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TIF, là c’est Alger qui résonne

4 novembre 2023. Un peu avant 20 heures, dans la salle comble de l’Élysée Montmartre, le public est déjà exalté. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils viennent acclamer leur nouvelle pépite sur scène. Cordes vocales bien chauffées et drapeaux en berne, plus de 14000 personnes sont réunies pour l’une des dates les plus attendues du “1.6 tour”.

La fête a duré près de deux heures. Elle a commencé dans les cris et les applaudissements. Elle s’est achevée de la même manière, quelques fumigènes et degrés en plus. Le temps d’une soirée, on croyait avoir gagné une nouvelle Coupe du monde au cœur de la Butte Montmartre. 

Son grand vainqueur : TIF. Tout au long de cette célébration, il choisit d’offrir des cadeaux à en pleuvoir à ses centaines d’invités. Des écharpes floquées “HSH”, Houma Sweet Houma, nom de son label. Des featurings inédits, de Kekra à Zamdane. Et surtout, un bouquet final des plus émouvants. Alors qu’il l’écoutait minot dans la voiture de son père, TIF partage ce soir-là la scène avec Rim’K pour interpréter “Tonton du Bled”. L’Algérie qui est mise à l’honneur, la France qui ovationne. 

Artisanale musique

Quand TIF décroche son téléphone, il est en studio. “Je travaille un son pour la suite”. Pas de repos pour les soldats. Du moins, c’est ainsi que Toufik, ultra exigeant envers lui-même, semble opérer.  Véritable accro des mélodies et des percussions, il n’est toujours pas venu à bout de sa première tournée qu’il pense à l’après. 

Délivrer des nouveaux titres, “bicraver des nouvelles émotions”, comme il aime à le dire. Parce que pour lui et toute sa fidèle équipe, la musique se résume à ça. Une émotion. Et celle que TIF propose est particulière, unique. Elle oscille entre la nostalgie solaire, la générosité de tout donner mais surtout, la soif de tout prendre. C’est le secret de cette fameuse “artisanale musique” , expression fredonnée par TIF dans “BZMOR” et érigée en véritable devise par le label qu’il a créé avec ses deux acolytes devenus frères, Adil et Younès Boucif. 

Coup du mektoub

Chaque vendredi, la planète rap est abreuvée de nouvelles sonorités à ne plus savoir qu’en faire. Chaque semaine, c’est en moyenne un, deux, voire trois projets qui parviennent aux oreilles des auditeurs les plus assidus. Une effervescence qui rend de plus en plus difficile aux artistes de faire la différence, de provoquer ce je ne sais quoi qui donne envie, non seulement d’ajouter le titre à ses “J’aime” Spotify, mais surtout de découvrir le projet dans son intégralité. 

Et pourtant, en moins de trois ans, TIF a réussi à se frayer un chemin, à passer de “Bab El Oued à Avenue Montaigne” (“OPOP”). Sans jamais oublier d’où il vient. C’est cette sincérité couplée à un don pour les mots qui a conquis Younès. Sur son téléphone, le rappeur-comédien originaire de Rouen scroll sur YouTube. Quand soudain, coup du mektoub. L’algorithme fait atterrir “3inya”, à cette époque unique clip de TIF, entre les mains de Younès : “J’ai pris une énorme claque. En termes de flow, de mélo, je me suis complètement pris le truc. Il a des phases inédites que je n’ai jamais entendues avant. Et puis j’étais intrigué, je me suis dit “mais c’est qui ce mec, c’est un Algérien, un Français, il est où ? J’ai trouvé qu’il était capable d’avoir la forme et le fond pour de vrai”. 

Ni une ni deux, en plein confinement, Younès partage sa trouvaille à celui qui joue le rôle de grand frère dans l’intimité et de manageur dans le professionnel. Adil Boucif. Même son de cloche chez son aîné : “Je suis tombé amoureux de 3inya, je l’ai écouté et réecouté et on avait envie que Younès fasse un titre avec lui. Donc on a fait en sorte d’attraper cet oiseau rare en vol pour qu’ils réalisent un son ensemble en janvier 2020.”

Avec “3inya”, j’ai pris une énorme claque. J’ai trouvé que TIF était capable d’avoir la forme et le fond, pour de vrai.

