Cheu-B, trajectoire d’un trappeur

Avec son nouvel opus, Welcome To Skyland 2, « Big Cheu » se présente une seconde fois au public.

Pur produit du 17ᵉ arrondissement de Paris, Cheu-B capte d’abord la lumière avec son collectif XVBARBAR avant de tracer sa route en solitaire. Fort de deux premiers projets prometteurs en 2017 puis 2019, le rappeur impose un rap mélodique biberonné à la trap. Avec son nouvel opus, Welcome To Skyland 2, « Big Cheu » se présente une seconde fois au public.

En pleine tournée promotionnelle, Cheu-B s’affiche détendu, sûr de lui, impavide. La porte du studio franchie, il trouve rapidement ses marques, s’installe sur son siège entre deux plaisanteries. Si les locks ont poussé, le sourire reste lui toujours intact. Dès le départ, il brise la glace et se prête aisément au jeu des questions-réponses. Lors du shooting, c’est lui qui mène la danse et charme l’objectif du photographe au premier coup d’œil. L’exercice est parfaitement maîtrisé par l’artiste, qui chantonne des couplets de Kaaris ou Lacrim entre deux flashs.

Cheu-b est un ancien, « un mec de la calle pur et dur » qui réfute les carcans et les canons. Un électron libre, sans artifice, authentique et anti-hype. Il poursuit son chemin avec un projet qu’il présente comme une extension de lui-même. Une nouvelle invitation à voyager dans son univers, le Skyland.

Dans quel 17ème as-tu grandi ?

Je suis né dans le 17ème. J’ai d’abord habité à Pont Cardinet jusqu’à mes six ans, ensuite j’ai déménagé à la Fourche. J’y ai vécu pendant un an et à partir de mes 15 ans je suis parti à la Jonquière. C’est un quartier à trois grandes zones, du coup on était tous connecté. On traînait souvent au Square Bleu à Porte Saint-Ouen ou au Square Hélène à la Fourche, on y restait toute la nuit avec les grands, on faisait des barbecues… Je garde beaucoup de bon souvenirs de cette période.

Avec les années, il y eu beaucoup de rénovations urbaines. Le parc Martin Luther King n’existait pas avant, ni le Tribunal de Paris. Le gouvernement a voulu « nettoyer la zone », faire en sorte que ce soit plus calme. Et c’est vrai que ça s’est apaisé, c’est un peu plus sécurisé pour tout le monde. Mais il y a moins de vie. 

Comment s’est formé le XVBARBAR ? 

On est des mecs du 17ᵉ, on a tous grandi ensemble et fréquenté le même collège. Au départ on était une dizaine à rapper. Après le groupe s’est divisé en deux avec d’un côté PSO Thug, formé par Leto et Aero, de l’autre le XVBARBAR, avec les huit autres membres. En fait, on fonctionnait comme un collectif. On prenait exemple sur des collectifs comme Only the Family. Et dans un collectif, rien n’est fixe, toutes les combinaisons sont possibles. C’était difficile même parfois de poser tous ensemble sur un son. On était vraiment nombreux et il fallait trouver sa place. 

Vous étiez parmi les premiers instigateurs du mouvement trap en France. Tu as conscience d’avoir eu ce rôle de précurseur avec ton groupe ? 

Franchement ça me fait plaisir parce qu’au départ, personne ne savait que la trap allait avoir autant de succès en France ou aux États-Unis. Mes frères et moi, on est trop heureux de vivre dans cette ère-là, parce que c’est une musique qui nous ressemble. C’est sûrement ça qui a fait que plein de jeunes en France se sont identifiés à nous. 

On se réunissait tous les jours à midi sur World Star Hip Hop pour se tenir au courant des moindres faits et gestes des rappeurs de Chicago, comme si c’était nos potes. On suivait leur actualité, on savait quand un d’entre eux mourait, qui était cousin avec qui. On a connu King Von avant que ses locks aient poussé. On écoutait Young Thug depuis « Loaded »  nous. On était trop impliqué.

On se réunissait tous les jours à midi sur World Star Hip Hop pour se tenir au courant des moindres faits et gestes des rappeurs de Chicago, comme si c’était nos potes.

Dans le son « Catch Up » par exemple, on voit clairement l’inspiration qui provient de ces artistes.

Bien sûr, ce morceau est le remix d’un son de rap US. Quand on l’a sorti, il a fait plus de vues que l’original. Avec Black D, on a ramené la trap dans XV Barbar. Dans le groupe, il y a avait de gros kickers : The S, rappeur de fou, Jack Mess et ADK. En écriture, c’est eux nos chefs. Black D et moi on ne savait pas rapper à la base, on est venus avec du flow et de la gestuelle. C’est pour ça que les gens nous ont kiffé.

