« Ça a été le plus gros test de ma vie ». C’est ainsi que Paul Pogba résume sa saison. Une année marquée par de multiples blessures, la mort de son agent et un conflit familial rendu public. Mais aussi par son trentième anniversaire et la naissance de son troisième enfant. Un troisième garçon.
Mais s’il y a une chose que Paul Pogba a appris après toutes ces épreuves, c’est de toujours rester positif. Malgré les critiques. Malgré son corps qui lui joue des tours. Il avance dans la vie comme dans sa carrière. Il ne se laisse pas abattre, car il « a gagné » en devenant footballeur professionnel. Il a réalisé son rêve d’enfant et veut, tout en gagnant des titres, prendre du plaisir et en donner aux gens. Le plus longtemps possible.
C’est dans un studio photo au cœur de Turin que nous accueillons Paul Pogba. Au lendemain du nul de la Juventus de Turin face à Séville, en Ligue Europa. Sa bonne humeur illumine tout de suite l’endroit. « J’espère que vous avez une enceinte parce que je vais vous faire danser ». Il s’assoit dans une pièce au fond, sourire aux lèvres, prêt à se livrer sur sa saison, sa famille, son après-carrière et le racisme qui entache son sport.
Tu as eu 30 ans le 15 mars, c’est un nouveau chapitre de ta vie qui a commencé. Comment tu abordes cette nouvelle décennie ?
30 ans, tu sais quand tu touches les trois [chiffres] ça fait un peu bizarre, mais il n’y a rien qui change. Déjà, je suis père de famille depuis mes 25 ans donc tu as une responsabilité envers ta famille, les enfants.
Mais vraiment, il n’y a rien qui change. Je reste toujours Paul, je reste toujours le même personnage. Tu mûris au jour le jour, tu essaies de rester toi-même. Tu ne veux pas trop changer. C’est toujours moi, je suis devenue un homme un peu plus responsable, avec plus de maturité, plus d’expérience dans la vie.
Cette nouvelle décennie, elle s’accompagne aussi de l’arrivée d’un nouvel enfant. C’est ton troisième. Tu peux me parler de ta relation avec tes fils ?
Mes petits bébés. Franchement, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à une personne. Voir ses enfants grandir, leur donner aussi une bonne discipline, les faire grandir dans un monde qui est assez compliqué. Avant, quand j’étais tout seul, je ne pensais vraiment qu’à moi et à faire mon chemin. Maintenant, j’ai un héritage à laisser à mes enfants. Je veux qu’ils le suivent et qu’ils représentent le nom de Pogba.
Comment la parentalité t’a changé ?
Au début, tu ne te rends pas vraiment compte, tu dois t’organiser. Il y a plus de responsabilités. Tu ne fais pas les choses de la même manière. Avant, on pouvait sortir. Maintenant, on est plus à la maison, à rester avec les enfants. Juste passer du temps avec mes enfants, c’est ça mes journées. Je passe assez de temps dans le foot, je veux profiter au max d’eux quand ils sont petits. Parce que le temps passe vraiment vite. Et quand il passe, ce sont vraiment des moments perdus.
Ils te motivent à vouloir encore plus réussir ta carrière ?
C’est une raison en plus de bien faire. Tu veux rendre tes enfants fiers en jouant encore mieux, en gagnant des titres. Et aussi bien sûr préparer leur futur. Dès que tu rentres sur le terrain, tu dis qu’il y a des gens qui sont derrière toi, ta famille, encore plus tes enfants. Tu veux vraiment rendre tes enfants fiers.
L’une des choses qui caractérise ton jeu, c’est qu’il est très créatif, spontané et dynamique. Mes collègues disent que tu joues comme dans un five, que ton jeu n’est pas aseptisé comme le football est actuellement. Comment toi, tu analyses le foot d’aujourd’hui ?
Le foot d’aujourd’hui a vraiment changé parce qu’il est beaucoup plus intense et je pense qu’on pense beaucoup plus au résultat, ce qui est normal. Mais pour moi, avant tout, ça a toujours été un plaisir. Je joue au foot comme quand j’avais 5-6 ans. C’est vraiment du plaisir et l’envie de donner du plaisir aux personnes qui regardent. Et ça a toujours été comme ça. Et je ne veux pas que ça parte parce que c’est comme ça que j’ai commencé. C’est comme ça que j’ai grandi et c’est ça qui m’a fait aimer le foot. Le spectacle avant tout. Ça ne veut pas dire que tu oublies le résultat, je suis un très mauvais perdant. J’aime gagner avec la manière et avec le style.
Justement, pour rester sur le fait que tu mets le plaisir de jouer plus au-dessus, quand tu entends tes détracteurs dire que tu fais un match moyen parce que tu es trop « show-off » avec tes célébrations, tes coiffures. Comment tu perçois ces critiques ?
