Les athlètes, ont-ils conscience de leur talent ? Pour Pauletta Foppa, la réponse est non. Ce n’est qu’à 17 ans que la handballeuse française a réalisé qu’elle avait du talent, lorsqu’elle a signé son premier contrat professionnel. « Je ne pensais pas devenir professionnelle. Quand je suis arrivée au pôle espoir pour la première fois, je croyais que c’était un stage et que j’allais rentrer chez moi après. Alors que non, je restais pour l’année », nous racontait-elle en mai dernier, lors d’une après-midi pluvieuse à la Maison du Handball.
Pourtant, dès ses débuts, la jeune femme impressionne. En six ans, Pauletta Foppa s’est imposée comme cadre indispensable dans son club, Brest Bretagne Handball, et en équipe de France. Avec plus de 90 sélections et à seulement 23 ans, elle a déjà tout gagné avec les Bleues. Championne olympique, du monde et d’Europe.
Les adjectifs ne manquent pas pour saluer sa précocité et son génie. Mais face à tous ces éloges, Pauletta Foppa fait preuve d’un lâcher prise épatant. À ne pas prendre pour de l’indifférence. Car elle ne prend rien pour acquis et cherche constamment à se perfectionner pour être la meilleure. Après une saison sans titre en club, Pauletta Foppa n’a qu’un objectif en tête : conserver le titre olympique de l’équipe de France à la maison, pour combler une année sans titre qui l’a laissée sur sa faim.
Après avoir fait les Jeux de Tokyo sous Covid-19, qu’est-ce que tu attendais le plus de voir dans ces Jeux à la maison et dans un contexte normal ?
Le public ! Et aussi le village olympique. Parce qu’à Tokyo tout le monde portrait un masque. Du coup, c’était compliqué de voir qui était Novak Djokovic (rire). Mais c’était cool, à cause de la covid, on restait toute ensemble avec l’équipe. On ne pouvait pas s’éparpiller pour aller regarder d’autres disciplines, tout le monde avait peur d’attraper le virus, qui était synonyme de fin de compétition.
Avoir le public à Paris, à la maison, pour te booster, fait un bien de fou. Franchement, ça n’a pas de prix, surtout dans les moments où tu sais que physiquement, tu es cramée et que le match se joue au mental, c’est quelque chose qui galvanise.
La France a le statut d’équipe à battre, puisqu’elle est championne olympique et championne du monde en titre. C’est agréable d’être dans cette position ?
Franchement, même sans le titre mondial on aurait été l’équipe à abattre. Depuis 2018, à part notre défaite en 2019 [la France a été éliminée du mondial dès les phases de poule], on est toujours dans le dernier carré. On est clairement la cible à abattre parce qu’on est les championnes olympiques en titre et on a gagné le mondial au mois de décembre. Tout le monde veut remporter les JO, c’est le rêve d’une carrière. Pouvoir conserver notre titre à la maison est une chance qui ne se reproduira jamais dans une carrière.
Ce sont beaucoup d’émotions en dehors du terrain, mais il faut mettre ça à bon escient pour être galvanisée au bon moment.
Pendant très longtemps, j’ai fait du handball que pour le loisir. Quand je suis arrivée au pôle espoir pour la première fois, je croyais que c’était un stage et que j’allais rentrer chez moi après. Alors que non, je restais pour l’année.
Pauletta Foppa
Justement, les Jeux olympiques amènent-ils un niveau de stress et de concentration différent par rapport aux autres compétitions ou pas du tout ?
Les Jeux olympiques ne ressemblent à aucune autre compétition que j’ai pu faire auparavant. C’est un événement qui est très dur à gérer émotionnellement, parce que tu te prépares pendant quatre ans et tu n’as pas droit à l’erreur. Il faut vraiment être bonne à l’instant T parce que le train ne repassera pas tout de suite.
L’organisation de cette compétition aussi est totalement différente, on vit dans un village avec d’autres sportifs. Le groupe est réduit, on n’est pas seize, mais quatorze joueuses. Donc, beaucoup de choses changent. Je ne suis pas stressée de nature, mais si on pense à tous ces paramètres extérieurs, il y a de quoi avoir du stress. (rire)
Tu fais partie de ces jeunes sportifs français qui ont démarré très tôt en équipe de France. Tu avais 17 ans lors de ta première sélection. Comment étaient tes débuts ?
C’est vrai, c’est arrivé très soudainement, j’ai été sélectionnée en même moment où je signais mon premier contrat professionnel avec Brest. J’étais jeune, très jeune. Je ne jouais pas en club, j’étais dans une phase d’observation et d’apprentissage et je reçois une convocation pour aller avec l’équipe de France A. Je n’y croyais pas, je pensais que c’était un bug et qu’ils s’étaient trompés.