À un moment, on s’est guetter et on s’est dit : “La tête de moi, on va rapper.” Dans Bourbier”, on a partagé un texte. On s’est pétés, on a pris un flash, on a écrit une phrase chacun. On s’est tapés pour rentrer dans le son. Au départ, on était les derniers dans les commentaires. Les gens étaient plus impressionnés par le rap de The S. Quand la trap est passée, on est passés devants. Parce que juste dire “bitch, bitch, bitch”, c’était devenu trop stylé. Les gens ont directement aimé l’image qu’on renvoyait, c’est comme ça qu’on s’est démarqués. 
J’ai eu besoin de bien contrôlé l’auto-tune, je n’ai pas une grosse voix à la Gradur, Landy, Ninho. Sur Carjack Chiraq, c’est ma voix sans effet. J’étais obligé de crier. Je suis dans la cabine, j’ai les veines (rires).

Quel est ton rapport au succès ?

Franchement, je suis quelqu’un d’humble. Ça me fait plaisir d’avoir de la reconnaissance, mais je ne veux pas de fanatisme. Mon objectif n’est pas d’accumuler des millions de followers, je m’en fous de ça. Ce que j’aime le plus c’est faire plaisir aux gens, quand c’est naturel. J’apprécie le contact avec la foule sur scène, recevoir l’amour et la force de personnes qui connaissent ta musique.

Je ne vais pas te mentir. Si demain je fais 100 millions de vues sur un de mes titres, je vais être le plus heureux du monde. Pour l’instant, je ne suis pas aigri de ce truc. Il faut que tu fasses tes 100 millions à toi. Compare-toi pour te motiver, pour te dire : “J’avoue, c’est faisable.” Il faut se trouver sa place et ne pas envier celle des autres.

Tu as gardé cet état d’esprit dans ta relation avec Leto ? 

Quand je vois mon frérot Leto avancer, ça me fait que plaisir. C’est là que tu vois qui tu es. Je viens à ses showcases, je suis limite en train de gérer sa sécurité. Je préfère 10 000 fois être à côté de mon frère et le voir avancer que de me dire : “C’est la guerre.” Je ne suis pas rentré dans le rap avec cette mentalité-là et je n’en sortirai comme ça. Chacun aura son heure.

Quand je vois mon frérot Leto avancer, ça me fait que plaisir. C’est là que tu vois qui tu es. Je viens à ses showcases, je suis limite en train de gérer sa sécurité.



La différence de succès a créé des conflits au sein du XVBARBAR ? 

Logique, je ne vais pas te mentir. Certains ne vont pas te le dire mais quand quelqu’un est jaloux de toi, tu le sens. Tu le sens quand quelqu’un n’est pas heureux pour ton bonheur. C’est juste que tu as avancé et eux non et ils cherchent des coupables. Tu vas faire quoi ? Tu vas pas t’arrêter d’avancer pour les gens.

Malgré l’engouement autour des artistes du 17ᵉ, il ne s’est pas transformé en succès massif à part Leto. Pourquoi ce cap a dû mal à être franchi ? 

Pour beaucoup, c’est à cause du manque de structure. Et pour passer du statut d’artiste émergent à rappeur confirmé, il faut une bonne équipe. Leto par exemple, il en a eu marre. Il a pris conscience qu’il voulait faire que de la musique. Il m’a dit : “Le reste, il ne faut plus m’en parler.” À un moment donné il s’est entouré des bonnes personnes et s’est concentré. C’est comme ça qu’il en est arrivé là. Si je devais donner un conseil aux artistes, c’est « restez à votre place ». Chaque poste est important et doit être pris très au sérieux. Tu ne peux pas avoir toutes les casquettes, sinon tu vas te perdre.

Comment as-tu géré le passage du groupe à ta carrière solo?

Je suis passé par plusieurs étapes. Après la dissolution du XVBARBAR, j’ai eu la chance de faire des bonnes rencontres, avec des personnes qui m’avaient remarqué depuis plusieurs années.  Mais le problème, c’est qu’ils m’ont proposé un projet trop hype. J’étais vraiment sceptique, parce que je suis un mec de la calle pur et dur. Je ressemble à un gars de la hype, mais c’est que mon apparence. Je vais dehors, personne ne me touche mon pote. Puis, ça change tout le temps. Je voulais esquiver cette case.

Je ressemble à un gars de la hype, mais c’est que mon apparence. Je vais dehors, personne ne me touche mon pote.

Qu’est-ce qu’ils te proposaient ? 

Ils m’ont fait une proposition complète. La contrepartie, c’était de me détacher de mon image « street ». J’avais le champ libre sur ma musique, mais pas sur la direction artistique. À un moment, j’en ai eu marre et j’ai rejoint Sony. Mais dès mon arrivée la personne qui m’a signé s’est faite virer. J’ai changé plusieurs fois de label chez Sony. Je n’ai jamais eu la chance de faire un projet intégralement avec la même équipe. Au bout d’un moment, ça m’a fatigué et j’ai monté ma propre boîte. Je me suis mis en distribution améliorée et j’ai fait mon truc. 

Ça t’a rebuté des maisons de disque ? 

