Tout au long de la saison dernière, nous avons accompagné l’équipe de U13 du FC Croix-Roussien à Lyon. Leur année s’est conclue par un voyage à Marrakech à l’académie du PSG aux côtés de leur éducateur Jules Fauvey. Nous les avons suivi caméra au poing, afin de vivre avec eux cette découverte sportive et humaine. À l’occasion de la sortie de notre nouveau documentaire Views TV “Welcome to Marrakech”, nous nous sommes entretenus avec cet éducateur lyonnais, afin qu’il nous explique son parcours, ses motivations et les valeurs qu’il cherche à transmettre à ses jeunes. Pour Jules, plus qu’un simple sport, le football est avant tout une école de la vie. Entretien.
Peux-tu nous présenter ton parcours dans le football ?
J’ai débuté le foot à l’âge de 6 ans. Je jouais dans le club à côté de chez moi avec mes potes jusqu’à ce que j’intègre le centre de formation du CS Louhans-Cuiseaux 71, un club qui était à l’époque en Ligue 2. J’y suis resté 3 saisons, au niveau National chez les jeunes. Je n’étais pas assez bon pour devenir pro, du coup je n’ai pas été conservé et j’ai eu une modeste carrière de joueur de CFA2/R1 au FC Chalon et à l’AS Beaune. J’ai failli porter le maillot du PSG entre temps, en section amateur, mais une pubalgie m’a empêché de jouer le moindre match. J’ai arrêté à 25 ans…
Quand as-tu commencé à bosser au FC Croix-Roussien ?
Six ans après la fin de ma carrière, j’ai décidé de me rapprocher du club le plus proche de chez moi, le Football Club Croix-Roussien. Je voulais me former au métier d’éducateur. C’est une envie que j’avais au fond de moi depuis un moment, j’ai du passer plus de temps à jouer à Football Manager qu’à réviser mes cours… Je me préparais. Je suis allé assez vite dans le processus de formation pour obtenir mon BMF / Licence UEFA B au bout de ma deuxième saison. J’attaque désormais ma troisième saison dans l’encadrement et j’ai rejoint le FC Lyon, où je suis éducateur du groupe U13 Élite.
Quelles sont les spécificités de la formation des U13 ?
C’est une catégorie intéressante car c’est la dernière saison où le foot se joue à 8. Il faut donc commencer à préparer la transition vers le foot à 11 avec des nouvelles distances, des temps de jeu plus longs, davantage de joueurs sur le terrain… Il n’y a pas de compétitions jusqu’en U13, du coup cela nous permet de travailler sur le contenu et sur des objectifs collectifs qui peuvent être différents que le résultat pur et dur. On aborde beaucoup d’aspects, athlétique avec beaucoup de motricité, de coordination et de vivacité, mais également du travail technique et du travail tactique individualisé et collectif. Nous souhaitons rendre les joueurs autonomes et les responsabiliser, que ça soit sur le terrain ou en dehors.
Par quels biais ?
Nous leurs posons des problèmes de jeu et les laissons réfléchir à des solutions. Le football robotisé est très loin de notre processus de formation. Nous souhaitons rendre nos joueurs intelligents footballistiquement. L’aspect mental est également très important, il est primordial de créer un climat de confiance avec les enfants afin de les mettre dans les meilleurs dispositions pour travailler. Il est aussi important pour eux d’être confrontés à l’échec, que ça soit individuel ou collectif, c’est très formateur. Une équipe qui passerait la saison entière à gagner serait compliquée à gérer, il faut aussi apprendre à perdre…
Est-ce que ce n’est pas parfois difficile d’inculquer des valeurs tactiques et collectives aux jeunes, dans un monde du foot où l’exploit individuel est de plus en plus valorisé ?
À partir du moment ou les joueurs te font confiance, le travail est plus facile à mettre en place. Les jeunes sont là parce que c’est leur passion, ils ont soif d’apprendre et sont curieux. À cet âge il est plutôt simple de les faire adhérer à un projet de jeu. Je pense qu’il est important d’échanger et de construire le projet avec eux, que ça ne soit pas uniquement descendant. Il faut les orienter bien sûr, mais si tu poses la question à un groupe, ils voudront tous avoir la possession du ballon et défendre le moins possible. Et du coup pour avoir tout le temps le ballon, il faut aussi défendre très fort. C’est à nous, les éducateurs, d’activer les bons leviers pour mettre ça en place. Et les enfants se rendent vite compte que Messi ou Ronaldo c’est bien beau, mais que c’est très dur à imiter dans la réalité. La créativité doit faire partie de la palette des joueurs, mais elle doit être plus ou moins cadrée. Le football est un sport collectif et je n’ai aucune sensibilité pour les récompenses individuelles. Forcément cela se ressent dans ma manière de gérer mon groupe, personne n’est au dessus, peu importe son “statut” dans l’équipe. Il est très important de fixer un cadre et de s’y tenir.
