Doué d’une palette artistique en constante mouvance et d’un style parfois transparent, Nekfeu s’est construit comme l’un des artistes qui génère le plus de débats dans l’hexagone. Au-delà des commentaires dithyrambiques des médias généralistes et des attaques stéréotypées d’une partie des fans, c’est bien son ADN musical complexe qui intrigue le plus.
Transparent : qui donne une impression de luminosité et de légèreté. Qui a perdu son opacité, qui est comme dématérialisé, évanescent. Dont la présence n’est pas remarquée par autrui, qui est comme sans existence. Les définitions de ce mot sont multiples mais elles ont la particularité de représenter Nekfeu, qu’elles soient péjoratives ou mélioratives. “Nekfeu tout simple”. Voici tel qu’il se présente à nous, il y a maintenant 7 ans, du Rap Contenders à Bercy et de quelques centaines de t-shirts 1995 vendus à un disque de Diamant.
« Je sais pas pour vous, mais moi je me considère encore comme un débutant dans le rap »
Si une chose caractérise particulièrement sa musique, c’est que les rappeurs l’inspirent. De Booba à Alkpote en passant par Fabe, Dany Dan, Doc Gynéco ou bien Drake, Chance The Rapper, Kendrick Lamar ou même Future, on reconnaît progressivement la patte de chacun de ces rappeurs, que ça soit dans les schémas de rimes, les flows ou encore le choix des productions fait par le jeune artiste d’origine grec. Et forcément, la question de ses inspirations dans sa musique se pose. À la sortie de Feu, une critique majeure en est ressortie : les flows de Drake sur certains morceaux sont trop fortement identifiables : “Martin Eden,” “Mal Aimé” pour le premier et même “Squa” ou “Saturne” sur le second opus. Mais Nekfeu ne masque pas cette inspiration lorsque notamment dans “Saturne” il rap “Seine Zoo, le French OVO“. Inspiration ou plagiat, ses fans et ses détracteurs ont chacun un avis bien tranché sur la question, et la vérité se trouve sans doute entre les deux.
Pour obtenir le niveau qu’il a actuellement, Nekfeu ne s’en cache pas, il a dû longuement travailler : “Je sais pas pour vous mais moi je me considère encore comme un débutant dans le rap » déclarait t-il au micro d’OKLM lors de l’interview du $-Crew pour l’album Destins Liés en 2016. Difficile de donner un verdict tranché sur cette attitude. D’un côté cette tendance à fortement s’inspirer a transformé Nekfeu, l’adepte des rimes multi-syllabiques (parfois sans queue ni tête, il faut bien le reconnaitre), amoureux des beats « boom bap » type 90’s, en un rappeur polyvalent et plus ouvert musicalement. Le fait que 2Zer Washington lui ait fait découvrir Chance The Rapper avec la mixtape Acid Rap serait d’ailleurs la pierre angulaire de ce virage.
À l’heure actuelle, difficile de trouver une prod’ qui ne lui siée pas, ce pourquoi il reçoit autant d’invitations en featuring (de Seth Gueko à Ninho en passant par Rim’K, Gradur, Dosseh ou la MZ). De plus, il est difficile de le taxer de plagiat tant ce dernier met un point d’honneur à rappeler d’où il puise son inspiration. Mais le revers de la médaille est lourd. Par souci de vouloir trop bien faire et démontrer une technique évidente, Nekfeu est souvent rattrapé par ses vieux démons : “J’répète ‘Mac Cain’ comme un perroquet / Mac Cain, Mac Cain, Mac Cain, Mac Cain / T’inquiète, ma caille, l’hôpital m’accueille / Jamais de repos pour le phénomène au mic’ / Ils veulent me maquer mais je mène ma quête.”