Non ça ne m’a pas dégoûté, mais ça m’a permis de comprendre quel contrat était le plus adapté pour moi en major. J’ai connu les trois contrats : l’artiste, la distribution et la licence. Maintenant je sais que je préfère la distribution, ça me permet de garder la main sur mon business.


Avec le passage du groupe à la carrière solo, tu as dû choisir toi-même tes beatmakers, vidéastes, photographes… Comment as-tu réussi à changer ton fusil d’épaule ? 

C’est que des rencontres. À mes débuts, je travaillais dans un studio qui tournait bien, j’ai pu faire la rencontre de plein de beatmakers dont Bugatti Beatz. J’ai vu passer des artistes comme Drake, Rich The Kid et Rich Homie Quan. C’est comme ça qu’on prend contact. Je suis un mec qui n’a pas peur de toquer aux portes, d’aller chercher ce dont j’ai besoin. Je ne suis pas timide, il faut tester ça peut être ta chance.

Pourquoi as-tu choisi de faire un deuxième volet après Welcome to Skyland plutôt qu’un album différent ?

Cet album, c’est une manière pour moi de m’introduire au public à nouveau. Je ne pouvais pas passer à autre chose tant que je n’ai pas passé ce step. Physiquement j’ai évolué, je n’ai pas la même longueur de locks, ma voix s’est modifiée aussi. Mais malgré tous ces changements, c’est une manière de dire à mon public que j’ai évolué en restant fidèle à moi-même. En travaillant sur ce projet, je me suis retrouvé

Les deux singles que tu as mis en avant, « Santa Barbara » et « Chouchou des Nanas », sont construits des beats drill. Ça signifie que la trap se termine toi ? 

Non, pas du tout. J’ai choisi de mettre en avant ces morceaux parce que ce sont les plus récents. En plus en ce moment tout le monde écoute de la drill, parfois il faut savoir être à la page et surfer sur la tendance. Mais ce n’est pas parce que j’ai fait deux sons que je vais faire le mytho de Londres avec une cagoule. Si tu écoutes mon projet, tu vas retrouver le Cheu-B que tu as l’habitude d’écouter.

Ce n’est pas parce que j’ai fait deux sons que je vais faire le mytho de Londres avec une cagoule.

La drill a enterré la trap selon toi? 

Déjà, la vraie drill existe depuis 2011 et elle vient de Chicago avec “Chi-Raq”. Même si tu écoutes Kaaris dans « Se-vrak », c’est de la drill. C’est lui qui l’a introduite en France. Les Londoniens ont réussi à exporter leur propre drill à l’étranger, elle a été popularisée grâce à Pop Smoke qui en a repris les codes. Mais à la base, c’est un style de musique qui est arrivé en même temps que la trap.

Sur ton projet tu sembles quand même vouloir te diversifier, notamment avec le morceau « 90’s Love » aux sonorités r’n’b. 

« 90’s Love » c’est un remix de « What’s Love », une musique d’Ashanti et Fat Joe. Comme je suis un ancien, je voulais une chanson un peu old school sur mon projet. Et d’un autre côté, c’était une manière pour moi de toucher un public plus féminin. Après, j’ai toujours chanté.

Ça t’intéresserait de collaborer avec une équipe de producteurs, réalisateurs, topliners comme Heazy Lee ou Le Motif ? 

Je suis déjà allé en studio avec eux, c’est mes gars. Ils venaient pour faire des titres aux influences rap US que je maîtrise. Justement moi je voulais qu’ils m’apportent quelque chose d’original et différent de ce que je sais faire. Par exemple, je pense à Shay avec “Thibaut Courtois”. C’est pour ça qu’on n’a jamais sorti de titre ensemble. On n’a jamais réussi à trouver le décalage.

Tu serais prêt à sortir de ta zone de confort sur un prochain projet ?

Il y a d’autres manières de travailler comme le séminaire. À un moment, tu tournes en rond et quelqu’un débloque la situation. Dans ce cadre, tu peux appeler ces beatmakers, ces topliners qui préparent des palettes. On est ouvert maintenant. À l’époque, je me disais : 0 topline. J’utilisais trop l’auto-tune, je pensais avoir besoin de personne. En tant que passionné de musique, je trouvais que les topliners m’enlevaient un rêve. Ça enlève de la magie. Je ne savais pas qu’on pouvait être simplement interprète au départ. Maintenant, je me situe entre les deux.

En tant que passionné de musique, je trouvais que les topliners m’enlevaient un rêve.


Quel est ton plan de carrière à court terme ?  

Je suis un artiste qui produit beaucoup au studio. Je peux faire 20 sons par semaine. L’objectif maintenant est d’envoyer beaucoup de nouveaux concepts, développer encore plus l’image et proposer plus de clips. On veut associer l’image à la musique jusqu’à ce qu’on ait la reconnaissance qu’on mérite. Imaginer des petits concepts, on pourrait envoyer un morceau tous les jours. Je veux être partout jusqu’à les saouler.

Welcome To Skyland 2 est disponible sur toutes les plateformes de streaming.