Selon l’édition 2019 du dictionnaire Larousse, le terme “s’embourgeoiser” possède plusieurs définitions, et notamment la suivante : “borner son idéal à la recherche de son confort.” Ce phénomène, vieux comme le monde, peut toucher quiconque détient la clé du succès. Se reposer sur ses acquis, appliquer la bonne vieille recette et s’offrir un nouveau triomphe ? Une perspective souvent tentante. Quelques jours après la sortie du troisième album de Niska, une question quasi-philosophique se pose. Un Charo peut-il s’embourgeoiser ? Car si Mr Sal est un très bon album de trap grand public, le rappeur du 91 a décidé d’appliquer une nouvelle fois la formule qui lui a permis d’accéder au firmament du rap français. Et on ne peut qu’être déçu par ce parti-pris.
Définitivement lancé dans l’arène en 2015 avec le désormais mythique “Freestyle PSG”, Niska a grandi à toute vitesse. Entre une danse popularisée par un Blaise Matuidi et une présence en featuring sur le raz-de-marée “Sapés comme jamais” de Maître Gims, le natif de Villeneuve-Saint-Georges a débarqué dans tous les foyers français sans prévenir. De la ménagère fan du virage variété pris par l’ancien membre de Sexion d’Assaut à l’amateur de trap pointu, il était ô combien difficile de ne pas résister à l’énergie et à la fougue proposée par Niska. Ce combo de “sale” accessible, dansant et entêtant atteindra son apogée avec la sortie du blockbuster Commando en 2017, actuellement certifié disque de diamant. Un projet teasé par le célèbre tube “Réseaux”, qui finira de faire passer son interprète dans une nouvelle dimension.
Depuis ? Des featurings transformés en carton, on pense notamment à “Maman ne le sait pas” avec Ninho ou encore le récent “91 R.R.” avec Koba LaD et un statut de poids lourd du rap français qui ne fait plus de doute pour personne. “Tout le monde a dit que j’allais pas faire longtemps, 4 ans plus tard j’suis encore dans les temps” clame Niska sur “Du lundi au lundi”, l’un des singles de Mr Sal. Force est de constater que l’essonien dit vrai. Le problème est qu’il ne surprend plus. Là où il avait apporté un véritable vent de fraîcheur dans le rap français du milieu de la décennie, Niska se repose aujourd’hui sur de solides acquis artistiques, qui lui permettent de s’assurer d’enregistrer de beaux succès commerciaux. Le frustrant Mr. Sal en constitue la preuve certaine.
L’écoute de ce nouveau projet donne en effet l’impression d’assister à un Commando 2.0, un album qui était bourré de tubes (de “Réseaux” à “Salé” en passant par “Tuba Life”) et porté par une ambition certaine. On retrouve en effet de nombreux producteurs ayant fait leurs preuves sur le précédent projet, comme Pyroman, DJ Ken, ou encore Double X. Musicalement, les productions choisies par Niska sont toujours aussi efficaces, en s’inscrivant totalement dans la lignée de son précédent long-format. En ce qui le concerne, le rappeur du 91 use et abuse toujours des gimmicks qui l’ont popularisé, ces derniers étant devenus sa marque de fabrique. Les “Méchant Méchant”, “Quel Bail” et autres ad-libs loufoques émaillent les différents morceaux de Mr Sal, ce qui ravira sans aucun doute ses fans de longue date. Toujours aussi percutant micro en main, le natif de Villeneuve-Saint-Georges prouve qu’il ne dispose d’aucun égal dans l’Hexagone lorsqu’il s’agit de signer des tubes. Sur les 18 morceaux que comptent Mr. Sal, au moins un quart d’entre eux possède de sérieux arguments pour cartonner sur les ondes, sur les plateformes de streaming ou en boîte de nuit.
Du côté des invités, les présences de Booba, Ninho, Koba LaD, Heuss L’enfoiré et Skaodi offrent toutes des morceaux de très bonne facture (notamment pour “Méchant”). Seul bémol, les trois premiers cités peuvent désormais être considérés comme des collaborateurs réguliers de Niska. Aucune surprise donc dans le fait de les voir figurer en featuring sur la tracklist d’un finalement très sage Mr Sal. Prévisibles et attendus, les différents morceaux de ce troisième album donnent malheureusement trop souvent l’impression d’être redondants. Des titres comme “Bâtiment” et “Médicament”, bien que de qualité et plutôt originaux par rapport au reste de la tracklist, sont par exemple étrangement similaires. À l’inverse, un morceau comme “Stop” brille de par sa fraîcheur, lui qui a été produit par Dopeboy, un producteur néerlandais de plus en plus vue au nord de l’Europe.
Enfin, on pourra également arguer que les thèmes abordés par Niska ont parfois tendance à tourner en rond et à perdre en intérêt au fil du projet. Néanmoins, ce n’est pas sur le plan lyrique que le rappeur du 91 est forcément le plus attendu. Alors, comment évaluer ce Mr Sal ? Paru après plusieurs mois de tumultes médiatiques, entre son histoire avec Aya Nakamura et des rumeurs de paternité qui ont amusé les réseaux sociaux, ce projet ne peut en aucun cas être qualifié de mauvais. Guests de prestige, bangers de qualité, tubes imparables… Ce troisième album fonctionne, c’est certain. Il manque simplement d’un soupçon de folie ou d’audace, on appellera ça comme on veut. Un petit je-ne-sais-quoi de fraîcheur qui le classerait au même niveau qu’un Commando, le véritable manifeste musical de Niska. Le Charo ne s’est pas renouvelé. A-t-il déjà atteint ses limites artistiques ? S’est-il simplement contenté de façonner un projet assuré de séduire sa large fanbase ? Il est coutume de dire qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Ce dicton, Niska semble l’avoir bien compris.
Le nouvel album de Niska est à (re)découvrir ci-dessous.