Si en art le talent est synonyme de capacités ou aptitudes innées, le terme ne semble pas approprié pour parler du rappeur. L’ensemble de ses capacités ne semblent pas naturelles mais acquises, d’où ses nombreuses inspirations. De plus Nekfeu tend à s’inspirer d’artistes étrangers au milieu du hip-hop (du moins d’un point de vue idéologique) tels que Jacques Brel. Ce dernier avait pour précepte de ne pas croire au talent, qu’il associait à une forte volonté de réussite. Le reste ? Le travail et la sueur comme le belge le disait si bien.
Le travail réalisé est effectif mais pour atteindre le statut d’icône qu’il occupe actuellement, ce n’est pas que sur le point de vue musical que le natif de La Trinité a dû jouer.
“Des filles nues sur ma couverture, oui, je suis un playboy »
Si une chose fut particulièrement marquante lors de la promo de son premier album solo, c’était bel et bien le traitement réservé à son image. Cet élément est crucial dans la réussite de Nekfeu. Chacun de ses visuels est travaillé au millimètre près, comme si le rappeur avait compris où capitaliser son énergie pour engendrer les chiffres de ventes hallucinants qu’il génère aujourd’hui. Choisir “Egérie” comme premier extrait officiel de Feu, s’entourer de Malika Ménard (ex-miss France) dans le clip de “On Verra”, se présenter dans chacune de ses apparitions télévisuelles (Planète rap, Le grand Journal…) habillé en tenu de gala… Son image de marque est savamment orchestrée. Le public féminin est alors clairement identifié comme le cœur de cible de sa musique. Le résultat semble alors concluant, entre les reviews de ses albums par des youtubeuses beauté et les fanfictions assez effrayantes de ses groupies les plus assumées.
Le rappeur peut se vanter d’avoir cristallisé en son personnage un engouement proche de celui d’un boys band des années 2000. Malheureusement pour lui, cet engouement intense est à double tranchant car Nekfeu semble quelque peu effrayé par la célébrité et tout ce que cela implique : “Toutes les petites fanatiques en chaleur m’exaspèrent” rappait-il sur la réedition de Feu dans le morceau “Deux-Trois”.
Au-delà de l’aspect marketing de son discours s’adressant aux femmes, ce n’est pas par devoir que Nekfeu s’y attelle, car il s’agit de quelque chose qu’il affectionne. Il s’en défendait déjà dans “UB” (sa réponse au clash de Guizmo qui le raillait déjà sur cette facette de sa musique). Cependant, quoi qu’on en pense, cet aspect de la musique de Nekfeu est l’un des moins critiquables. De « la lettre d’amour » musicale jusqu’au storytelling d’une jeune fille suicidaire, ses textes les mieux construits proviennent de ce type de morceaux, ainsi que ses flows les plus “originaux” comme sur “Risible Amour”, “Avant tu riais” ou même “J’aurais pas dû.”
Si les femmes sont une partie inhérente de son art, c’est parce qu’elles le sont pour sa personne. Son rap est le miroir qui reflète sa personne et dans lequel chacun peut s’y voir.
« Sur disque, on se livre ; sur scène, on se donne / Ça, c’est notre job, tu doutes, mon amour ? / Écoute mon album, j’y mets toute mon âme… »
Pour décrypter la musique du rappeur parisien, il est impératif de mettre en avant un troisième aspect de sa musique et pas des moindres : son rap est fédérateur et impersonnel. Aux premiers abords, il serait inconcevable d’acquiescer la phrase précédente tant le MC se livre à son auditeur sur ses deux premiers albums. Toutefois, ce qui est à retenir c’est la manière dont il apporte le propos. Il s’appuie sur des faits qui représentent sa propre vie mais utilise délibérément des éléments qui le rapprocheraient forcément de l’auditeur. Dans “Le bruit de mon âme”, Kaaris affirmait : “Il me semble qu’on a tous le même biopic, là où on se ressemble c’est qu’on est tous uniques.” Cette antithèse prend tout son sens dans l’œuvre de Nekfeu. Ce procédé est directement emprunté à la littérature, en effet il avouera se reconnaître en Martin Eden (roman de Jack London, œuvre semi-autobiographique de ce dernier). Sur Feu on retrouve également des thèmes universels tels que l’amitié, la poursuite de rêves ou la peur de l’avenir. Ces thématiques viennent tout droit d’œuvres littéraires comme L’Alchimiste de Coelho ou dans les Shonen de type Nekketsu (Naruto, Dragon Ball, One Piece pour les plus célèbres).
