Proclamé plus grand tournoi de streetball au monde, le Quai 54 est de retour les 1ᵉʳ et 2 juillet, pour célébrer son vingtième anniversaire. Symbole du chemin parcouru et de l’envie de se réinventer dans un lieu chargé de symboles, le Quai 54 pose cet été ses valises sur le court Simonne-Mathieu de Rolland-Garros. Une première.
Né de la force d’action d’une bande de passionnés qui ne se sont jamais quittés, le Quai est incarné par deux hommes. Son fondateur, Hammadoun Sidibé, et son directeur artistique, Thibaut de Longeville, qui a officiellement rejoint l’équipe dès sa deuxième édition. “Au fond, le Quai 54 reste une espèce de barbecue familial. Tu es au milieu d’une bande de potes, unie par la passion du basket et de la street-culture, qui est la même depuis 20 ans”, résume Hammadoun.
Plutôt habitués à regarder devant eux, sur ce qu’il reste à accomplir et améliorer, les deux amis se replongent dans leur parcours commun pour raconter en leurs mots vingt années d’une place forte de la street-culture.
Les prémisses
“La première édition est née d’un besoin. Il n’y avait plus de rendez-vous officiel pour cette communauté. On attendait que les marques refassent des tournois de streetball, alors qu’elles n’en faisaient plus. Au final, on n’a pas attendu”, raconte Hammadoun Sidibé, qui souhaitait transformer ses matchs entre amis en un véritable évènement. Grâce à un responsable de la Halle Carpentier, Hammadoun obtient un terrain pour lui et ses proches. Une offrande bienvenue puisqu’elle servira de répétition générale à ce qui deviendra le Quai 54. “Il y avait des semi-pros, des futurs pros… Les gens s’arrêtaient pour regarder. Ça devenait un spectacle. Un jour, je me suis dit ‘Venez, on en fait un truc officiel.’ Ça a commencé comme ça en 2003.“
Avec un nom en hommage au 54 Quai Michelet, lieu de la première édition, le tournoi souhaite garder un “truc très franco-français” de l’aveu d’Hammadoun. “Si l’on avait appelé ça ‘Streetball’ je ne sais quoi, on n’allait pas se différencier. Quand on nous demande d’où vient ce nom, on a une histoire à raconter“, détaille-t-il. Preuve de l’engouement local, la première édition rassemble plus de 1000 personnes et brille par sa spontanéité. “Mokobé du 113 ne connaissait rien au basket, mais il a pris le micro pour ambiancer tout le monde et se moquer. Il n’a jamais reposé le micro depuis“, raconte Thibaut sur les débuts du rappeur en tant qu’hôte de l’évènement.
Nouvelle dimension
Le Quai 54 n’aura eu besoin que de trois éditions pour changer de dimension. Le game changer a lieu en 2005, lorsque le Terror Squad, l’équipe invaincue de l’équivalent américain de l’époque, l’EBC, se rend au tournoi pour affronter une équipe française. “Il paraît que les Ricains se la racontent, il faut les torpiller“, s’exclamait alors Mokobé, à nouveau emcee de la cérémonie. Le XIIe arrondissement de la capitale va alors être témoin d’une onde de choc dans la culture streetball. Affiliée à la star new-yorkaise Fat Joe, le Terror Squad s’incline face à une équipe locale, malgré un statut d’archi favori. “Ça a eu un énorme écho dans cette communauté aux États-Unis. New York a eu un effet de caisse de résonance pour le Quai 54 dans le monde entier. Pour beaucoup d’étrangers, c’était devenu l’endroit où le Terror Squad s’est incliné“, raconte Thibaut.
Non seulement cette défaite a attiré des joueurs du monde entier, mais elle a également créé la tradition de matchs Paris vs New York. “C’est un peu les PSG vs OM chez nous“, confesse Thibaut. Quelques années plus tard, Fat Joe lui-même se rend sur place et déclare, micro en main, qu’il s’agit du meilleur tournoi de streetball au monde. La boucle est bouclée pour cette rivalité charnière.