Moi, je pense plutôt aux critiques positives, car il y aura toujours des critiques assez négatives. Mais je ne pense pas à ça. Aujourd’hui, je suis footballeur professionnel parce que j’ai joué à ce football-là et c’est ce football qui m’a amené là où je suis aujourd’hui.
Les critiques, il y en aura toujours. Moi, je pense plutôt aux personnes qui me regardent et qui sont contentes de me voir jouer, plutôt qu’aux personnes qui me critiquent. Je n’ai pas besoin de ça. Je sais quand j’ai fait un bon match, quand j’ai fait un mauvais match. Le plaisir restera toujours ancré en moi et c’est pour ça que je joue au foot. C’est pour ça aussi, je pense, que les gens viennent regarder les matchs.
Il y a cinq ans, la France gagnait la Coupe du monde. Dans ton documentaire « The Pogmentary » il y a un extrait où tu fais un speech à la mi-temps de la finale et tu dis « Je veux qu’on gagne parce que je veux que l’on entre dans la mémoire des Français, de leurs enfants et petits enfants ». Et c’est ce qui est arrivé. Comment as-tu géré l’après Coupe du monde mentalement avec cette attention encore plus grosse ?
En fait, c’est bizarre parce que nous, on joue pour gagner. Quand on est parti jouer cette Coupe du monde, c’était pour la gagner. Oui, bien sûr, on est devenu champions du monde, c’est quelque chose d’extraordinaire. Mais après, je ne sais pas, parfois, tu oublies. Enfin moi personnellement, parfois, j’oubliais que j’étais champion du monde. Et en fait, c’est en voyant comment les gens me voyaient, comment ils me disaient « Félicitations », « Encore merci pour la Coupe du monde », c’est là que j’ai réalisé. On a fait un truc de fou et on a vraiment marqué les Français. Mais après, je reste toujours moi et j’ai toujours pleins d’autres objectifs. Mais je veux continuer à gagner d’autres trophées. Que ça soit avec mon équipe en club ou en équipe nationale. En fait, on veut juste avancer et continuer comme ça. Tu veux vraiment continuer. J’ai plein d’autres objectifs, que ça soit avec l’équipe ou dans ma vie personnelle. Donc, je vais bosser pour réaliser ces rêves-là et ces objectifs-là.
Après l’euphorie de la Coupe du monde, il y a eu la déception avec l’élimination surprise de la France en huitièmes de finale de l’Euro 2020. Comment as-tu géré mentalement le fait de passer d’un moment de joie si intense à cette déception ?
On se dit dans nos têtes qu’on ne peut pas toujours gagner. On voit nos erreurs. On était plutôt attendu, on était les favoris de l’Euro. C’est toujours un peu plus dur d’être favori parce qu’il y a toujours une plus grosse attente sur les joueurs et l’équipe en général. Donc il y a un peu plus de pression. Ce match-là, on l’a perdu aux penalties contre la Suisse, une équipe qui a vraiment bien joué. C’était 50-50. Après, tu continues et tu bosses. Tu apprends de tes erreurs, tu prends de l’expérience et tu grandis.
Tu penses un peu comme Giannis Antetokounmpo [joueur de NBA] qu’il n’y a pas d’échecs, que des étapes vers le succès ?
Exactement. Il a parlé pour tous les athlètes. En fait, il n’y a pas de déception, il n’y a pas de défaite. Tous les jours tu apprends. La question [que pose à Giannis] le journaliste est vraiment une question stupide. Pourquoi ? Parce que ça veut dire quoi : tu perds, tu arrêtes ? Non, tu perds, tu grandis, tu recommences jusqu’à ce que tu gagnes et c’est ça la force mentale des joueurs, la force mentale des athlètes. Parce que c’est très important avant tout. Avant le talent et tout ce qu’il y a avec, la tactique, la technique. C’est vraiment la force mentale. Il a très bien résumé l’athlète ou le sportif de haut niveau qui doit juste continuer à bosser et qui apprend de ses erreurs, qui ne va pas gagner tout le temps, mais qui gagne toujours en expérience. Qui ne perd jamais malgré la défaite.
Tu n’as pas joué la Coupe du monde en 2022 parce que tu étais blessé et la France a perdu en finale. Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as vu tes coéquipiers aller si loin dans la compétition et perdre ?