Le revers de la médaille est que ces thèmes faciles d’accès, touchant le grand le public, peuvent coller une étiquette « niaise » à certains de ses propos. De ce constat, les détracteurs du jeune rappeur reprochent à sa musique son propos bien souvent trop lisse. En effet, Nekfeu, un tantinet arrogant, désabusé et grand consommateur de drogues douces, s’est métamorphosé en gendre parfait, activiste des causes humanitaires et un brin moralisateur sur les abus de substances en tous genres. Paradoxalement, Nefkeu semble être à la fois extrêmement mature et quelque peu naïf pour un homme de son âge. Cette transformation ne semble en effet pas être complètement calculée. Ses combats ne s’arrêtent bien souvent pas à des textes de rap, la simplicité retrouvée dans des textes comme “On verra” s’entrevoit également en interview.
Finalement, ses textes semblent avant tout être le reflet de sa personne : un jeune homme simple, sans doute atteint du syndrome de Peter Pan (un énième point commun avec Chance The Rapper) et il s’agit là de l’une des facettes de son rap qui fait particulièrement écho chez ses auditeurs. Heureusement, ses textes semblent évoluer, le côté léger de Feu s’est mué vers un discours plus mature dans Cyborg, bien que l’album se clôture sur un morceau comme “Nekketsu” où le refrain rappelle un générique de Shonen et les paroles renvoient les valeurs avancées par ses “mangas pour adolescents”.
« Relève-toi autant de fois qu’il le faudra, / Et atteins les rêves que tu as devant les yeux. / Et si parfois tu as le cœur lourd, / Souviens-toi que / Tu n’es pas seul. »
Transparent pour certains, Nekfeu est lisse et sans saveur pour d’autres, au final, il paraît avant tout cruellement vrai et simple. Dans tous les cas, cet adjectif sied à merveille au rappeur. Cyborg a récemment fêté son anniversaire il y a quelques semaines, et Nekfeu s’est fait très rare musicalement en 2017. Il a annoncé il y a peu qu’il travaille actuellement sur plusieurs projets à venir, notamment sur son prochain album qui serait en préparation. Ce troisième opus sera sûrement un tournant dans sa carrière : Cyborg nous a confirmé que son succès n’était pas qu’un buzz, le prochain devra confirmer sa place dans l’histoire du rap français.
On peut alors espèrer le voir prendre plus de risques et sortir du rang, s’émanciper au possible de l’inspiration d’artistes tels que Drake ou Chance The Rapper pour créer sa propre patte comme il a su le faire sur “Destin liés” ou sur des morceaux comme “Égérie” et “Réalité augmentée”. Tout en profitant de la très large palette que peut lui proposer le très talentueux producteur Hugz Hefner, ainsi que pourquoi pas poursuivre la voie ouverte sur “Zone” (titre issu du dernier album d’Orelsan) en collaborant avec des artistes anglais de la scène grime qui ont un style proche du sien et qui pourraient lui être favorable tels que Skepta, Stormzy ou encore J Hus.
Après un prometteur Feu et un excellent Cyborg, Nekfeu semble désormais avoir trouvé sa patte et peaufiné un ADN musical riche. Son troisième album solo devrait en tout cas servir de confirmation à ce tournant artistique mûr et assumé, et devra prouver que le rappeur a pleinement digéré ses nouvelles influences. La suite de sa carrière pose encore quelques questions, mais elle est avant tout une perspective excitante tant le talent, l’éthique de travail et le perfectionnisme de Nekfeu pourraient lui permettre d’offrir au rap français un album majeur des années 2010.