On entend beaucoup de choses sur le foot amateur, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux télé. Quel est ton avis sur l’état de notre football ?
Je n’ai pas vraiment d’avis, je vois ça d’un oeil assez détaché, je m’occupe de moi, de mon équipe et de mon club. Si chacun se concentre déjà sur soi, sur le fait de se former, d’être bienveillant, de prendre du recul sur certaines situations et décide de privilégier la formation par rapport aux résultats, ça sera déjà un grand pas. Selon moi, une équipe est à l’image de son éducateur. ll devrait être obligatoire d’être formé pour encadrer des jeunes, malheureusement il y a tellement de licenciés que le besoin en éducateurs est considérable et que tous n’ont pas forcément le temps de se former… Les parents peuvent être également très nocifs. Après, le foot rend les gens fou et j’ai vu des choses parfois limites au bord des terrains, jamais graves, je touche du bois, mais je lis la presse comme tout le monde, et certaines histoires ne sont pas glorieuses effectivement.
Comment peut-on changer ces mentalités selon toi ?
Les clubs devraient être radicaux avec les parents qui débordent. Il faut bien que chacun reste à sa place, un parent dès qu’il emmène son enfant au foot, il devient un accompagnateur et/ou un supporter. Pas un éducateur, pas un agent, pas un hooligan. Ça reste du foot, qu’on gagne, qu’on perde, cela ne changera strictement rien à nos vies. D’ailleurs je reste persuadé qu’on apprend plus dans la défaite. Il faut la détester mais savoir l’accueillir lorsqu’elle arrive. Un bon joueur, qu’il gagne, qu’il perde, il ne passera jamais à travers les mailles des recruteurs. Par contre un bon joueur avec un entourage néfaste, lui, il fera fuir les clubs, vous pouvez en être sûrs.
Quand est née l’idée de ce projet de voyage au Maroc ?
L’idée du projet au Maroc est venue en décembre dernier, pendant une discussion avec Arnaud Cattenoy, le responsable des Academy PSG au Maroc qui m’a soumis l’idée de venir faire un stage de quelques jours chez eux, en mettant à notre disposition les terrains d’une des Academy.
Quel était l’objectif de ce voyage à Marrakech ?
L’objectif était multiple. Se faire plaisir, passer un moment ensemble pour conclure deux ans de travail commun, jouer au foot, mais aussi faire une action humanitaire en allant à la rencontre d’enfants marocains pour leur offrir du matériel. C’est important pour les enfants de voir comment cela se passe ailleurs, dans un autre pays, dans un autre continent. Qu’ils prennent conscience que la vie n’est pas la même pour tout le monde. C’est génial de pouvoir activer des choses comme ça autour de la passion que nous avons tous en commun… Ça rassemble, peu importe qui on est et d’où on vient.
Qu’ont retiré les enfants de ce projet selon toi ?
Les enfants ont vécu un moment inoubliable. Qui à 12 ans, peut se vanter d’être parti au Maroc 5 jours avec son club de foot ? C’est magnifique. Ils ont passé les 5 jours collés tous ensembles, j’ai rarement vu ça. C’était une meute, ils se déplaçaient à 12, tout le temps, partout. On était dans des conditions exceptionnelles, hôtel, piscine, mini bus pour se déplacer, un terrain entier à notre disposition, le soleil…
Au delà de ça je pense qu’ils ont été touchés par tous les gens que nous avons rencontré ici, par l’accueil que nous avons reçu. Ils se sont aussi rendus compte qu’on était pas si mal en France (rires). Ils se plaignent pour des détails parce qu’ils vivent dans le confort, mais en repensant à ce qu’ils ont vu ici, ils réfléchiront peut-être à deux fois avant de se plaindre de ce qu’ils ont chez eux.
Comment se sentaient les enfants vis-à-vis des caméras qui vous suivaient en permanence ?
Les caméras ont été présentes plusieurs fois avec nous cette saison, du coup la première fois ça interpelle, certains voulaient se faire remarquer ou au contraire étaient plus timides qu’à l’accoutumée, mais petit à petit, tu n’y fais plus attention.
Tu penses que ce documentaire peut inspirer d’autres éducateurs ou d’autres clubs à mener à bien des missions similaires ?
Je n’aurais pas la prétention d’avancer ça, mais si mon projet peut donner des idées aux éducateurs et aux dirigeants, c’est tant mieux. D’autant plus qu’il y a déjà énormément de projets qui voient le jour dans les clubs et c’est super. Des tournois, des actions éducatives, des échanges… tu peux emmener un enfant partout avec sa passion.
Le reportage Welcome to Marrakech de Views TV est à découvrir ci-dessous