Franchement, je voyais la France aller en finale dès le début, j’avais annoncé, à croire ou non, la finale Argentine vs France. Pourquoi ? Parce que j’ai vu l’équipe de l’Argentine, c’était un très très bon groupe et ça m’a fait penser à notre groupe en 2018. Et bien sûr, un groupe français avec beaucoup, énormément de talent et beaucoup de jeunes et de nouveaux aussi. Je ne savais pas vraiment qui allait gagner. La finale, c’était un match de fou, j’ai pu y assister, et supporter la France. J’étais touché parce que tu te dis que l’on aurait pu entrer dans l’histoire. L’équipe de France qui gagne deux Coupes du monde d’affilée, c’est du jamais vu.
En équipe de France et en club, tu as un rôle de leader. Et cette position tu l’as eu tôt, dès tes 16 ans en sélection chez les jeunes. Avec l’âge et l’expérience que tu as acquis toutes ces années, est-ce que tu conseilles un peu les jeunes joueurs que tu côtoies ? Et si oui, quel conseil leur donnes-tu ?
Leader, c’est un gros mot. Ça fait peut-être partie de ma personnalité aussi. J’ai eu la chance d’être écouté par les jeunes. Les jeunes, ils ont du respect. Je pense que c’est aussi ça qui te donne la place de « leader », quand tu es écouté, que tout le monde te met à l’aise.
Quand je vois les plus jeunes, aujourd’hui, bien sûr, la seule chose que je peux faire, c’est leur donner des conseils, les aider à ne pas faire les erreurs que j’ai faites. Parce que dans tous les cas, notre temps va passer. Donc si je peux aider quelqu’un ça sera toujours avec plaisir. Parce que pour gagner, tu gagnes en groupe. Tu ne gagnes jamais vraiment tout seul, sinon tu joues au tennis ou tu joues au golf [sourire]. C’est un sport d’équipe et il faut vraiment pousser et aider les joueurs qui sont autour de toi pour gagner. Moi, ça a toujours été ma mentalité, et c’est aussi ça qui m’a aidé à me lâcher, à parler dans le vestiaire. Et j’ai eu la chance d’être écouté.
Et qu’est-ce que ça fait de te dire que, grâce à ton expérience, ta capacité à t’exprimer et à être entendu, ton message touche les jeunes ?
Je ne sais pas, c’est naturel pour moi, je le fais avec le cœur. Je le fais parce que j’ai envie de gagner. Après tout ce qui sort de ma bouche, c’est vraiment moi. Donc, je ne joue pas un rôle et je n’essaye pas de gagner le cœur des gens. Je dis ce que j’ai dans le cœur et je dis ce que je pense. Et c’est pour ça aussi que ça touche les gens.
Il y a des joueurs dans ta carrière qui, quand tu étais plus jeune, t’ont aidé et t’ont touché par leur discours ?
Oui, j’en ai. Déjà Patrice Evra, tonton Pat’, qui m’a toujours aidé et qui était là depuis Manchester. Il m’a toujours donné de très bons conseils. J’ai eu aussi Nicolas Anelka quand j’étais à la Juve qui m’a donné des conseils par rapport à ma carrière. Quand tu vois leur carrière, tu te dis que tu ne peux que les écouter et apprendre d’eux. Il y a eu Rio Ferdinand aussi. J’ai eu la chance d’être avec des grands joueurs qui ont vraiment été mes grands frères dans le foot et qui m’ont aidé à grandir et à gagner de l’expérience assez tôt.
Quel est le meilleur conseil que l’un de ces trois joueurs t’a donné ?
Le meilleur conseil ? Il y en a eu beaucoup. Je pense que c’est de prendre du plaisir parce que le temps passe très très vite. T’es jeune aujourd’hui et là, tu me dis que j’ai 30 ans ?! Il y a des gens qui n’y croient même pas. Donc c’est vraiment de prendre du plaisir et de kiffer.
Et aussi de passer beaucoup de temps avec ma famille. Parce que le foot nous vole nos enfants parfois. Et c’est pour ça qu’on voit énormément de joueurs de foot qui, malheureusement, divorcent après leur carrière. Parce qu’en fait, c’est un changement de vie et on n’a pas l’habitude de rester autant avec la famille.
J’aimerais qu’on revienne à l’équipe de France. Il y a eu le départ de cadres avec qui tu as vécu beaucoup de choses : Raphaël Varane et Hugo Lloris. Si tu retournes en équipe de France, tu rencontreras de nouveaux jeunes joueurs, c’est quelque chose que tu appréhendes ?