Younès

Le fruit de cette collaboration s’appelle “KILOMÈTRE” et figure parmi les quinze titres du troisième album de Younès, IDENTITÉ REMARQUABLE. L’un est né à Rouen, l’autre à Alger. Une mer les a longtemps séparés. Mais tous deux partagent le même amour du pays, de la famille, parvenant à la conclusion qu’on est jamais mieux qu’auprès de yemma [NDLR : maman, en arabe]. À mesure qu’ils passent du temps ensemble, les deux compères réalisent qu’ils ont des références similaires, qu’ils se comprennent. Younès se souvient d’un “coup de foudre amical” , d’une “vraie entente humaine” et ce dès les premiers instants. Bluffé par le talent de son nouvel ami qui, en studio se montre “toujours enclin à ce que les musiciens jouent pour jamer dessus” et qui a “plein de textes dans la tête“, Younès lui propose son aide.

Opération décongélation

Homme d’instinct, Toufik sent le bon filon, lui qui est de nature méfiante : “Il me racontait qu’il avait rencontré des gens à droite à gauche dans l’industrie mais qu’il n’avait pas confiance.” Alors, quand Younès l’invite à se rapprocher de son grand frère pour se professionnaliser davantage, il y croit : “Je lui ai dit que s’il avait besoin d’aide, mon frère et moi pouvions l’aider, l’épauler. Il avait ça en tête. Peu de temps après, de lui-même il est revenu vers cette idée-là en disant à mon frère qu’il était chaud qu’il le manage.”

Bingo, la machine est lancée. “À ce moment-là, je ne pouvais pas dire non à mon artiste préféré”, se remémore Adil. Dans la foulée, son futur manager l’invite à passer trois jours au Havre, où il est installé. Histoire de tester l’implication de TIF, son sérieux. “Pour apprendre à se connaître un peu plus” aussi, malgré des “atomes crochus” et un tas de choses qui “les liaient”. Mais surtout, Adil avait en tête un projet très précis. Celui de “décongeler TIF”. Pour cause, depuis la sortie de “3inyia”, silence radio : “Ça faisait deux ans qu’il n’avait rien sorti donc il fallait décongeler toute la matière grise que TIF a accumulé. Il fallait faire en sorte qu’il n’ait plus peur de renvoyer de la musique.” Pendant ce séjour express, Adil la joue préparateur physique, coach personnel. Il s’efforce de réveiller son poulain aux aurores, réécoute avec lui chacune de ses maquettes, le tout “en notant leur avancement”. Mais les choses prennent une toute nouvelle ampleur lorsqu’Adil organise une rencontre entre l’artiste en herbe et Alassane Konaté, alias Salsa, boss du label ADA France chez Warner : “J’ai eu un coup de cœur sur l’artiste, je le trouvais très fort. Il était parmi mes cinq premières signatures chez ADA.” 

En bon directeur d’un label de distribution, Salsa n’a pas pour habitude de signer des artistes aussi embryonnaires, aussi peu identifiés du public. Mais pour TIF, il a décidé de prendre le risque : “Normalement, j’aurais dû attendre un peu que ça grossisse en termes de chiffres avant de le signer. TIF n’avait qu’un seul titre sur les plateformes, il y avait tout à faire. Alors, on a commencé à bosser sur le premier projet. Et puis, j’ai vu qu’il était bien entouré, c’était des gens que je connaissais donc ça joue.” Avec le recul, Salsa ne regrette rien, bien au contraire. “Aujourd’hui, je suis vraiment content de ce qu’il se passe sur TIF. C’est une grosse fierté. Il devient l’une des marques fortes du label et j’espère pour le plus longtemps possible.” .

Validé par Salsa, un homme qui a plus de vingt ans de carrière dans les pattes, TIF commence timidement, mais sûrement, à épouser son rêve de gosse. Comme, Younès et Adil, qui ont décidé de monter à bord du wagon TIF, Salsa est conquis par trois choses. La “musicalité”, la “mélancolie” et “les paroles” du rookie. Des ingrédients qui puisent directement dans l’expérience de son exil et les souvenirs de sa terre natale.

La mélodie de l’exil

Mes parents ont vu que je pouvais faire du rap tout en gardant les valeurs qu’ils m’ont inculquées.

