“Des saisons à 70 ou 80 matchs pour un joueur, c’est impossible !”, il y a presque un an, Aurélien Tchouaméni alertait : pour les footballeurs d’élite, tenir une saison devient impossible. Aujourd’hui, entre l’annonce d’une nouvelle coupe des clubs élargie à 32 équipes et l’ajout de matchs supplémentaires en Ligue des champions, rien n’a changé. Pour les joueurs, c’est trop. Rodri a été le premier à s’exprimer, Jules Koundé le second : si rien ne change, les joueurs feront grève.
Il faut dire qu’entre championnat, coupe de la ligue, Ligue des champions, coupe des clubs ou fenêtres internationales, les footballeurs de haut niveau n’ont aucun moment pour eux. Selon l’Équipe, un joueur comme Antoine Griezmann pourrait jouer jusqu’à 80 matchs cette saison malgré sa retraite en équipe de France. Pour un Kévin De Bruyne, le chiffre monte même à 85 rencontres potentielles.
Une charge de matchs ahurissante avec des temps de récupération toujours plus réduits, très loin des 5 jours recommandés par le syndicat de la FIFPRO depuis 2019. Et c’est le syndicat lui-même qui en apporte l’exemple dans une étude parue en 2023 : un joueur comme Vincius Jr, l’un des plus performants du monde, a joué 75 % de ses matchs avec moins de 5 jours de repos entre les rencontres. La première conséquence de cette charge de matchs, ce sont les blessures. Un rapport publié par la société d’assurance Howden indique que les indisponibilités des joueurs ont augmenté de 8 jours en moyenne après la Coupe du Monde 2022. Le syndicat de la FIFPRO alertait déjà à ce propos après la saison 2021-2022, durant laquelle le taux de blessures a explosé : + 20 % comparé à la saison précédente.
“Ça ne concerne qu’une élite de joueurs. Ceux qui sont internationaux, qui évoluent dans des clubs susceptibles de jouer des phases finales de Ligue des champions et d’accumuler les titres. Mais la majorité des footballeurs professionnels va jouer 40 matchs par saison.”, tempère Walid Acherchour, journaliste et commentateur spécialisé dans le football. “Tu prends un joueur de Ligue 1 d’une équipe moyenne. Il aura un championnat à 18 et quelques matchs de coupe de France. Pour le coup, je trouve que lui ne joue pas assez”.
Un point de vue qui semble légitime quand on se réfère à l’une des dernières études sur le sujet, sortie le 17 juillet dernier par le Centre International d’Étude du Sport. Selon elle, le nombre de rencontres disputées en club n’aurait pas augmenté de manière significative depuis 2012, la moyenne de matchs joués en club se stabiliserait en effet autour des 40 hors rencontres amicales. Seul 5 % des joueurs jouent plus de 60 matchs par saison.
Pour Walid Acherchour, la fatigue des joueurs ne s’explique pas uniquement par le volume de matchs : “Il n’y a pas toujours un delta énorme entre le nombre de matchs que jouaient les footballeurs il y a 10 ans et ceux d’aujourd’hui. Ce qui a changé, c’est l’intensité des matchs. On joue un football plus physique dans lequel on demande aux joueurs de multiplier les tâches, de dépasser leurs fonctions, d’être plus athlétiques, plus rapides tout en conservant une haute exigence technique.”
Outre l’aspect physique, c’est aussi la santé mentale des joueurs qui est remise en question par les matchs à répétition. La fatigue peut devenir chronique qu’elle soit physique, mentale ou émotionnelle et surtout, sans aide, elle peut conduire à des burn-outs ou à des dépressions. Des risques à prendre en compte quand on sait que les meilleurs footballeurs ont consacré jusqu’à 88 % de leur temps à leur sport durant la saison 2023/2024, selon le syndicat FIFPRO. Dans le cadre d’un autre travail, un tel investissement aurait sans aucun doute été jugé abusif.
Dans le football et même dans le sport en général, la santé mentale reste un tabou difficile à aborder. “Les avantages économiques, l’image sociale et identitaire font que les joueurs n’ont pas le droit de se plaindre. Ça renforce ce qui leur est imposé. Il y a la peur du jugement des fans, des médias et des clubs. Quand on veut négocier un contrat, mais qu’on dénonce sa charge de travail, ça ne rassure pas une direction. Tous ces paramètres sont des freins à la libération de la parole.”, selon Clément Le Coz, psychologue et préparateur mental travaillant avec le PSG. “Et puis pour les joueurs, c’est aussi dur de reconnaître les signes avant-coureurs, d’accepter qu’on ait besoin d’une pause, de souffler, de ralentir le rythme.”