Franchement, si je reviens en sélection, je serai l’ancien, parce que quand je vois l’équipe, maintenant, on commence vraiment à être des anciens. Il y a des plus jeunes qui arrivent et c’est toujours bien d’être le grand frère de ces joueurs-là. Mais sinon, c’est comme tu dis, le nouveau chapitre en tant qu’ancien de l’équipe de France, ça ne peut qu’être bien, parce que moi, je vois le groupe, je les connais. Je connais beaucoup de jeunes qui étaient en espoirs et qu’on voyait, on leur parlait de temps en temps. Et l’équipe de France a toujours été une famille et un très bon groupe avec une belle ambiance. Alors repartir là-bas, ça serait pour moi que du bonheur, même si les cadres ne sont plus là. Mais j’aurais beaucoup aimé être là avant qu’ils partent. Profiter des derniers moments de ces cadres-là. Mais voilà, notre tour arrivera, donc comme je le disais, il faut vraiment profiter avec les nouveaux et essayer de gagner quand même aussi avec eux. Ce serait bien de partir avec une victoire.
Est-ce que tu as été surpris par l’annonce de la retraite de Raphaël Varane et de Hugo Lloris ? Ou c’est quelque chose dont vous aviez déjà discuté ?
J’étais surpris sans être surpris parce qu’il [Raphaël Varane] me l’avait annoncé. Il m’avait annoncé juste après la Coupe du monde, qu’il allait arrêter. Je m’en doutais pour Hugo mais je ne pensais pas que ça allait être directement après le mondial.
J’ai été surpris sans être surpris parce que Rapha il est très jeune et il pouvait même toucher les records du joueur le plus titré en France. Mais après, c’est vrai que, comme je lui ai dit, il y a énormément de matchs et physiquement, on ne se fait plus jeune. Donc c’est compréhensible de sa part, il a eu de grosses blessures aussi. C’est ce qui le rend heureux parce qu’il veut passer du temps avec sa famille. On n’a pas beaucoup de temps avec nos familles et lui, il a eu le déclic d’arrêter maintenant en sélection. Je pense que ça va l’aider aussi pour continuer et allonger sa carrière.
On fait cette interview le lendemain de la demi-finale aller de la Ligue Europa où tu as fait une passe décisive qui a permis à ton équipe d’égaliser 1-1. Vu ta saison, tu peux nous expliquer à quel point cela t’a fait du bien mentalement ?
Franchement, je dis la vérité, c’est depuis mon retour sur le terrain que je me sens vraiment bien. Moi, jouer au foot, c’est ce que j’aime le plus. Juste avoir la santé et jouer, c’est tout ce que je demande. Que ce soit être décisif ou pas, juste revenir sur le terrain et être bien, arriver à 100 % et aider mon équipe, c’est tout ce que je demande. Et c’est tout ce que je peux faire. Aider mes coéquipiers à marquer, à être décisif.
Ces derniers mois m’ont fait énormément grandir. J’ai pris dix ans en sept mois.
Paul Pogba
Quel bilan tires-tu de ce que tu as vécu cette saison ? Sachant que tu as enchaîné les blessures, ce qui a été difficile.
C’est une très belle expérience pour moi, ça ne peut qu’être bénéfique pour moi dans l’avenir. J’ai changé de club, j’ai eu des blessures. C’est vrai que c’était compliqué, même en dehors du foot. Mais j’ai appris que les choses qui étaient importantes pour moi, sont la santé, jouer au foot et la famille et vraiment à me concentrer sur ça. Revenir sur les terrains avec la santé, c’est important pour toute personne et surtout pour nous les sportifs. Mon corps, c’est mon outil de travail et le plus gros luxe que tu peux avoir dans la vie, c’est la santé.
Et justement, est-ce que tu mets sur le même plan la santé physique et la santé mentale ? Après, l’année que tu as vécu avec les blessures et tout le côté extra sportif : le décès de ton agent et le conflit dans ta famille ?
Ça m’a fait énormément grandir. Ces derniers mois-là m’ont fait énormément grandir, ils m’ont fait comprendre beaucoup de choses sur la vie. J’ai pris dix ans [rires]. J’ai pris dix ans en sept mois. Et comme je l’ai dit, ça ne peut être que du plus pour moi, parce que je le prends positivement. Moi, je suis un croyant donc ce sont des étapes et des tests. Des tests qui m’ont fait grandir, où j’ai mûri et j’ai appris beaucoup de choses sur la vie. J’ai appris ce qu’étaient les choses importantes. Donc, je l’ai pris vraiment positivement et ça a été un boost pour moi. Et là, aujourd’hui, franchement, tout ça, c’est derrière moi. Ça m’a vraiment forgé.
Et comment fais-tu pour mettre tout ça derrière toi ? Ce sont des choses qui sont tellement prenantes mentalement. Tu parlais de ta religion et de ta foi, ça t’a aidé ? Est-ce que tu as un suivi psychologique aussi ?
En fait, la religion m’aide parce que ça m’apaise énormément. Je sais que tout ce qui se passe, tout ce qui m’arrive, c’est un test, ça me fait grandir et ça me rapproche de Dieu.
