“Je n’ai jamais vu les films Batman.” C’est par ces mots que Yxng Bane choisit d’entamer notre conversation. Canada Goose posée sur les épaules, matchée avec un ensemble de survêtement du FC Barcelone, le rappeur britannique ne sait pas s’il doit parler en anglais ou en français. Parfaitement bilingue, Yxng Bane opte finalement pour la langue de Shakespeare. Après tout, c’est dans celle-ci qu’il s’est fait connaître. Confortablement installé dans une loge du Point Éphémère, le londonien a l’air ravi par son séjour dans la capitale. Alors que dehors, les rayons du soleil font scintiller le canal Saint-Martin, Yxng Bane peut enfin s’asseoir après une session shopping dans les rues chics du 8ème arrondissement. “J’ai toujours été fasciné par la mode” confie-t-il. “Je respecte ce désir de se différencier de la masse, sans avoir peur d’être excentrique. J’admire des créateurs comme Virgil Abloh, Ricardo Tisci ou une marque comme Balenciaga. Ils n’ont jamais peur de tenter. Pour eux, c’est le flow qui compte avant tout.” Et ce goût pour l’expérimentation se retrouve parfaitement dans sa musique. Aussi à l’aise dans la trap que dans la grime, dans l’afro-swing que dans la pop urbaine, Yxng Bane est assurément un touche-à-tout.
De ses débuts sur SoundCloud en 2015 à la sortie de sa mixtape HBK en novembre dernier, le natif d’East London a su s’imposer comme un artiste unique dans le paysage sonore britannique. “Quand j’ai commencé, je ne voulais pas montrer mon visage, j’aimais l’idée du masque” explique celui qui a adopté le nom du célèbre ennemi du chevalier noir, immortalisé sur grand écran par le charismatique Tom Hardy dans The Dark Knight Rises. Né en plein coeur des quartiers populaires de la plus grande ville d’Angleterre, Yxng Bane baigne dans le pluri-culturalisme dès l’enfance. Sa mère vient du Congo, son père d’Angola. De cet héritage familial, il conservera une aisance pour la langue française et un amour profond pour la musique africaine traditionnelle. Les yeux dans le vague, il évoque sa jeunesse passée dans les tours de Canning Town : “C’est un quartier qui fait partie des 5% les plus défavorisés d’Angleterre. Il n’y a pas de service de santé, personne n’a de diplôme et la pauvreté est partout. Il faut savoir que le taux de meurtre à Londres est supérieur à celui de New York. Cette ville est un merdier.” Un merdier auquel il demeure pourtant viscéralement attaché.
“Ce qu’il y a de beau, c’est qu’au sein de notre communauté, tu ressentiras toujours de l’amour, peu importe les problèmes auxquels on est confronté” explique-t-il sans cacher sa nostalgie. “On fait face ensemble. Je reviens dans mon quartier au minimum trois fois par semaine. Pour retrouver cette énergie, pour bloquer la pression. C’est ma motivation” continue Yxng Bane, sourire aux lèvres. C’est dans ces rues que naît son amour pour la musique. Dès son plus jeune âge, son père lui paie des cours de piano, qu’il arrêtera à l’adolescence. Il se met alors à accompagner ses potes en studio, où il apprend l’art du freestyle. “Le premier album que j’ai acheté, au Virgin à côté de chez moi, c’était Get Rich or Die Tryin’ de 50 Cent. Boom, révélation” se remémore-t-il. En 2016, il publie sa première mixtape Full Moon. Un projet qui laisse déjà entrevoir une belle polyvalence artistique. Quelques mois plus tard, Yxng Bane connaît son premier succès avec le single “Fine Wine.” Un morceau qui agira comme élément déclencheur selon lui : “Après ça, je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose de vraiment sérieux à faire dans le rap.” Les mois passent, au même rythme que les collaborations et les morceaux s’enchaînent pour le londonien. Des titres enregistrés avec Quavo, Octavian ou encore Tinie Tempah, un nouveau tube avec le romantique “Rihanna”… Yxng Bane est lancé.
“Après le succès de ‘Rihanna’, je me suis dit que c’était parti pour de bon. Puis, il y a eu le remix de ‘Shape of You'” nous explique le jeune londonien. “J’étais en studio, mon manager m’appelle et j’entends ‘Shape of You’ à fond dans les enceintes. Il me sort : ‘Je t’imagine trop bien sur cette prod.’ Je n’attendais rien de ce projet, je me suis juste marré parce que c’était un son que j’aimais bien. Comme tout le monde quoi !” S’en suivra un joli succès dans les charts et les félicitations d’Ed Sheeran, l’auteur du tube mondial que Bane a remanié à la sauce urbaine. Influencé par des cadors du rap US comme Future, des légendes de la musique africaine comme Papa Wemba ou encore par des popstars comme Beyoncé, le rappeur met un point d’honneur à ne pas être catalogué dans un genre défini. “Ce n’est pas que je ne veux pas, c’est que ça n’a aucun sens” précise-t-il, avant de développer sa pensée : “Si tu écoutes ‘Rihanna’, tu écoutes un son afro-beat assez tranquille. Si tu passes sur ‘Froze’, c’est de la pure trap. Pourtant, je ne suis pas un rappeur trap et je ne suis pas une popstar. Je ne vais pas au studio en pensant ‘aujourd’hui je rap’ ou ‘aujourd’hui je chante.’ Je me laisse porter par la prod’, je pense à un lieu, à un sentiment, à une personne.”
Ce cheminement artistique trouvera son aboutissement avec la sortie de la mixtape HBK, à la fin de l’année 2018. Un projet salué par la presse spécialisée, qui est une belle carte de visite du savoir-faire de Yxng Bane, tout en étant accompagné par un nom lourd de sens : “Ça veut dire ‘Heartbroken Kid’ (ndlr : “le kid au coeur brisé”). Ce n’est pas moi qui casse les coeurs. Parfois, dans la vie, tu es obligé de prendre des décisions qui te changent en tant que personne. Si tu prends la mauvaise décision, tu peux salement en souffrir. C’est comme ça que tu deviens le HBK.” Il continue, visiblement inspiré par cette séquence d’introspection : “De là où je viens, la vie te force à grandir très vite. Commencer à rapper, faire de la musique un métier, ça te force à grandir encore plus vite. Je n’ai que 22 ans, mais je dois rester concentré et responsable.” C’est cette réflexion qui sert de socle à la musicalité du dernier projet en date du britannique. Le résultat final est à la hauteur des attentes, HBK étant aussi bien pourvu en tubes en puissance qu’en titres mélancoliques.
Alors que notre entretien touche à sa fin, Yxng Bane décide d’abandonner ses pièces à l’effigie du Barça pour un ensemble aux couleurs du Paris Saint-Germain. “J’avais oublié ce qu’il s’était passé il y a deux ans au Camp Nou” plaisante-t-il. L’occasion pour lui d’évoquer son amour pour le ballon rond, plus particulièrement pour une célèbre équipe du Nord de Londres : “Je suis un fan invétéré d’Arsenal. C’est très mal vu dans mon quartier car les habitants d’East London supportent généralement West Ham. Ma famille a toujours été fan des Gunners, c’est pour ça que le sang qui coule dans mes veines est complètement rouge.” Et tandis que le rappeur se prépare doucement à entrer sur scène pour un live qui affiche sold-out, il semble difficile de conclure notre discussion sans lui poser l’inévitable question du premier album. “Soyez patients avec moi. Je vais vous régaler” lâche-t-il finalement dans un grand sourire. Le rendez-vous est pris.
La mixtape de Yxng Bane HBK est à (re)découvrir ci-dessous.