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Photo : Festival international du film de La Roche-sur-Yon

Quentin Dupieux, créateur compulsif

Quentin Dupieux est à l’image de ces artistes insaisissables et intrigants. Lorsque vous pensez le cerner, le cinéaste vous surprend et joue sans cesse avec les perceptions.

La casquette de cinéaste n’est pas la seule qu’emprunte Quentin Dupieux. Tour à tour producteur de musique électronique, DJ, réalisateur et scénariste, le natif de Malakoff, en région parisienne, s’est d’abord fait connaître en tant que Mr. Oizo. Un premier coup de projecteur avec le titre « Flat Beat », sorti en 1999 et popularisé par la campagne de pub Levi’s. Il faut attendre 2001 pour que Quentin Dupieux s’essaye au cinéma, avec Nonfilm.

Plus de vingt-deux ans plus tard, et une douzaine de longs-métrages, le réalisateur vient de faire l’ouverture du Festival de Cannes avec Le Deuxième Acte. Un treizième film qui réunit les plébiscitées Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon et Raphaël Quenard, dans un triangle amoureux des plus déjantés, et qui sort au cinéma dès aujourd’hui.

Comment expliquer la frénésie Dupieux et le cas singulier qu’il représente au sein du cinéma français ? Celui qui a toujours un train d’avance trouve son plaisir dans des rythmes de production atypiques et dans des propositions uniques en leur genre.

Un cas unique d’école

Résumer le cinéma de Dupieux n’est guère une tâche facile tant son œuvre est loufoque et absurde. Là où le cinéma français s’entête dans des codes narratifs classiques, Quentin Dupieux joue de ces codes pour mieux les bouleverser. Un constat que partage Arthur Cios, chef de la rubrique cinéma-série de Konbini : « Le cinéma de Dupieux est un cinéma drôle qui ne s’inscrit pas dans la comédie française (…) C’est le seul conteur qui s’amuse autant avec la forme que le fond ».

Les premiers résultats, lorsque l’on cherche à définir le cinéma de Dupieux sur Internet, sont absurdes, humour noir et déchanté. Lucille Bion-Niewiadomski, journaliste cinéma, le définit en une formule plutôt simple : « Un scénario WTF, un côté artisanal et de la créativité. L’idée de ses films est toujours très travaillée, bien qu’ils soient très déconcertants ».

Quentin Dupieux puise son inspiration dans le cinéma français des années soixante-dix, marqué par des accents surréalistes. Pour Arthur Cios, « ce qui se rapproche le plus du cinéma de Dupieux est celui de Bertrand Blier dans les années 70 ». Connu notamment pour Les Valseuses, Bertrand Blier s’est fait maître dans la provocation, dans l’humour noir et dans l’absurde avec des dialogues décalés et quelque peu grossiers.

À la manière donc d’un Bertrand Blier, Quentin Dupieux s’impose en jouant sur le surréalisme de ses films avec des scénarios sans cesse plus originaux les uns que les autres. Pour Lucille Bion-Niewiadomski : « Un peu comme un film de Wes Anderson ou de Pedro Almodóvar, les films de Dupieux sont reconnaissables immédiatement. Avec un fort parti pris pour l’absurde et le home-made, il a réussi à s’imposer avec sa signature ».

La filmographie de Dupieux repose sur un constat que l’on retrouve dans chacune de ses œuvres : « des films qu’on peut résumer en une phrase forte », d’après Arthur Cios. Un concept de phrase forte qui rythme la carrière du cinéaste. Ce dernier privilégie sans cesse les formats de films courts comme pour mieux raconter une histoire sans fioritures ni excès. Et si Quentin Dupieux présente son cinéma comme absurde, sans réflexion sociale ou politique, il serait trompeur de le croire. Pour Arthur Cios, « les films de Dupieux sont plus profonds que la simple bague (…) Plus profond que ce que Dupieux admet lui-même ». Les messages politiques sont présents tant dans Yannick, qui questionne la place du spectateur dans l’art, que dans Fumer fait tousser, aux accents féministes et écologiques.

À la question de savoir si Quentin Dupieux est un cas unique dans le cinéma français, Arthur Cios répond instinctivement par la positive. Sa singularité se mesure également par des logiques économiques puisque pour le journaliste de Konbini, le cinéaste est « le seul à produire autant et à être rentable ».

Des rythmes de production originaux

Affirmer que les méthodes de travail de Quentin Dupieux sont peu conventionnelles n’est en rien une hyperbole. En l’espace de dix-sept ans, ce ne sont pas moins de treize films qui ont été réalisés par l’ancien DJ. Le réalisateur pousse le vice jusqu’à sortir deux films par an, comme en 2022, où on retrouvait à l’affiche Incroyable mais vrai ainsi que Fumer fait tousser, ou encore cette année, avec Daaaaaalí ! et Le Deuxième Acte.