Donc au début, ce n’est pas bien. Moi, je suis blessé, je ne fais pas ce que j’aime. En fait, tu te rapproches de Dieu. J’ai eu beaucoup de temps seul. J’ai beaucoup réfléchi, j’ai énormément passé de temps aussi avec ma famille, donc ça aussi, ça a été en plus. J’ai vu ce côté plutôt positivement que négativement. Malgré le fait que j’étais en dehors des terrains, j’étais proche de ma famille. J’ai eu du temps pour méditer. J’ai eu aussi un coach mental qui m’a beaucoup aidé par rapport aux blessures. Donc ça m’a fait vraiment grandir. J’ai appris énormément de choses pendant ces moments-là où j’étais blessé. Ça m’a forgé mentalement et tu ne peux que grandir. Comme je l’ai dit, on est venu de trop loin. Je suis déjà un joueur professionnel, me retirer après tout ça, là, ça serait une défaite pour moi. Donc il faut juste continuer, aller de l’avant et regarder le positif.
Tu penses que toute cette agitation médiatique autour de toi a joué aussi mentalement sur ton état physique, ton bien être ?
Ah, mais totalement bien sûr. Déjà la tête, ça contrôle tout. Quand tu n’es pas bien dans la tête, le corps suit. Même si tu dis que “ouais, ça va aller“, tu es joueur de foot, c’est bon. Ton corps prend vraiment. Et donc toutes ces blessures qui sont arrivées, je pense que la base de tout ça, ça a été ma tête. Vraiment, ça a été ma tête. Et après, quand j’ai réalisé tout ça, quand j’ai su que c’était que ma tête, que mon corps, il a vraiment réagi à tous ces problèmes en dehors du foot, sur le foot, les pensées, j’étais stressé, mon corps était tendu. Et je voulais tellement revenir vite, jouer et montrer aux gens, taire un peu tout le monde. Eh bien en fait, ça m’a mis un coup et c’est pour ça que j’ai pris du recul et que j’ai pensé à moi et à mon bien-être. C’était le repos, reprendre tranquillement. Là, si tu regardes, il y a cinq-six mois, c’était plutôt quoi des critiques qu’on entendait. Après la passe décisive du match d’hier, là, c’était des éloges que tu entendais bien. C’est comme ça, le monde est comme ça. Donc moi, je reste toujours positif. Je veux donner du plaisir aux gens. Et surtout moi sur les terrains, prendre du plaisir. Et c’est ce que je fais depuis que je suis revenu de blessure.
D’un point de vue extérieur, j’ai l’impression que c’est peut-être la saison la plus difficile de ta carrière ?
Ouais ! Déjà changer de club. Revenir ici [à la Juventus]. Les blessures. Les problèmes extra-sportifs. Ah, c’est sûr, ça a été le plus gros test. Je dirais même que ça a été le plus gros test de ma vie. Après avoir passé tout ça, ça sera ma plus belle victoire. C’est comme ça que je le vois, après quand tu passes ça, tu es prêt à tout.
Tu es concentré sur le foot, mais tu en as pensé quoi de cette polémique autour de la rupture du jeûne du ramadan pour les sportifs en France ?
Personne, aucun musulman, n’a demandé ça. Ces dernières années, tous les musulmans qui voulaient jeûner ont toujours jeûné sans demander de temps off. Donc, je ne sais pas pourquoi cette année, ça a été le cas. Parce qu’on n’a pas entendu les personnes qui ont demandé des pauses, ce sont eux [les musulmans] qui l’ont fait d’eux-mêmes. Que ce soit en Premiere League ou en Italie ou où que ce soit.
En fait, ça a été une polémique qui n’a servi à rien, car personne n’a rien demandé, personne n’a pleuré. C’est du sport, on joue au foot. Les personnes qui peuvent, qui veulent jeûner, peuvent jeûner. Elles ne se plaignent pas. Quand il fait chaud, tout le monde se pose, tout le monde va boire de l’eau. C’est exactement pareil, donc je ne sais pas pourquoi il y a une polémique sur ça. Ça a été une polémique pour rien selon moi.
Tu es un footballeur noir et musulman qui évolue en Italie. Un championnat qui est très souvent pointé du doigt pour la manière dont il traite les joueurs noirs, souvent victimes de racisme. Fin 2014, Carlo Tavecchio, l’ancien président de la fédération, avait eu des commentaires racistes sur toi.
Il avait dit quoi déjà ?
Il avait dit : « Opti Poba est arrivé et mangeait des bananes. Aujourd’hui il joue titulaire en série A à la Lazzio de Rome », alors que tu étais à la Juve.
Tu as vécu d’autres discriminations raciales sur ou en dehors du terrain ?