Dès lors, l’ascension est constante pour le tournoi parisien, qui passe des caps chaque année. En 2009, Ludacris accepte de venir performer gratuitement. Si sa présence est déjà un évènement, elle va prendre une nouvelle dimension lorsque Usher s’invite sur le playground avec lui, pour entonner leur tube planétaire “Yeah”. “La performance de Ludacris était une surprise, car on était obligé de sous-communiquer. Il y avait toujours plus de demande que de places“, raconte Thibaut. “Ce moment a fait basculer le Quai dans une culture ‘festival’ avec toujours plusieurs performances musicales.“
En 2010, c’est au tour de la mairie de Paris d’adouber le Quai, en lui donnant accès à des lieux emblématiques de la capitale. Cela commence par le Palais de Tokyo et son cadre de musée d’art moderne mêlé judicieusement à l’énergie incandescente du Quai 54. “C’est un symbole fort puisque ce type d’évènements n’avaient pas lieu dans des endroits aussi prestigieux“, résume Thibaut. Depuis, il y a eu tour à tour le Champ de Mars, la Place de la Concorde ou le Trocadéro. Des marqueurs forts.
Jordan Brand, le grand frère
La trajectoire ascensionnelle du Quai 54 doit également à son partenaire historique, Jordan Brand. “C’est le plus long partenariat entre Nike Inc. et un évènement indépendant dans le monde“, explique avec fierté Thibaut de Longeville. Initialement en collaboration avec Nike, le petit frère du swoosh prend le relai à partir de 2006. Les deux partenaires ne se quitteront plus. Pourtant, l’idylle n’en était pas encore une aux débuts du tournoi. “Dès la deuxième et troisième édition, on a tenté d’être avant-gardiste, en proposant des choses jamais faites auparavant. Nike dirigeait le game des collaborations avec les Air Force 1 Roc-A-Fella ou Eminem, mais Jordan ne faisait pas ça. On leur a proposé et ils nous ont ri au nez. On était allé à Londres pour leur parler de ça, ils nous avaient dit qu’il n’y aurait jamais d’Air Hammadoun ou de Thibaut III. Je m’en souviendrai toujours. C’est anecdotique, mais ça montre la satisfaction du chemin parcouru“, racontent les deux hommes.
Au fil des ans, la relation se structure et permet au tournoi français de se développer à vitesse grand V. “Ça a été déterminant. Jordan Brand ne s’est pas contenté de faire du sponsoring, ils ont invité la famille Jordan, leurs athlètes et des artistes proches de la marque.” Rendue possible par Gentry Humphrey, vice-président de Jordan, qui a été séduit par l’évènement, cette collaboration est aujourd’hui un rendez-vous annuel pour les adeptes de la marque au Jumpman. Dès 2015, les Air Jordan XX9, Air Jordan 13 Low et Nike Zoom Soldier 9 sont réinventées aux couleurs du tournoi parisien. Ce qui est désormais une tradition pour Thibaut : “C’est la 8ᵉ édition que je co-designe une collection avec l’équipe Jordan, alors que l’on pensait quelques années plus tôt que c’était impossible. Ce sont des rêves de môme en fait.”
Toujours en famille
Plus que ses chaussures estampillées du numéro 23 des Bulls ou ses superstars en guise d’invités, le Quai 54 raconte la success story française d’une clique de passionnés et d’une culture de niche, celle du streetball, qui rayonne désormais autant sous le soleil parisien qu’au sein de son fief du Rucker Park, temple du basket de rue à New York. “Le Quai 54, c’est la preuve que l’on peut être en rivalité avec les grosses productions américaines en étant en France et avec la même équipe pendant 20 ans.”
Pour Hammadoun Sidibé et Thibaut de Longeville, il est dorénavant question d’héritage. D’outsider à game changer, il n’y a eu que quelques pas pour les deux compères. Aujourd’hui, ils ont tant à cœur de transmettre leur passion du basket à des jeunes inconnu·e·s que de partager leurs événements en famille. “Mon fils est avec moi tous les jours et me dit qu’il veut travailler avec moi sur le Quai 54. La fille de Thibaut va intégrer le staff cette année. Ma petite cousine travaille sur la tribune, mon petit cousin travaille sur les VIP. Ils ont grandi avec l’évènement. On va leur transmettre quelque chose, leur apprendre à faire un événement“, confie Hammadoun, désireux de préserver l’ancrage familial de ce qu’il a bâti.
S’ils n’ont de cesse de transmettre, Hammadoun et Thibaut n’en oublient de continuer à rêver plus grand, à développeur leur bébé. “20 ans plus tard, on n’est pas saoulés. On vieillit, mais on a de nouveaux challenges, ce n’est pas figé. Là, on a le désir de développer l’évènement en Afrique. Il n’y a que le basket et la musique qui restent. Pour le reste, on peut s’amuser à tout faire.“