Quentin Dupieux l’avoue lui-même dans de nombreuses interviews, il n’aime pas être enfermé dans des rythmes de productions définis. Dans une interview pour Le Monde, paru en août 2023, il se confie sur ses frénésies cinématographiques : « Je me lasse, non pas de mes produits, mais de mon énergie. Écrire, c’est une énergie dont je suis amoureux, seulement, très vite, il faut que je passe dans une autre énergie, la rencontre avec les comédiens, par exemple. Et quand j’arrive au bout d’un tournage, je n’en peux plus de cette énergie collective, je meurs d’envie de m’enfermer seul au montage avec mes images ». Yannick a ainsi été tourné en l’espace de six jours alors même que la production de Daaaaaalí ! était d’ores et déjà lancé.

Le réalisateur est un précurseur dans l’âme et la quantité rime avec la qualité dans son cas, pour Lucille Bion-Niewiadomski : « Yannick a par exemple été tourné en six jours, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travail. Ses films sont rythmés, contiennent souvent beaucoup de dialogues, de la musique… C’est un travail de réalisation assez dense ».

Quentin Dupieux est un éternel enfant, qui refuse de s’ennuyer, et c’est en cela qui bouleverse autant les codes de production. Lui-même le reconnaît dans une interview pour Libération, parue en juin 2019 : « Moi, je suis dans la continuité des conneries que j’avais en tête quand j’avais 11 ans, j’ai juste appris à écrire et à réfléchir. Mais ça, c’est du bonus. Le cœur des choses, c’est la naïveté et la légèreté de l’enfant ».

Pour Arthur Cios, on retrouve la notion d’enfance dans la personnalité du réalisateur car il est « très instinctif dans sa personnalité, il fait partie de ces gens qui ont besoin d’avancer et d’avancer vite (…) il a besoin d’occuper constamment ses mains ». Un constat partagé par Lucille Bion-Niewiadomski : « Est-ce que Quentin Dupieux n’est pas un petit garçon qui s’amuse avec ses jouets ? Peut-être un peu. Dans Rubber, il joue avec ses morceaux de voiture, un pneu un peu graveleux et maléfique ; dans Fumer fait tousser, il joue avec ses justiciers, dans Le Daim, il s’amuse avec sa caméra, etc. Plus globalement, il joue avec une temporalité fragmentée, dans Réalité ou Daaaaaalí ! C’est définitivement un réalisateur avec une âme d’enfant ».

Quentin Dupieux ne se prend jamais au sérieux et encore moins dans ses œuvres. Selon Lucille Bion-Niewiadomski, le réalisateur se considère toujours comme un amateur : « Ce qui est fou avec ce réal, c’est que malgré ses 13 films en 17 ans, Quentin Dupieux se voit toujours comme un amateur, et il dit lui-même que ce serait l’un des pires scénarios que de lui offrir un budget à 20 millions d’euros destiné à un tournage plus professionnel ».

Des castings toujours plus impressionnants

Le cinéma de Dupieux détonne aussi en raison des rôles qu’il propose à des acteurs de renom, connu pour des rôles plus classiques. Son premier long-métrage, Steak, sorti en 2007, met en scène Eric et Ramzy dans une histoire déjanté autour de l’amitié. Depuis, l’engrenage a pris et les films de Quentin Dupieux peuvent autant réunir un Jean Dujardin, une Adèle Haenel dans Le Daim qu’une Adèle Exarchopoulos dans Mandibules ou un Alain Chabat dans Incroyable mais vrai et Réalité.

Dans un cinéma grand public français, qui est de plus en plus similaire et qui se perd dans des propositions classiques, Quentin Dupieux attire par la force de proposition unique qu’il propose. « Se diriger vers un Dupieux, avec des films très conceptuels qui marchent auprès du grand public, c’est aussi une manière de paraître audacieux, de se réinventer comme nulle part ailleurs. La France a tendance à enfermer ses acteurs et actrices dans des cases, heureusement que certains cinéastes s’autorisent à voir plus loin », d’après Lucille Bion-Niewiadomski. Travailler avec Quentin Dupieux est comme « une parenthèse inattendue » dans la carrière de ces acteurs, pour Arthur Cios.

Il n’est pas anodin de mentionner que Yannick a ouvert la porte vers un tout nouveau public pour le cinéaste. Petit raz de marée, avec pas moins de 445 570 entrées, Yannick a autant plu à la critique qu’au public et a permis à Raphaël Quenard de s’imposer comme une étoile montante du cinéma français. Et ce nouveau public fait la force de Dupieux pour Arthur Cios : « Certes, Dupieux est un des rares cinéastes a rassemblé des aussi beaux castings mais si le public est attiré c’est parce que c’est un film de Dupieux et non pas tant en raison du casting ».

En guise de promotion pour son dernier film Le Deuxième acte, ouverture du Festival de Cannes, le réalisateur le plus prolifique du cinéma français a décidé qu’il était temps pour lui de se taire et refuse donc toute interview. Signe que Quentin Dupieux avance selon son bon vouloir.

Reste à savoir si un jour Quentin Dupieux aura l’envie de se lancer dans des réalisations aux formats plus longs et aux productions plus coûteuses. Une manière d’encore une fois surprendre et de casser la routine pour cet éternel enfant.