match football les hijabeuses

Les Hijabeuses joueront !

Elles joueront !

Il y a deux semaines, un arrêté préfectoral les avait empêché de manifester leur droit de jouer au football. Mais les Hijabeuses sont retournées sur le terrain, jeudi 24 février, quelques heures après une importante victoire à l’Assemblée nationale. 

« Peut-être que les rapports de force ne jouent pas en notre faveur, mais la force du nombre a gagné et aujourd’hui, on veut célébrer ça. » Founé Diawara, présidente des Hijabeuses, s’empare micro après avoir livré le premier match amical de la soirée. Dans sa voix légèrement frêle, ni haine ni rage, mais un message d’espoir prêché sans fard. « On est consciente que l’on s’attaque à un gros poisson. Mais face aux amendements qui ont été supprimés, on se rend compte qu’on est forte et qu’on a le pouvoir de changer les choses », poursuit-elle. Au bout de son discours, les applaudissements des amis, familles, sportifs et journalistes assis dans les gradins du gymnase Didot, dans le 14ème arrondissement parisien, traduisent un moment de célébration. 


Founé Diawara, présidente des Hijabeuses. Crédit photo : Alexandre Mouchet.
En fin d’après-midi, les députés ont adopté la loi visant à démocratiser le sport en France, sans l’amendement controversé sur l’interdiction du port du voile, qui avait été introduit par les sénateurs. « Ces citoyennes, ces combattantes, ont encaissé beaucoup de choses. Elles ont gagné contre le préfet de police, contre les sénateurs. Et parce qu’on préfère les 3-0 chez nous, (si Dieu le veut) ces femmes gagneront contre le Conseil d’Etat », a soufflé Marion Ogier, avocate du collectif. 

Un football

plus inclusif

Un football plus inclusif

Fondé en mai 2020, le collectif qui a germé sous l’égide de l’association Alliance citoyenne se bat depuis plusieurs mois pour autoriser le port de signes religieux lors des compétitions officielles de football. Ses identités et ses ambassadrices sont plurielles : étudiantes, mères au foyer ou encore sage-femme, âgées entre 20 et 30 ans. Chacune revendiquant son bout de droit. « J’ai commencé à jouer en 2015, et j’ai rencontré des discriminations dues à mon voile. Hijabeuses ce sont des femmes qui ne sont pas forcément musulmanes, ni sportives, mais qui sont préoccupées par les questions de justice », expose Founé, devant une foule venue assister à ce moment clé de leur lutte.
 
En novembre dernier, le collectif a saisi le Conseil d’Etat pour obtenir l’abrogation de l’article 1 du règlement de la Fédération française de football (FFF), interdisant « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Une mise au ban des joueuses portant le voile jugée arbitraire et inacceptable, sachant que depuis 2014 la Fédération Internationale de Football Association autorise le port du voile et du turban. 
On a entendu islam politique, séparatisme, communautarisme. Mais qui sont les séparatistes ? On se le demande, car cet évènement prouve que tout ce qu’on veut c’est rassembler.

Founé Diawara, présidente des Hijabueses

 
On a entendu islam politique, séparatisme, communautarisme. Mais qui sont les séparatistes ? On se le demande, car cet évènement prouve que tout ce qu’on veut c’est rassembler.

Founé Diawara, présidente des Hijabueses

Taxées de séparatisme et de communautarisme, les Hijabeuses, soutenues par par d’autres associations de footballeuses comme Les Dégommeuses ou le collectif Contre-Attaque, souhaitent pourtant que « toutes les minorités puissent avoir accès au sport. Notre seul tort aujourd’hui est d’avoir voulu jouer au football », regrette Founé. Les actions se sont multipliées ses dernières semaines, alors que la question du port du voile a ressurgit dans le débat public à l’approche de l’élection présidentielle. Le 26 janvier, les Hijabeuses tapaient dans le ballon rond devant le Sénat pour protester contre l’amendement clivant des élus Républicains, retiré de la loi votée jeudi par l’Assemblée nationale.

Avec ces actions, les sportives souhaitent avant tout éviter que leurs détracteurs « s’accaparent leur combat et en fassent l’étendard de leur vision de l’islam ». Aujourd’hui, elles interpellent l’opinion publique pour rappeler la légitimité de leur lutte : « On a entendu islam politique, séparatisme, communautarisme. Mais qui sont les séparatistes ? On se le demande, car cet évènement prouve qu’on tout ce qu’on veut c’est rassembler », conclut Founé. 


Les membres de l’équipe des Hijabeuses avant le match. Crédit photo : Alexandre Mouchet.

