21 juin 2004. Alors que la France célèbre la Fête de la Musique dans ses rues, Kore et Skalp sortent une compilation qui marquera à tout jamais de nombreuses générations. Raï’N’B Fever voit le jour et s’érige comme l’hymne d’une France “Black, Blanc, Beur” de l’époque.
Décembre 2023. Dans un long message en story Instagram, Kore annonce un cinquième volet de la compilation. Treize ans après la sortie de la dernière et vingt ans après la première : “J’ai produit et réalisé beaucoup d’album de rap tout au long de ma carrière et beaucoup de classiques. L’année prochaine est une année spéciale pour moi. Raï’N’B Fever fêtera ses 20 ans. Cette date d’anniversaire ne pouvait en être une sans la sortie d’un album, encore plus avec le climat qui règne en ce moment, où la division, le racisme, la haine ne font qu’un. Pour la culture, la résilience, le respect entre nous tous, restez branchés. L’album arrivera dans le courant de 2024. J’ai marqué l’histoire de la pop culture avec ce concept 20 ans plus tôt, on la marquera encore tous ensemble 20 ans plus tard”.
Chose promise, chose due. Le 24 mai 2024, “Lalla” débarque sur les plateformes de streaming. Premier opus de cette cinquième compilation, la chanson réunit Kore et Hamza sur des airs dansants de raï. La machine est lancée et la sortie du cinquième opus semble être des plus imminentes. Mais comment expliquer l’intemporalité et la ferveur d’un tel projet vingt ans après sa sortie ?
L’étendard de la diversité
Porté par des artistes comme Rohff, Leslie, Amine, Khaled, Magic System ou encore Omar & Fred, la compilation se veut le porte-drapeau de la culture maghrébine et africaine en mélangeant les genres. Le raï se confond parfaitement avec le R&B et le rap et les artistes, aux univers pourtant si éloignés, arrivent à créer une unité des plus marquantes.
La compilation sera rapidement certifiée disque d’or et quatre compilations suivront, propulsant le collectif sur la scène d’un Bercy plein en 2009. Un succès rarement égalé en France à une époque lointaine de l’ère du streaming et des réseaux sociaux.
L’idée émerge dans les esprits des producteurs Kore et Skalp avec “l’envie de montrer et de valoriser le côté éclectique de la musique, de casser des barrières”, comme le confie Kore au micro des Échos en septembre 2019.
La volonté étant de mélanger les genres musicaux et de rendre visible des cultures jusque-là ignorées, voire méprisées dans le paysage culturel français. Kore le résume parfaitement, la compilation est “un mélange entre mes origines nord-africaines et ma culture musicale qui est le rap et la musique urbaine”.
Dans une interview accordée à Mosaïque, le chanteur Amine, présent sur le projet, s’explique le succès du projet par l’époque : “Le genre a émergé au cours d’une période propice, marqué par des figures talentueuses, comme Zizou en 98, des comiques tels que Jamel Debbouze… C’est l’avènement de tous ces gens issus de l’immigration qui se sont affirmés”.
Les différentes compilations s’imposeront rapidement comme des hymnes à la diversité et leur véritable héritage perdure plus de 20 ans après. Un projet dont la portée n’est pas seulement culturelle, mais bel et bien sociale. Toute une génération a été introduite au raï et à ses grands noms à l’instar d’Idir, Faudel, Khaled, ou Cheb Mami. Des générations qui ont su trouver des repères et des représentations, au travers d’un tel projet, dans des paysages audiovisuels où la diversité se fait pourtant rare.
Chansons de célébrations, les compilations donnent de la voix à des thématiques variées et chères à toute une génération en quête d’identité et de racines. Sont traités les questions du déracinement, des origines, de la foi religieuse, mais aussi de l’amour et de l’espoir. Ces chansons sont représentatives d’une époque où la beauté de la France résidait dans l’acceptation de la diversité et de l’autre. Cette France “Black, Blanc, Beur” qui faisait barrage à l’extrême droite et qui célébrait en grande pompe des projets comme Raï’N’B Fever.
Vingt ans plus tard, des titres comme “Mon Bled” perdurent et sont chantés à tue-tête par des jeunes nés bien après la diffusion de la première compilation, indicateur d’une certaine longévité. Les mariages et diverses célébrations continuent de se faire au son de “Sobri-Notre Destin” ou de “Un gaou à Oran”, portant encore un peu plus haut la beauté des cultures africaines.