Ouais, ouais, mais en fait, on a déjà gagné. Les Noirs ont déjà gagné. On a été esclaves pendant combien d’années ? Aujourd’hui, on joue au foot. On prend les bus. On a des voitures. On est reconnus dans le monde entier. Pour moi, c’est une victoire. Toutes ces personnes sont ignorantes, ce sont des commentaires d’ignorants qui veulent toucher ou blesser quel que soit l’individu, que ce soit un sportif ou en dehors. Moi, le conseil que je peux donner aux Noirs ou même aux personnes de couleur, toutes les personnes qui ont reçu des propos racistes c’est : ils essaient de te toucher et c’est le faible qui fait ça. Nous, on a déjà gagné. Aujourd’hui regarde : toi tu es Noire, tu fais ton interview, tu penses que les années où on était des esclaves, cela aurait été possible ? Jamais !
Aujourd’hui, on a gagné. Les Noirs, ils sont là et ils ne peuvent rien faire. C’est comme ça. Moi, ma victoire, c’est quoi ? C’est quand je vois des enfants blancs qui portent mon maillot, ils me demandent des autographes, ils demandent des photos. Moi, c’est ça ma victoire. Ça s’arrête là. Tu peux être raciste comme tu veux, moi, je n’ai rien contre eux, je n’ai rien contre personne. Et franchement, mon souhait, mes invocations, c’est de changer les cœurs de ces gens en jouant au foot. C’est de changer la mentalité de ces gens. Les propos racistes, il y en aura tout le temps, que ça soit le blanc ou que ça soit le noir. Parce que nous, on est en Europe, mais ça peut être le contraire aussi.
C’est une victoire pour moi de jouer au foot, de jouer à la Juventus, en Italie et d’être reconnu partout dans le monde. Les racistes, il y en aura toujours et ça tu ne pourras pas le changer. Parce que tu ne peux pas changer ce que quelqu’un pense. Parce que tu ne peux pas changer l’ignorant. Et il y a beaucoup de racistes cachés. Ils se taisent, ils ne disent rien, mais ils sont quand même racistes. Donc ces propos-là, vraiment, ça ne me touche plus depuis bien longtemps.
Mon père me disait « Il faut toujours bosser et ne rien lâcher. Travailler, travailler et travailler pour aller là où tu veux. C’est ce que j’ai fait et ma victoire, c’est ça : voir des enfants blancs porter mon maillot.
Est-ce que tu trouves que les institutions font assez pour vraiment lutter contre ça ? Est-ce que tu penses qu’il faudrait quitter le terrain quand on entend des cris de singes ?
Non, parce que tu ne peux pas changer les ignorants. C’est une fierté, moi, je le vois en victoire : ils sont venus au stade pour supporter leur équipe, mais ils t’insultent toi. T’as vu comment tu les touches ? As-tu vu ta victoire ? Ils sont en train de penser à toi au lieu de penser à leur équipe et de supporter leur équipe. C’est toi qui veux toucher, parce que tu es dangereux. On est dangereux et pour moi, c’est une victoire.
Si vraiment, ils voulaient changer quelque chose, ils l’auraient fait il y a déjà bien longtemps, avant même qu’on soit né ! Mais c’est comme ça, tu ne vas pas changer les gens. Si des personnes, quand elles viennent au stade, supporter leur équipe, arrivent à t’insulter, à te dire « sale noir » ou à te jeter des bananes, c’est que tu as gagné, c’est que tu les touches. C’est que tu es dangereux, c’est qu’ils pensent à toi au lieu de penser à leur équipe. Et c’est une victoire.
Si vraiment, [les institutions] voulaient changer quelque chose, elles l’auraient fait il y a déjà bien longtemps, avant même qu’on soit né !
Paul Pogba
Tu es quelqu’un qui essaie toujours de voir le positif même dans une situation négative ?
Je vais te raconter une anecdote. J’étais en Italie, on a joué contre la Fiorentina. Ils [les supporters de la Fiorentina] m’ont fait des cris de singe. Je les ai regardés, j’ai enlevé mon maillot, je l’ai donné un petit, ils m’ont tous applaudi. Tu vois le truc ? En fait, c’est de l’ignorance, ils veulent te toucher. Ça ne veut pas dire qu’ils sont racistes. Ils sont peut-être jaloux ou il y a quelque chose ? Ils m’ont tous applaudi à la Fiorentina, ce n’était même pas dans mon stade. J’ai touché les cœurs des fans de la Fiorentina, des gens racistes. Moi, c’est ça ma victoire, donc je vais même pas me battre. Tu vas te battre pourquoi ? Pour changer la mentalité des gens ? Non, ce sont les actions qui parlent et c’est avec cette action qu’ils [les supporters de la Fiorentina] ont changé directement, en deux secondes.
Mais justement je trouve que les institutions ne mettent pas assez de moyens dans des actions concrètes.