TIF

Bac dans une poche, rêves dans l’autre, TIF quitte Alger le cœur lourd, à l’âge de dix-huit ans. Il laisse derrière lui sa famille, ses amis et part pour l’Eldorado à la recherche du French Dream. Enfant, dans une chambre qu’il partage avec son grand frère, Toufik songe à la vie d’artiste. Fils d’une mère professeur de français, qui lui a peut-être même transmis l’amour des mots et des langues, il apprend celle de Molière grâce aux musiques qu’il entend : 

“Mes premiers souvenirs de musique c’est la radio avec mes parents et mon grand-frère qui écoute du rnb en jouant à Counter Strike. C’est lui qui m’a plongé dans le rap parce qu’il écoutait du Booba, du Dicidens. Au début, je n’étais pas focus que sur le rap, parfois je me surprenais même à écouter du Metallica”. Mais rapidement, c’est le rap qui lui fait du pied. Comme un appel venu de ses aînés, ceux qui l’inspirent et lui font pousser la chansonnette : “Je chantais par-dessus leurs voix dans ma chambre ou dans la voiture. Ça rendait comme si c’était eux qui rappait et du coup, j’ai voulu écrire mes premiers textes.”  

Ses parents le voient à l’œuvre, sans jamais imaginer que leur fils se jette à son tour dans le grand bain. De leur fenêtre, le rap reflète un certain gangstérisme, qui ne correspond “pas forcément à leur fils”. Ceux qui l’ont élevé dans le “respect de l’autre” avaient d’autres desseins pour leur progéniture. Comme par exemple, “devenir médecin, ou un truc comme ça”. Foncièrement “humains”, remplis d’amour et de soutien, ils finissent par accepter : “Ils ne pensaient pas que j’allais faire ma propre musique. Mais ils ont vu que je pouvais en faire tout en gardant les valeurs qu’ils m’ont inculquées. C’est vers mes treize ou quatorze ans que j’ai fait mes premiers clips, en HD à l’époque. J’étais tout fier.” 

Une passion qui remonte à loin, contrairement à ce que laisse croire son premier clip en date de l’été 2019 : “Un jour, j’ai décidé de tout effacer de YouTube et de recommencer à zéro, à partir de 3niya”. Quand il se décide à diffuser ce clip, qui dépasse aujourd’hui le million de vues, TIF réside à Paris et travaille chez Chanel. Il arrête ses études quelque peu avant à l’EM Lyon et préfère travailler pour financer sa musique. Au fond de lui, il sait que Lyon ne pourra lui offrir tout ce que son ambition lui réclame. Encore aujourd’hui, il se réjouit d’avoir choisi la Ville des Gones comme destination étape  : “Ça m’a donné un petit aperçu de la France avant d’arriver dans ce bordel qu’est Paris”. 

Au pays des tacos, des pélos, des banaveurs et des quenelles, TIF fait tout de même des rencontres qui le marqueront. Dont celle avec Alex Mouchet, qui le photographie sept années plus tard. Après avoir tiré les portraits des plus gros noms de la scène française, de SCH à Ateyaba en passant par Wejdene, le voilà qui mitraille Toufik sous toutes ses coutures. Ensemble, ils rappent sur les Berges du Rhône, à Guillotière, enchaînent les open mic, enregistrent dans un studio monté de toutes pièces façon système D par Alex.  

Depuis ce jour, Alex suit de près chacune des sorties de son ancien acolyte, poursuit la propagande TIF jusqu’à s’émouvoir de le photographier sur la scène de l’Élysée Montmartre. D’assister au sacre d’un pur passionné qui croyait dur comme fer en ses rêves, sans jamais les lâcher. Sans jamais démotiver. 

One, two, three… Viva l’Algérie 

L’Algérie j’ai l’impression que c’est comme une petite amie, ou une ex, que je vais toujours revenir à elle.”