J’y suis allée un peu la fleur au fusil et ça s’est très bien passé. J’ai été accueillie par les stars que je regardais sur mon téléphone quand j’allais à l’internat. C’était vraiment bizarre d’être avec elles. Pas parce que je ne me sentais pas légitime ou que je doutais de moi, mais parce que je n’avais pas de temps de jeu avec mon club, je ne comprenais pas trop ce que je faisais ici si tôt. Sachant qu’entre leur niveau et le mien, il y avait un monde d’écart. Au final, j’ai vite compris le projet de jeu, j’ai mis ce que je savais faire au service du collectif et ça a fonctionné.
Ce qui revient beaucoup dans les médias, c’est ta précocité. À 23 ans, tu as déjà tout gagné avec l’équipe de France. As-tu conscience d’être un « génie du handball » ?
Non pas du tout (rire). Pendant très longtemps, j’ai fait du handball que pour le loisir. Quand je suis arrivée au pôle espoir pour la première fois, je croyais que c’était un stage et que j’allais rentrer chez moi après. Alors que non, je restais pour l’année. (rire)
Je n’ai jamais eu la prétention d’être un « génie du handball », parce que devenir handballeuse professionnelle n’était pas une évidence pour moi. Je ne savais même pas qu’on pouvait vivre du handball. Donc, je n’ai pas vu mon évolution comme quelque chose d’oufissime.
J’ai réalisé que j’avais du talent, quand j’ai signé mon premier contrat pro. Parce que toutes les filles avec qui j’ai fait mon parcours étaient encore au centre de formation ou avaient arrêté. Il n’y en avait pas beaucoup qui avaient déjà signé en pro et ça m’a mis la pression. Parce que arriver à ce niveau c’est bien, mais si c’est pour tout quitter dans deux ans ou être inconnue plus tard, ça ne sert à rien.
Ma première sélection en équipe de France a été une confirmation. Il y a eu des années compliquées, mais au final, j’ai toujours progressé et j’ai toujours eu cette volonté de faire mieux.
Je n’aime pas faire comme tout le monde. J’aime surprendre, sortir du lot et ramener ma petite touche.
Pauletta Foppa
Tu es déjà une joueuse cadre en équipe de France et dans ton club. Tu as un palmarès incroyable, tu es encencée par tout le monde. Est-ce que tous ces éloges te mettent la pression ou cela te passe au-dessus, tu laisses les gens parler ?
Avant ça me passait vraiment par-dessus la tête. Maintenant, plus je prends de l’âge, plus je commence un peu à réfléchir. Quand on reçoit énormément d’éloges, on se pose une question : combien de temps ça va durer ? Pendant combien de temps, je vais être aussi performante ? Rester au haut niveau me met la pression. Ça me trotte dans la tête alors qu’avant, je ne me posais pas du tout la question.
Mais bon, je n’ai pas une énorme pression, j’aime ce que je fais et je me donne toujours à fond dans ce que j’entreprends. Le jour où je ne ressentirai plus ça, j’arrêterai.
Tu as conscience, malgré ton jeune âge, qu’avec ton parcours, tu es devenue un modèle pour les plus jeunes ?
Ça me vieillit, je me demande si j’ai vraiment eu une vie d’ado pour que l’on me voie en exemple (rire). C’est toujours cool de véhiculer des choses positives pour les jeunes et encore plus dans notre génération.
On sait que sur les réseaux sociaux, il peut y avoir des bonnes et des mauvaises influences. Je veux faire partir des bonnes personnes qui influencent les petites, que ça soit pour devenir pro en handball ou pour s’épanouir dans une discipline. Si elles me regardent jouer, et que je leur procure du bien, cela me rend heureuse.
Est-ce que la question de la représentativité dans le sport et dans la société est quelque chose qui te touche, maintenant que tu as atteint un certain niveau de reconnaissance publique ?
Quand tu es petite, c’est toujours bien d’avoir une personne qui te fait penser à toi ou que tu aimerais être. Quand j’étais plus jeune, je n’avais personne à qui m’identifier dans le sport féminin et encore moins d’exemple de femmes noires à qui me greffer.
Il n’y avait pas autant de médias, de matchs diffusés, on ne parlait pas autant de notre sport et même des autres sports féminins. Le foot féminin, par exemple, a pris de l’ampleur ces dernières années, mais avant, on n’en parlait pas du tout. Le basket féminin, on n’en parle pas tant que ça non plus.
C’est cool si nous, les femmes, on arrive à plus se faire connaître et à être prises comme exemple. Ça veut dire que les gens nous regardent.
Quand tu vois tout le chemin que tu as parcouru en six ans, qu’est-ce que tu ressens ?