S’il reste difficile de parler de santé mentale pour les sportifs, des prises de parole se font de plus en plus régulières. Thierry Henry a par exemple évoqué récemment des troubles dépressifs et Raphaël Varane s’est confié sur sa fatigue physique et mentale au moment de mettre un terme à sa carrière. Au-delà du foot, on peut citer d’autres exemples de sportifs qui s’ouvrent sur leur santé mentale comme Simone Biles côté gymnastique, DeMar Derozan en NBA ou encore Lewis Hamilton dans le sport automobile. Autant de sportif essoré par l’exigence toujours plus accrue d’un milieu sportif qui ne cesse de grossir en tant qu’industrie avec un objectif clair : rapporter de l’argent en capitalisant sur les athlètes et donc en organisant un maximum de rencontres.
Le schéma est particulièrement vrai pour le milieu du ballon rond qui, géré comme une entreprise, court après le bénéfice au détriment de la santé de ses footballeurs. En ajoutant matchs et compétitions, les grandes institutions s’assurent plus de sponsors, plus de diffuseurs, plus de revenus. Côté club aussi, on encaisse, avec en prime une communication accrue en tant que marque lorsqu’on multiplie les apparitions. Le résultat, ce sont des matchs qui n’ont parfois aucun intérêt sportif au profit du financier. Cet été, une tournée de matchs amicaux en Australie illustrait parfaitement ce dernier point : plusieurs clubs du vieux continent se sont ainsi rencontrés après la saison, en même temps qu’une fenêtre internationale. Sans apporter quoi que ce soit en termes sportifs, des rencontres comme Newcastle contre Tottenham ou l’AS Roma opposée à Milan, ont en revanche rapporté des chèques dodus aux clubs.
“Il faut remettre en question certains fondements de l’industrie footballistique. La formule actuelle mise sur l’addiction du public au football, mais à force de multiplier les compétitions, on finit par les dévaluer. Ça épuise les joueurs et la qualité des rencontres s’en ressent, même dans les finales de grandes compétitions. La saturation du corps des joueurs fait aussi écho à celle du public qui pourrait se lasser des matchs sans enjeux et du niveau qui baisse. ”, explique Jérôme Latta, journaliste spécialisé en économie du football, co-fondateur des Cahiers du Football. “Il y a un écart qui s’agrandit entre l’hyper élite et le reste du football et de plus en plus, la performance sportive est corrélé avec la puissance financière”, la preuve que c’est bien l’économie qui gouverne le milieu du football.
Face à cette multiplication sans arrêt des compétitions, les joueurs ne sont pas les seuls à se mobiliser, les coachs aussi s’inquiètent. Après la rupture des ligaments croisés du genou droit de son milieu Rodri, Pep Guardiola a annoncé le 24 septembre qu’il n’hésitera plus à mettre ses hommes au repos à certaines occasions, ici la Cabaro Cup : “Le prochain tour(…), je jouerai avec l’équipe B. Nous n’allons pas gaspiller de l’énergie, croyez-moi (…). Nous ne balançons jamais une compétition, jamais. Mais hier, nous avions joué seulement 50 heures auparavant”.
Un postulat qu’on pourrait voir de plus en plus dans le football et qui est déjà à l’œuvre en NBA ou les basketteurs et leurs 82 matchs au minimum par saison, sont mis à rude épreuve. Pour préserver des joueurs éreintés, les entraîneurs choisissent de sélectionner les matchs en envoyant parfois les équipes sans leurs stars, qu’ils laissent délibérément au repos, pour s’assurer de leur pleine forme au moment des rencontres importantes. Une stratégie qui préserve les joueurs, mais qui n’est pas à l’avantage du public lorsque que certains fans payent des centaines de dollars pour voir des stars finalement absentes.
Comme Pep Guardiola, d’autres entraîneurs tels que Carlo Ancelotti ou Didier Deschamps s’inquiètent et prennent position pour les joueurs. Du côté des syndicats de footballeurs aussi, on se mobilise. Après une première plainte déposée par les syndicats (UNFP et PFA) devant le tribunal de grande instance de Bruxelles contre la FIFA, à propos de l’établissement unilatéral du calendrier des matchs internationaux et la décision de créer une Coupe du monde des clubs. Une seconde a été déposée contre la FIFA le 14 octobre, cette fois-ci devant la Commission européenne, par la branche européenne de la FIFPro, les European Leagues (l’association des ligues européennes) et la Liga, toujours sur des accusations similaires : abuser de sa position dominante concernant les changements apportés au calendrier des matchs internationaux et l’expansion continue des tournois. Une tentative groupée pour amorcer des discussions, pour améliorer les conditions de travail des joueurs et trouver un équilibre entre leur santé et l’économie lucrative qu’ils génèrent.