TIF

Le grand TIF le doit au jeune Toufik. Il n’a pas dit aurevoir à ses proches pour l’échec et l’errance. Il a “quitté Alger pour aller accomplir des rêves” (“EMOJI DZ”) mais vit son exil comme un acte égoïste et le traduit en musique. Dans le pays de Marianne, il est loin des siens, rappelant en fil rouge combien ça lui coûte d’être “solo” (“SHADOW BOXING”). Alors, il demande “pardon” à sa mère tout en lui promettant qu’il reviendra bientôt  (“BIMO”) pour lui offrir une villa à Zanzibar (“BZMOR”). Mais pas le temps pour les regrets. TIF est trop occupé à vouloir “percer avant le générique de fin”, conscient que son départ était “plus qu’une alternative” (“3niya”). 

Avant lui, d’autres ont chanté la peine de la migration. C’est d’ailleurs l’une des thématiques centrales du raï, qui naît au début du XXème siècle près d’Oran et dans laquelle TIF puise des bribes d’inspiration. Tant dans les textes que les instruments.

Dans ce genre musical, de nature foncièrement nostalgique, on parle d’amour, de déchirements, de désespoir, de trahisons. Avec sa voix rauque et éraillée, Cheikha Remitti, considérée comme la Mère du raï, célèbre son malheur, sa condition de femme, son désir d’émancipation, sa sexualité aussi, en parlant sans tabou de la virginité. Quatre décennies avant TIF, c’était Cheb Hasni, assassiné en 1994 par le Groupe islamique armé, qui racontait la jeunesse en quête de liberté. L’exil, le visa, l’amour meurtri sont autant de sujets qui donnent corps aux chansons du roi du raï. Sa mort provoque un émoi général au sein de la jeunesse algérienne. Elle prouve une chose ; à l’époque, choisir la musique, l’art, c’est accepter de sacrifier sa vie. Et TIF grandit avec cette idée. Il s’inspire de “la vie de Matoub”, chanteur-militant fervent défenseur de l’identité amazigh, mort dans les mêmes conditions que Cheb Hasni. Vingt ans plus tard, l’Algérie est sortie de ses années macabres. Mais là-bas, les artistes locaux peinent encore à vivre de leur musique, l’industrie du streaming n’y étant pas aussi développée que dans d’autres pays. Flenn, rappeur algérois le plus connu, fait figure d’exception et c’est tout naturellement que TIF l’invite sur “S12”, unique featuring de son projet 1.6. 

Ces années noires, où les voix étaient muselées et les corps contrôlés, TIF ne les a pas vraiment connues. Né à la fin des années 1990, seul un souvenir lui reste en tête. Mais il revient si souvent que Toufik décide de l’inscrire dans le marbre, en nommant son projet ainsi. Il se rappelle d’une enfance passer au cyber, à regarder attentivement son grand-frère jouer à la version 1.6 de Counter Strike, pendant que dehors, le terrorisme faisait vivre à l’Algérie ses pires instants. “16”, c’est aussi le numéro du département d’Alger. Avec ce dix titres, TIF représente, sans vraiment le vouloir, une certaine Algérie. Sans jamais lui jeter la pierre. Sans jamais fustiger cette terre qu’il aime tant, malgré ses défauts. Un pays dont il est fier et qu’il aime, comme les femmes dont il parle dans ces textes. L’Algérie ne serait-elle pas parmi les plus dures d’entre elles à aimer ? “En tout cas, les deux créent les mêmes frustrations. Tu as envie de rester avec quelqu’un, mais tu es loin parce que cette entité ou cette personne ne t’a pas donné ce que tu attendais” commente-t-il, l’air songeur. Avant d’ajouter : “L’Algérie j’ai l’impression que c’est comme une petite amie, ou une ex, que je vais toujours revenir à elle.”

La France, un mur de différences

Mais pour certains, les clichés et les raccourcis ont la peau dure. Invité dans la matinale de France Inter en octobre dernier, voilà qu’on l’interroge sur “la police des mœurs”. En moins d’une minute, avant même de lui parler de sa musique, la journaliste évoque le massacre de Ramka survenu en 1998 et coûtant la mort à plus de 400 personnes, laissant l’artiste sans voix. Après coup, il regrette de ne pas avoir été en mesure de répondre : “J’aurais dû m’énerver et la stopper net. En trois minutes, ils ont quand même trouvé le moyen de tourner les choses dans leur intérêt avec leur propre vision en mode, “l’islam c’est les terroristes et nous c’est la civilisation””. Imperturbable, TIF parvient tout de même intelligemment à faire parler sa musique pour lui. En pleine offensive israélienne sur la bande de Gaza, alors qu’il a carte blanche pour une interprétation live, il choisit l’outro de “1.6”, titre éponyme du projet. En remaniant quelque peu la structure du morceau, il termine son intervention sur ces mots : “Chaque jour, mes démons m’colonisent un peu plus. J’crois qu’j’ai le syndrome de la Palestine”.

