La Palme d’Or a été décernée ce samedi à Sean Baker pour Anora. Figure du cinéma indépendant américain, le natif de New York a réussi à s’imposer face à des mastodontes du cinéma, à l’instar de Francis Ford Coppola, en compétition officielle avec Megalopolis. Reçue des mains de George Lucas, cette récompense marque la consécration d’un cinéaste en marge de Hollywood.
À 53 ans, Sean Baker crée donc la sensation avec ce huitième opus qui joue sur les genres, à la fois burlesque que satire ou thriller, pour représenter les travailleuses du sexe dans un New York marqué par la pauvreté. Et c’est à ces travailleuses du sexe, tant celles du passé, du présent ou du futur, que le réalisateur a dédié sa Palme d’Or.
C’était la troisième fois que le réalisateur foulait le tapis rouge du Festival de Cannes. Sa première fois était en 2017, avec The Florida Project, récit d’une mère et de sa fille vivant dans un motel près de Disney World en Floride, alors présenté à La Quinzaine des cinéastes. Puis en 2021 avec Red Rocket, présenté en compétition officielle.
Sean Baker se veut le porte-parole des marginaux, des rejetés de la société américaine. En 2015, Tangerine, réalisé entièrement à l’iPhone, suit l’histoire de deux prostituées transgenres à Los Angeles. Dans Red Rocket, Sean Baker s’attarde sur la question de la prostitution.
Avec Anora, le réalisateur récidive et aborde frontalement la question de la sexualité sous fond de lutte de classes. À chaque fois, un trait commun : des films aux accents documentaires pour dénoncer une société américaine toujours plus libérale. Lui-même l’admet, dans une interview accordée au magazine Trois couleurs en mai 2024 : « Pour survivre aux États-Unis, il faut savoir « faire avec ». Tout y sonne tragique et drôle à la fois, tout y est grotesque et sublime, c’est un conte de fées et un cauchemar en même temps ».
« Plus je les connais, plus la représentation des travailleuses du sexe est devenue importante pour moi alors que leur métier est stigmatisé depuis la nuit des temps (…) cette approche a disparu, notamment aux États-Unis. Parce qu’on a peur du sexe. De plus en plus. Et quand, rarement, on parle d’elles ou d’eux, c’est sans leur donner l’épaisseur, les multidimensions (…) Et ainsi accorder le respect que ces travailleuses du sexe méritent », dans une interview pour Le Monde en mai 2024.
Lors de son discours de remerciement, le cinéaste urge l’industrie du cinéma, à rester « vivante », face à l’emprise croissante des plateformes de streaming : « Nous devons faire des films pour qu’ils sortent en salles. Il faut que le monde se rappelle que regarder un film sur son téléphone ou à la maison, ce n’est pas la façon dont il faut voir des films, même si certaines entreprises tentent de nous le faire croire ».
Le réalisateur se dresse d’ailleurs contre ces plateformes de streaming, dans son interview pour Le Monde : « Si je mets demain Anora sur une plate-forme de streaming, les gens le regarderont à moitié, consultant leurs e-mails, leur téléphone, quittant la pièce… Je ne ferai jamais de séries. De toute façon, ça ne m’intéresse pas. Et donc je ne suis pas un bon client pour les plates-formes ».
Sean Baker, vivant dans une société américaine toujours plus fragmentée, se dresse ainsi comme le porte-voix des laissés pour compte. Anora en étant la parfaite illustration. Le film n’a pas encore de date de sortie officielle en France. Mais l’attente autour de ce film témoigne de l’impact de l’œuvre de Sean Baker et rappelle à quel point il est important de représenter les personnes marginalisées à l’écran.