin
Interview : Matthieu Fortin & Corentin Saguez
Photographie : Moïse Luzolo
Assistants lumière : Jean-Romain Pac & Xavier Gras
Direction artistique : Iris Gonzales
Stylisme : Iris Gonzales & Luca Delombre
Production : Alice Poireau-Metge, Nicolas Pruvost & Léa Goux-Garcia
Maquillage & coiffure : @mathilde.makeupartist
Remerciements : Adrian Huguenot & Pauline Neghza