Le mélange des genres
Plus de 97 artistes se succèderont sur les quatre compilations entre 2004 et 2011. Le tour de force de Raï’N’B Fever est aussi de réunir sur un même disque 113, Leslie, Magic System, Rohff, Faudel ou encore Cheikha Remitti.
Un pari risqué tant les univers musicaux de chacun sont éloignés. Les points de rencontre entre le raï, de Faudel, de Cheikha Remitti, le rap, de Rohff et de 113, le R’N’B de Leslie, de Jerome Prister et les sonorités africaines de Magic System et de J-Mi Sissoko paraissaient pourtant rares. La tradition se mêle à la modernité, les grands noms côtoient les plus petits et les cultures s’expriment chacune dans leur singularité dans un mélange des plus étonnants.
Le projet propulsera au rang de stars des artistes comme Amine et Leslie et les titres “Un gaou à Oran”, “Sobri – Notre Destin” et “Mon bled” s’imposeront rapidement en tête des charts, faisant danser des millions de Français au fil des années. Dès la deuxième compilation, le casting réitère son exploit en réunissant cette fois-ci Diam’s, Kelly Rowland, Ricky Martin, Cheb Mami ou encore Big Ali et M. Pokora. Un deuxième opus certifié également disque d’or dès la fin de l’année 2006. Deux autres compilations suivront en 2008 et 2011 et connaîtront un succès moindre.
Rares ont été les ponts entre les genres depuis une telle compilation. On pourrait citer l’album Safar de NAAR en 2019 qui réunit des rappeurs français, comme Laylow, Dosseh, Koba LaD, Nelick, des artistes maghrébins comme Shobee, Madd, Issam. Mais aussi des talents africains comme Amir Obè et méditerranéens, à l’instar de Kaydy Cain, King Doudou ou encore Kareem Kolokh. Créant de ce fait un pont entre les cultures, à l’image de Raï’N’B Fever, une décennie plus tôt.
Un retour imminent ?
Vingt ans plus tard, le paysage social et politique est bien différent. Exit la France “Black, Blanc, Beur”, celle qui faisait barrage à l’extrême droite. Le Rassemblement National, anciennement Front National, n’a jamais été aussi plébiscité par une partie de la population et aussi proche du pouvoir.
Un constat amer partagé par Kore dès décembre 2023 en story Instagram : “Avec le climat qui règne en ce moment, où la division, le racisme, la haine ne font qu’un. Pour la culture, la résilience, le respect entre nous tous, restez branchés”.
Face à ce climat de violence sociale, la volonté de Kore est de réitérer l’exploit de réunir les Français autour d’un même projet musical. C’est dans la continuité de cette volonté que le producteur a sorti “Lalla” en mai 2024, en collaboration. Un premier extrait en collaboration avec Hamza qui lance définitivement Raï’N’B Fever 5.
Un pari qui semble bien lancé. Moins d’une semaine après sa sortie, “Lalla” comptabilisait près d’un million d’écoutes. Plus de trois semaines après sa sortie, le single enregistre plus de quatre millions d’écoutes sur Spotify. Le succès est ainsi au rendez-vous et le public semble être ouvert à cette nouvelle proposition.
Une différence notable est toutefois à noter avec les anciennes compilations : cette cinquième compilation sera composée “de morceaux full en arabe” d’après le producteur. Une volonté de mettre encore plus en lumière la scène maghrébine, qui n’a jamais autant brillé sur ces deux dernières décennies qu’actuellement. Tif, Zamdane, ElGrandeToto, Nayra, Danyl ont su apporter un vent de fraîcheur à la scène musicale française en assumant fièrement leur identité et en faisant de celle-ci un marqueur culturel. Des artistes qui, chacun à leur manière, s’inscrivent dans l’héritage de Raï’N’B Fever en permettant à des milliers de personnes de s’identifier.
À l’heure d’un tournant politique décisif pour la France, affirmer sa différence n’a jamais été aussi essentiel. Là est la réussite de Raï’N’B Fever, revendiquer haut et fort la beauté des cultures dites populaires. Assumer fièrement ses origines tout en fédérant les Français n’a jamais paru aussi primordial. Comme l’a si bien allégué Kore : “J’ai marqué l’histoire de la pop culture avec ce concept 20 ans plus tôt, on la marquera encore tous ensemble 20 ans plus tard”.