Une affaire de tous

Une affaire

de tous

Entre les prises de parole, les matchs à 5 s’enchaînent dans une ambiance conviviale, au rythme des musiques de Burna Boy, Aya Nakamura ou encore Beyoncé. Pour la troisième et dernière partie de la soirée, c’est face à l’ancienne championne de boxe Aya Cissoko, le basketteur Georgi Joseph (Tours Métropole Basket) ou encore le joueur de foot américain Anthony Mahoungou-Le Moigne que les footballeuses ont défendu leurs couleurs. Ces athlètes de haut niveau, signataires d’une tribune publiée dans Libération avec une cinquantaine d’autres sportifs, sont venus réaffirmer leur soutien au jeunes femmes. Sur les t-shirts qu’ils ont enfilés avant d’entrer en jeu, on peut lire le mot-dièse #LETUSPLAY (laissez-nous jouer) graphé en lettres bleues. 

Georgi Joseph, Aya Cissoka et les membres du collectif des Hijabeuses. Crédit photo : Alexandre Mouchet.
Les Hijabeuses mènent une aussi une campagne sur les réseaux, à coup de pétition, de hashtags et communiqués traduits en anglais afin d’exporter leur lutte au-delà de frontières françaises. Sur Instagram, la mannequin Bella Hadid s’est faite porte-parole des musulmanes victimes de stigmatisation uniquement car elles couvrent leurs cheveux. « J’exhorte la France, l’Inde, le Québec, la Belgique et tous les autres pays du monde qui pratiquent la discrimination à l’égard des femmes musulmanes de repenser les décisions que vous avez prises ou que vous tenterez de prendre à l’avenir concernant un corps qui n’est pas le vôtre. » Elle a ouvertement blâmé l’Etat français, rappelant que « les femmes qui portent le foulard en France ne sont pas autorisées à le mettre à l’école, pour faire du sport, pour nager, même sur leur photo d’identité. […] C’est ridicule et cela montre vraiment à quel point le monde est islamophobe sans même le reconnaître. »

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Une publication partagée par Bella 🦋 (@bellahadid)

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Véritable obsession française, ce bout de tissu est systématiquement instrumentalisé en outil d’exclusion, dans un pays où la laïcité, consignée dans la devise, s’applique à géométrie variable. Anas Daif, journaliste et rédacteur en chef du podcast à l’intersection, soutient que le discours selon lequel le hijab serait incompatible avec la laïcité est une façon de « maintenir un état de subordination d’une partie de la population qui réclame ses droits. Tout cela est ancré dans l’histoire de l’immigration post-coloniale. On ne s’attendait pas à ce que les personnes immigrés restent, et que leur descendance réclame encore plus d’espace. »
Il poursuit : « Aujourd’hui, le souci de la France est qu’elle a du mal à accepter son caractère multiculturel. En permettant à des femmes qui portent le voile de librement pratiquer leur sport, ça va ouvrir des portes à plein d’autres revendications. Et c’est la raison qui explique la réticence de la part du Sénat. Quand les minorités essayent de se rendre visible, ça pose problème. »
Ce n’est pas une question d’opinion, on ne vous demande pas votre avis. On a le droit de jouer et on fera tout pour jouer.

Hawa, 20 ans, membre du collectif.

 
Ce n’est pas une question d’opinion, on ne vous demande pas votre avis. On a le droit de jouer et on fera tout pour jouer.

Hawa, 20 ans, membre du collectif.

Au sein du gouvernement, les avis divergent et se contredisent. Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, se prononce contre un « prosélytisme dans les compétitions sportives » que les femmes qui portent le hijab alimenteraient. Mais pour Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, les Hijabeuses « ont le droit de porter le voile islamique pour jouer » au football, ajoutant : « Je veux qu’on respecte la loi. »  Des réponses discordantes qui stérilisent le débat, et que les Hijabeuses balayent : « Ce que pense le gouvernement, ce n’est pas mon problème, assène Hawa. On a parlé avec plusieurs avocats, il y a la Ligue des droits de l’Homme qui nous soutient, Amnesty International également. Ce n’est pas une question d’opinion, on ne vous demande pas votre avis. On a le droit de jouer et on fera tout pour jouer. » 


Hawa, 20 ans, membre des Hijabeuses depuis novembre 2020. Crédit photo : Alexandre Mouchet.
Face au Conseil d’Etat, dernier pallier avant la victoire finale, elles tenteront de marquer un bout d’histoire. « On jouera, on jouera, même si l’État le veut pas nous on jouera ! », peut-on entendre résonner dans l’enceinte du gymnase Didot. Un cri de guerre, clamé en coeur, qui porte avec lui l’espoir plus grand d’un changement des moeurs.

Maëlys Kapita