Mettre le genou à terre, ça a servi à quoi ?
À rien, justement.
Parce que ce sont les joueurs qui le font. Tu peux même mettre dix minutes de silence pour dire « Non au racisme », tu ne peux pas changer les gens. Tu ne vas pas changer des gens qui pensent que ça, c’est rouge alors que c’est noir. Alors, tu vas faire comment pour changer [des racistes] ? Ce sont juste les actions, le montrer, donner l’exemple, avoir le bon comportement. C’est tout ce que tu peux faire, je pense perso.
C’est vrai que c’est dur dans la société aujourd’hui parce qu’on doit travailler beaucoup plus que les autres. Et on a de la chance, parce qu’on travaille. Mais comment c’était avant ? Nous, on a réussi. C’est beaucoup moins grave que ce que nos parents ont vécu. Et ce que je dis quand je vois des personnes qui ont reçu des propos racistes, c’est n’y pense même pas. Tu as gagné, tu les as touchés, ils disent ton nom, ils disent que tu es un sale noir, mais ils te connaissent en tout cas. Tu les as marqués donc c’est ça ta victoire.
Donc, on reste comme ça ?
Non, prends ce que tu as à prendre. Ce ne sont pas les footballeurs qui changent ça. Moi, j’aurais dit, tu mets une loi : dès qu’il y a des cris racistes, tu perds le match. Direct. Les trois points à l’autre équipe. Et tranquillement, ça va se calmer.
Aux États-Unis, tu n’entends même pas ça. Parce que les meilleurs sont Noirs. C’est dans la tête du mec [racistes], tu vois ce que je veux dire. Dans le sport, il y en a moins que dans la vie de tous les jours.
Donc c’est un sujet assez délicat et c’est un truc malheureusement qu’on ne peut pas contrôler. Mais la seule chose à faire, c’est de leur montrer qu’on a fait du chemin et qu’on est les meilleurs. Même si on doit travailler trois fois plus, on essaye juste d’être les meilleurs.
Parlons de ton futur. Dans ton documentaire, tu dis qu’après ta carrière, tu aimerais faire des films ou des séries d’action en langues étrangères parce que tu parles français, italien, anglais et espagnol. T’imagines-tu vraiment faire ça ?
Franchement, ça m’attire vraiment ! J’en ai parlé à ma femme, mais elle elle n’est pas très chaude parce que je passe déjà trop de temps dans le foot. Et avec les films d’action, tu t’absentes genre six mois. Mais ça a toujours été mon rêve. J’aime les films, j’aime regarder des séries et je regarde vraiment les détails. C’est un truc que j’aimerais bien faire pendant ou après ma carrière de footballeur.
Est-ce que tu prends des cours de théâtre ?
Non, j’en prenais quand j’étais plus jeune, mais ça reste toujours dans ma tête.
Et tu as discuté avec Zlatan de son expérience dans le cinéma le film « Astérix et Obélix : L’Empire du milieu ?
On en a parlé. Après le film, il m’a montré des actions qu’il a faites et tout ça. Je lui avais dit « Toi, tu es fait pour ça », son caractère passe bien à l’écran. Moi aussi, j’ai du caractère, on m’a déjà dit que « Ça serait bien que tu fasses des films ». Donc pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer ?
Tu as déjà des contacts ?
Non, mais j’ai déjà parlé avec le réalisateur du film « Space Jam » avec [Michael] Jordan. On m’a convoité comme ça, mais j’étais encore dans le ballon. J’ai hésité un peu. Mais la porte n’est pas fermée.
Tu jouerais dans un « Space Jam » sur le foot ?
Ouais ça serait trop cool ! Ça serait vraiment cool.
Tu vas faire un shooting avec différentes marques de luxe, quelles sont tes marques préférées ?
Ma marque préférée en ce moment, c’est LV, Louis Vuitton. Pourquoi ? Parce que Virgil [Abloh] a changé le game. En fait, il m’a inspiré. J’ai toujours aimé Off White et quand il est passé chez Louis Vuitton, j’y ai vraiment trouvé mon style. Je me sentais vraiment bien quand je mettais les sapes, c’est confortable, c’est mon style, les bombers oversized, les pantalons bien cintrés.
Ensuite Amiri, parce que je connais le créateur, Mike Amiri, depuis longtemps. Je me rappelle, je mettais ses jeans que j’achetais à LUISAVIAROMA au début, quand c’était vraiment pas connu. Il m’a toujours suivi, il savait qui j’étais quand j’étais à la Juve. C’est confo, j’aime bien porter ça pour aller à l’entraînement.
C’est comme ça que tu définirais ton style : confortable, relax, détendu ?