Fédérer, ici et là-bas

Je me reconnais beaucoup en TIF parce qu’il a cette volonté de rassembler les gens peu importe d’où ils viennent, peu importe leur communauté.

Zamdane

Depuis Paris, TIF regarde amoureusement l’Algérie qui lui manque, sans jamais tomber dans le misérabilisme. Au contraire, il en fait sa force dans un pays parfois trop froid pour le soleil logé dans son cœur. Il joue sur des codes compris par la diaspora, ici et là, comme sur le titre “EMOJI DZ” où TIF rappelle la mimique connue de tout “blédard” en colère, celle de la “langue pliée entre [les] lèvres”. Se moque des intolérants, de Marine (“HSH”) à Zemmour (“.38”), découvre des valeurs diamétralement opposées à celles qu’on lui a transmises :  “J’étais face à un mur de différences et je devais m’adapter”.

Avec ses textes, ses mélodies entêtantes et ses instruments empruntés au raï, au châabi et même au reggae, le chanteur-rappeur envoie un message plus universel qui vit et circule par-delà les frontières. C’est ce que Zamdane, présent lors de sa date à l’Élysée Montmartre, aime particulièrement chez TIF : “Je me reconnais beaucoup en lui parce qu’il a cette volonté de rassembler les gens peu importe d’où ils viennent, peu importe leur communauté. Il est très humain, il a une belle âme et c’est ce qui se dégage de sa musique.” 

Une affaire de famille

À la mi-octobre, TIF a prouvé une nouvelle fois que la musique était une affaire collective et qu’il vivait pour la propager. Avec le public certes, mais surtout avec d’autres musiciens, qui parlent le même langage que lui. Dévoilée le 16 octobre dernier, sa LIVE SESSION  lui permet de toucher un nouveau public, de donner un nouveau souffle à sept titres, d’accroître les écoutes et donc de rebooster les ventes, plus de six mois après sa dernière sortie. “Il n’y a même pas de nouveau titre, c’est juste une version live mais il y a une vraie valeur ajoutée. Et la preuve c’est que dans les ventes, il y a eu un nouveau pic”, commente fièrement Salsa. 

TIF a ramené de l’exigence dans la musique. À une époque où elle se consomme comme du fast-food, il propose une musique moderne tout en y ajoutant les sonorités de chez nous

Khalil

Pendant vingt-deux minutes, TIF se laisse porter par les guitares de Nazim et Hakeem, la derbuka de Naghib et le clavier de Senpaï. Sa voix vagabonde dans un décor de vacances où la mer règne en maître, où les “youhou” résonnent avant de s’échouer en Méditerranée. Il est comme un poisson dans l’eau, parmi les siens avec Younès et Adil, Khalil, son compositeur mais aussi Mehdi et toute l’armée du label Houma Sweet Houma. Cette vidéo entérine ce que TIF avait entamé avec ses deux précédents projets : replacer les instruments au cœur de ce qu’il offre et prouver que la musique ne s’écoute pas qu’avec les oreilles, elle se vit et se partage.  Khalil s’en réjouit : “TIF a ramené de l’exigence dans la musique. À une époque où elle se consomme comme du fast-food, il arrive à proposer une musique moderne tout en y ajoutant les sonorités de chez nous”. Pour cause, TIF remet au goût du jour des instrumentales dont l’âge d’or remonte à bien loin, avant même sa naissance. En 1998, les cuivres, bendir, darbouka et flûtes accompagnaient les voix de Faudel, Khaled et Rachid Taha dans leur tournée 1,2, 3 soleils, dont l’album live s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires. Le raï inondait le monde entier, jusqu’à s’inviter à la mi-temps du Superbowl en 2001. Cette année-là, Cheb Mami partageait la scène avec Sting pour un show anthologique. “Après l’époque 1,2,3 soleils, la musique orientale était mal vue. On avait même honte d’utiliser les sonorités robotiques alors qu’aujourd’hui, tout le monde utilise l’autotune”, précise Khalil. 

