Pendant les années 1960 aux États-Unis, Hollywood mute.
Dans un contexte d’affrontement idéologique causé par la Guerre froide, on chasse les sympathisants communistes des studios. Et parce que la télévision s’installe peu à peu dans tous les foyers du pays, on consomme les produits culturels différemment.
Apocalypse Now n’est pas un film sur le Vietnam, c’est le Vietnam.
déclare Francis Ford Coppola au festival de Cannes en 1979, quand il reçoit la Palme d’Or pour son film.
Hollywood est mort, vive Hollywood !
Quand la Guerre froide commence, la décennie qui suit marque le cinéma d’un renversement des paradigmes, d’un rebattage des cartes : des films à gros budget se plantent, et des petits films cartonnent.
À partir de 1963, les Américains suivent en temps réel la Guerre du Vietnam sur petit écran. Une situation inédite. Les informations y sont orientées ; l’opinion publique est favorable à la guerre, la propagande fonctionne. Il faut attendre 1968, la médiatisation de l’offensive du Têt, pour que les journalistes aient la liberté de diffuser des images et des discours plus proches de la réalité du conflit. La vérité dévoilée, le mouvement pacifiste s’amplifie. Alors Hollywood se plie progressivement à cette contre-culture rebelle. Les producteurs réalisent qu’il faut proposer un cinéma plus impressionnant et sans censure à ce nouveau public. Un public qu’on veut voir délaisser son téléviseur au profit des salles. La sortie au cinéma n’est plus la distraction familiale qu’elle était.
Apocalypse quand ?
En 1969, Francis Ford Coppola et George Lucas fondent une société de production, American Zoetrope, avec la volonté d’être indépendants. L’un de leurs premiers projets serait une adaptation du roman Au cœur des Ténèbres de Joseph Conrad, amorcée en 1939 par Orson Welles, mais reprise et transposée cette fois à la guerre du Vietnam. George Lucas veut aller au front pour filmer en 16 mm la guerre pendant la guerre. En faire un vrai film de guerre. Pour des raisons évidentes de sécurité, le projet est mis de côté. Il se consacre plutôt au premier Star Wars.
En 1975, Francis Ford Coppola relance Apocalypse Now qu’il nomme après le slogan hippie « Nirvana Now ». Au lancement, aucun studio ne veut produire un film sur une guerre si récente et responsable de la première défaite militaire américaine. Pour que American Zoetrope puisse être à la production, Coppola adapte les deux premiers Parrain en séries télévisées et investit son propre argent. Comme un malheur n’arrive jamais seul, il ne s’agit là que de la première complication liée au tournage d’Apocalypse Now, réputé aujourd’hui comme étant l’un des plus chaotiques de l’histoire du cinéma.
Coppola voit les choses en grand. Il veut répondre aux désirs d’une société américaine shootée au sexe, à la drogue et au rock’n’roll. Peindre le tableau que tout Américain des seventies a envie d’admirer. « La partition écrite par Carmine Coppola est à la mesure du film, tout simplement prodigieuse, trouvant sa source dans le bruit des hélicoptères, les sonorités psychédéliques des synthétiseurs, les échos lointains de musiques rock » analyse le réalisateur Pierre Rissient, dans le podcast Les Nuits de France Culture, intitulé “Au cœur de la bande-son du film “Apocalypse Now” de Coppola”.
Après avoir considéré l’Australie, l’équipe choisit finalement les Philippines pour ses décors naturels.
“J’aime l’odeur du napalm le matin”
Apocalypse Now ne peut pas être mis dans une seule catégorie. Il est plus qu’un film de guerre. Il n’est pas tout à fait à propos du Vietnam. Il n’est pas uniquement sur la folie. Il pointe du doigt les dangers du pouvoir. Considéré comme un voyage d’aventure, il a également inspiré Full Metal Jacket, de Stanley Kubrick, ou Platoon d’Oliver Stone.
Dès que l’équipe atterrit sur l’archipel, rien ne satisfait Coppola. Au bout de deux semaines, Harvey Keitel qui interprète – très mal – le Capitaine Willard, est remplacé par Martin Sheen. Marlon Brando arrive avec 50 kg de trop, n’a pas lu une fois son texte et préfère improviser les dialogues pour la modique somme d’un million de dollars par semaine… Et quand le problème ne vient pas de Brando, Coppola ou Sheen, il vient du typhon Olga qui détruit le plateau, ou du dictateur philippin Ferdinand Marcos. Dès le début, celui-ci accepte de prêter les hélicoptères de son armée au réalisateur. Seulement, ils seront réquisitionnés plusieurs fois par le gouvernement dans son combat contre les opposants à la dictature.
Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et, petit à petit, nous sommes devenus fous.
Francis Ford Coppola au festival de Cannes en 1979
Francis Ford Coppola met la pression à ses acteurs, notamment à Martin Sheen, à qui il demande de se saouler à l’alcool pour rentrer dans la peau de son personnage. En mars 1977, ce dernier fait une crise cardiaque. Il est rapatrié d’urgence. Coppola craint de perdre son acteur principal. Il ne dit rien à la production, de peur d’être contraint d’arrêter le tournage. Il atteint le climax de sa paranoïa et se réfugie dans la drogue, jusqu’à perdre 40kg et menace de mettre fin à ses jours. Toute l’équipe craque et trouve à son tour réconfort dans les stupéfiants. Martin Sheen revient trois semaines plus tard.
Chaos et saluts
À chaque interruption, à chaque obstacle, les techniciens, acteurs et réalisateurs s’enfoncent. Tout prend du retard, il n’y a pas de fin arrêtée à l’histoire.
« Aucun de mes stratagèmes, aucune de mes habitudes et astuces ne fonctionne pour cette fin. J’ai tout essayé, c’est infaisable. Je m’avoue vaincu mais je ne peux pas écrire la fin de ce film ». Au bord de la faillite financière, tous ses biens sont hypothéqués, et il a l’impression de réaliser le pire film de sa carrière. La panique s’installe. Coppola ne sait plus dans quelle direction aller ; il oscille entre surexcitation et profond désespoir.
Finalement, Apocalypse Now cumulera 238 jours de tournage, plus de 30 millions de dollars de budget et 3 ans de montage avant d’être présenté au festival de Cannes. Rien ne laissait penser que ce film serait réussi et rencontrerait le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Il récoltera 150 millions au Box-office mondial, une Palme d’or et deux Oscars. Il deviendra une des œuvres cinématographiques les plus influentes de tous les temps.