Je me dis que les années passent super vite et qu’une carrière de sportif, c’est court. Je suis contente, mine de rien, de l’évolution que j’ai eue depuis mon début de carrière (rire). On est tellement dans la machine, on joue tellement souvent qu’on ne se pose jamais pour se dire, « c’est bien tout ce que j’ai parcouru comme chemin. »
Chaque année, j’apprends beaucoup sur moi, sur mon corps et en tant que handballeuse. Je trouve aussi que j’ai énormément progressé défensivement. Il faut toujours trouver des points positifs, même dans les saisons un peu ratées.
On te décrit comme une joueuse qui casse les codes. Et toi, comment tu te décris ?
Cela me correspond totalement, je n’aime pas faire comme tout le monde. J’aime surprendre, sortir du lot et ramener ma petite touche. Du coup, les adversaires ne savent jamais ce que je vais faire. Le handball est un sport, où l’on peut tellement s’amuser sur le terrain.
En t’entendant parler, on sent que tu es très ambitieuse, que tu donnes à fond pour avoir ce que veut. Ces traits de personnalité correspondent bien à ton ascension et à ton évolution dans ta discipline.
C’est vrai que je suis très exigeante. Ça m’aide, mais ça peut être compliqué aussi parce que parfois, dans ma tête, je suis en duel avec moi-même.
J’ai vraiment tout appris sur le tas et je suis très bien entourée et je pense que ça fait beaucoup dans mon apprentissage. Moi, j’ai eu la chance d’avoir des coachs qui aiment ce qu’ils font et qui ont la volonté d’enseigner.
Je ne veux pas nous opposer au foot, mais si je compare le handball à ce sport, on est vraiment « des miettes » dans la société. Pourtant, on fait tout autant qu’eux.
Pauletta Foppa
Tu dis que tu es bien entourée, est-ce que tu es aidée par ta famille, un coach mental ou un psychologue ?
Ma famille. Je suis très proche de ma famille : on est cinq frères et sœurs, je suis au milieu, la meilleure place (rire). On n’a pas beaucoup d’écart, toutes les vacances scolaires, ils viennent chez moi ou quand je peux, je descends les voir. Mais c’est très rare.
Je n’ai pas encore trouvé la nécessité d’avoir un préparateur mental, mais ce n’est pas quelque chose dont je me priverais. Il y en a des très bons dans leur domaine. Mais pour l’instant, ce que je fais m’aide et fonctionne bien.
Je voulais avoir ton avis sur les polémiques autour des Jeux olympiques, notamment sur le manque de moyens mis dans le sport en France. Tu es d’accord avec ce constat ?
Je suis d’accord, il n’y a pas assez de moyens mis dans le sport. Certes, on en parle plus maintenant, mais ce n’est pas assez. Je ne veux pas nous opposer au foot, mais si je compare le handball à ce sport, on est vraiment « des miettes » dans la société. Pourtant, on fait autant qu’eux.
Je m’interroge parfois sur le pourquoi. Comme je le disais, avant pour regarder le handball sur une chaîne télé, franchement c’était trop galère ! C’était quasi impossible d’en trouver sur les chaînes gratuites, il fallait avoir un abonnement à beIN Sports. Aujourd’hui, en handball, notre fédération a mis des moyens et a pas mal avancé. Il y a des matchs qui passent sur des chaînes gratuites, comme L’Équipe ou TMC. Mais ce n’est pas facile. Par exemple, l’été dernier, j’étais choquée de voir qu’il n’y avait pas de diffuseur pour l’équipe de football féminine alors que la compétition approchait. Ils ont trouvé après, mais ça m’a sidéré de devoir ça.
On organise les Jeux olympiques à la maison, on ramène des médailles, on se sacrifie et on nous donne que deux places pour que nos proches assistent aux JO, je trouve ça scandaleux ! Il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais je ne perds pas espoir.
Justement, l’équipe féminine de handball fait partie des nations qui ont remporté le plus de médailles ces dernières années. Tu vois une évolution dans l’exposition médiatique du hand féminin ou il y a encore beaucoup à faire ?
Il y a encore des choses à faire, mais on est sur la bonne voie. Je trouve que le handball a bien évolué par rapport à avant parce que nous avons remporté des médailles. Plus on gagne des médailles, plus il y a de diffuseurs et de spectateurs. Et plus on est médiatisée, plus on sera écoutée. On sent qu’il y a toujours un manque de considération, quand on voit par exemple comment on voyage par rapport à d’autres sports.
Il y a des avancées, on est la première fédération à avoir mis en place la convention collective pour protéger les joueuses pendant leur grossesse [elles continueront à percevoir leur salaire.] On n’est plus obligées de mettre des shorts blancs quand on est indisposée. Mais on doit encore militer et je trouve ça dingue, de devoir me battre pour des choses qui sont censées être naturelles. Il y a encore un peu de travail. (rire)
Interview : Jessie NGANGA
Photographe : Alexandre Mouchet
Post-production : Joshua Peronneau