L’exigence du fennec

Au-delà des instrumentales, l’exigence de TIF passe aussi et surtout par les textes. Son ami devenu frère, Khalil, est parmi ceux qui passent le plus de temps avec lui pour fabriquer de la musique. Dans “SHADOW BOXING”, c’est façon Jesse Pinkman et Walter White qu’ils se démènent  pour concevoir le produit le plus pur du marché quitte à disséquer “une prod sur une table d’autopsie”. Et quelle saveur aurait un bon morceau sans des paroles profondes, imagées et pertinentes ? “Il met des années lumières à écrire. Il se prend tellement la tête sur les textes” s’amuse Khalil. Younès partage le même constat : “Au studio, je n’ai  jamais vu quelqu’un d’aussi exigeant vis-à-vis de lui-même. Il fait zéro concession sur ses morceaux, dans son écriture. Il juge violemment ses textes et ne va pas se permettre une phrase plus facile qu’une autre.” Inutile donc  de s’étonner de l’entendre rapper qu’il a “la dalle comme ptérodactyle”, que le petit cœur de sa dulcinée “sonne cassé” ou que cette dernière ne “débite [que] des inepties”.

Les artistes qui ont la dalle écrivent souvent très bien.

TIF

TIF met un point d’honneur à trouver des textes  qui restent en tête, grâce à un vocabulaire riche, des lines inattendues et des métaphores fines, quitte à contraindre l’auditeur à s’y reprendre à deux fois avant de comprendre où le parolier veut en venir. Et c’est peut-être l’une de ses plus grandes forces, bien qu’il craigne que cela ne lui “porte préjudice” puisqu’une telle exigence implique de “toujours se surpasser”. Résultat, il passe parfois des heures, voire des jours sur un couplet ou un refrain. Et d’autres fois, les syllabes pleuvent d’elles même : “Parfois c’est un miracle et même lui ne sait pas comment ça vient” indique  Khalil. Il se souvient notamment de l’élaboration du morceau “HINATA” : “Il a mis presque vingt-quatre heures à trouver les quatres phrases du refrain”. Mais c’est bien connu, les belles choses prennent du temps : “C’est aussi sa force. Si on prend du temps pour proposer quelque chose de bien, ce n’est pas grave. Et puis à force, il va de plus en plus vite, c’est plus fluide qu’avant”, conclut Khalil.

L’exhaustivité de ses expressions puise notamment dans sa langue maternelle, loin du rap : “J’ai beaucoup de références châabi et de musiques de chez nous où sur les paroles, tu sens que ça se creuse vraiment la tête. Et sinon, je suis un mec du boom bap donc c’est surtout des mecs comme Booba ou Nessbeal qui m’ont inspiré en termes d’écriture.” 

Et puis, TIF admet surtout que “les artistes qui ont la dalle” écrivent souvent très bien, prouvant par cette simple phrase qu’une faim dévorante l’habite. 

Bien que les choses s’accélèrent à vitesse grand V pour lui et son label Houma Sweet Houma, TIF en reste à ses débuts. Après des années passées dans l’ombre des scènes underground à freestyler façon Rap Contenders ou à enregistrer des titres boum bap avec ceux qui partagent sa passion, le voilà qui entrevoit enfin un brin de lumière. Et une chose est sûre, il ne compte pas s’arrêter là. Après Alger, Lyon, Paris, il vise un “tour de la Terre” (“HSH”), conscient que sa musique a le pouvoir de s’exporter. Et surtout curieux d’expérimenter, au plus proche des siens, l’ascension. En posant ses valises à Paname, le jeune “sirocco d’Afrique”(“.38”) a eu beaucoup de chance dans sa quête. Aidé par le mektoub encore et toujours, il a pu “rencontrer les vents du nord”, Adil, Younès, Manon, Salsa, Khalil et bien d’autres. C’est ensemble qu’ils ont créé ce que TIF est en train de provoquer sur la scène musicale actuelle, un nouveau souffle, plus frais, qui dénote : “le big storm”.

Interview : Nouma Ben
Photographie : Alex Mouchet
Direction artistique et graphisme : Alex Mouchet, Antoine Mougenot et Naël Gadacha