Oui, mais ça, c’est pendant la saison. Pendant la saison, je suis plutôt chill. Je ne veux pas aller à l’entraînement avec des trucs de Haute couture ou grave stylée pour même pas quoi 30 minutes ? Durant l’été, on balance les chemises, les habits d’été.
Et quelles sont tes inspirations mode ?
Ça a commencé avec ma mère. Je choisissais ses habits quand j’étais plus jeune. C’était toujours des couleurs assez extravagantes comme du jaune, du violet. On n’a pas l’habitude de voir ça tous les jours. Elle mettait des boubous africains, elle était toujours dans le style, elle mariait bien les habits, les couleurs. Et c’est comme ça que j’ai commencé à bien m’habiller, ça vient de la madre.
C’est vrai quand on te vois, tu es toujours colorée que ce soit avec tes habits ou avec tes coupes de cheveux.
Ouais ! Bon là, il n’y a rien [il est habillé tout en noir] mais c’est vrai que j’aime bien m’habiller, j’aime bien les couleurs. Les couleurs, c’est la vie, c’est le monde, c’est la nature. C’est moi !
Avec adidas, qui est ton équipementier principal, tu as fait plusieurs collections lifestyle. Tu as même collaboré avec Stella McCartney. C’était comment de bosser avec elle ?
Avec Stella, c’était top ! Parce que tu sors du monde du foot et de la performance. Stella est super connue, elle a sa propre marque. On a commencé à travailler avec adidas, je leur ai dit « Bon c’est quand qu’on fait le feat avec Stella ? » On a créé les chaussures vegan super colorées, et ce sont les meilleures chaussures et les meilleurs crampons adidas que j’ai eues. Et c’était avec Stella.
Franchement, elle voit différemment, elle est toujours en avance. Et j’ai vraiment, vraiment, vraiment aimé bosser avec elle.
Le fait d’avoir toutes ces expériences dans la mode, ça t’a donné envie de créer une marque ou de faire des collabs avec des marques que tu apprécies ?
J’y ai pensé, mais je me dis que c’est un business. Si je fais quelque chose, c’est plus pour un investissement avant le plaisir. J’ai déjà commencé à tester un peu avec une marque qui s’appelle Pioche et il y a quelque chose qui va arriver très bientôt.
Mais pour l’instant, je suis plus en stand by, je m’occupe plus du sport, du foot, que de la mode et tout le reste. Il y a toujours le temps, la mode, ça ne va jamais mourir.
Est-ce que tu vas te lancer dans la musique ? Depuis quand tu es intéressé par ça ?
C’est vrai que j’aime bien la musique. On a grandi dans ça. Donc oui, je suis déjà parti au studio. J’ai déjà essayé, mais bon, c’est resté à huis clos entre moi et mes amis. Mais la musique me tente moins que les films d’action. C’est vraiment pour moi, pour moi pour un délire.
Quand tu penses au Paul d’il y a dix ans et que tu vois ce que tu es devenu maintenant, qu’est-ce que tu te dis ?
Fierté. Vraiment, je ne m’y attendais vraiment pas. Jamais j’aurais pu deviner ça. Ces dix dernières années ont vraiment été positives. Malgré tout ce qui a pu être dit. C’est une fierté et si c’était à refaire, je le referais tous les jours.
Ce qui est intéressant dans ta carrière, c’est que tu es allé dans deux clubs, dont tu es parti puis tu es revenu.
Quand je suis parti de Manchester, j’étais jeune. Et quand tu es jeune, tu veux prouver quelque chose. Je suis venu à la Juve, dans un club italien assez jeune, c’était un gros test pour moi. Mais j’ai tout de suite vu l’amour des supporters, j’ai vu l’amour du club. J’ai beaucoup aimé comment ils travaillaient et j’ai beaucoup appris.
Je suis reparti à Manchester parce que je n’avais pas fini mon travail là-bas. Je me suis dit « J’ai vraiment envie de jouer avec les A [l’équipe première] ». Je l’ai fait et c’était un objectif atteint pour moi. On a déjà gagné, pas la Premier League, mais des titres que Manchester n’avait pas gagnés depuis longtemps.
Et je suis revenu à la Juve, pourquoi ? Parce que c’est vraiment le club qui m’a aidé à me pousser. Et vraiment l’amour des fans, l’amour du club que je reçois, je ne l’ai pas reçu à Manchester. J’étais assez surpris quand je suis revenu en Angleterre, déjà avec le transfert, on m’a mis une étiquette. Ça a été assez triste.
Mais c’est deux clubs que j’aime vraiment, qui m’ont fait grandir et je ne peux que dire merci à ces deux clubs. J’aurais peut-être pu aller dans d’autres clubs, mais c’est mon cœur qui a choisi ces clubs-là et je suis souvent mon cœur.
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