Trois ans après Darkest Before Dawn: The Prelude et 5 ans après My Name is My Name, Pusha T a enfin dévoilé son nouvel album produit par Kanye West, longtemps intitulé King Push.
À quelques heures de sa sortie, deux surprises interviennent. Tout d’abord, Pusha T révèle que ce nouvel album s’appelle en fait Daytona, étant une référence à la Rolex Daytona, sa montre favorite et un symbole clair de l’opulence qui accompagne ce disque. L’autre surprise, beaucoup plus « choquante » cette fois, intervient lorsque la cover du projet est enfin dévoilée : une photographie prise en 2006 dans la salle de bain de la diva Whitney Houston, à l’époque détruite par ses multiples addictions, qui causeront son décès en février 2012. Rendue publique après la mort de la chanteuse, cette photographie (qui a personnellement couté $85 000 à Kanye) montre une salle de bain complètement ravagée, dans laquelle on peut notamment voir une pipe à crack ou encore une cuillère pleine de poudre blanche. Le ton de l’album est donné, à la fois par le matérialisme et la richesse qui découlent de la vente de drogue, de part son titre, mais aussi et surtout, via les ravages que ces mêmes drogues provoquent chez ses consommateurs. Et ça, la cover l’exprime brutalement pour quiconque ayant la référence. En utilisant un tel visuel, Pusha T assume un rôle obscène qui est de s’enrichir sur la vente de crack et de cocaïne qui font des ravages. Et pour ceux en doutant encore, l’écoute de l’album le confirme : il n’en éprouve pas le moindre remord.
Si le choix de Kanye West d’attribuer seulement 7 titres à ses albums du mois de juin a pu faire parler, notamment d’un point de vue historique où les albums font toujours au moins 10 titres, ce choix s’avère ici payant. Grâce à cela, Daytona n’est pas heurté par un surplus de morceaux, parfois présents pour satisfaire un label désireux de gonfler les résultats en streaming. Ce projet est condensé à l’extrême, ainsi des milliers d’heures de travail on été résumée en seulement 7 titres et de ce fait, tous les morceaux présents méritent de s’y attarder tant ils sont le summum de la cohésion artististique entre le rappeur et son producteur. Un choix d’autant plus cohérent pour Pusha que ses précédents albums furent toujours assez courts avec très peu de morceaux où il était en solo. Ses deux derniers projets se composent respectivement de seulement deux titres où le président de G.O.O.D. Music n’est pas accompagné d’un ou plusieurs featurings. Ici, on en retrouve quatre, pendant que les deux collaborations (Rick Ross et Kanye West) se fondent parfaitement dans le projet et apportent chacun un couplet efficace. Une durée de 21 minutes ayant aussi le mérite de conférer un sentiment d’urgence au disque, accentuer par les productions parfois anxiogènes de Kanye West, à l’image des couplets marquants de “Come Back Baby”.
Dès “If You Know You Know”, le premier morceau de l’album, Pusha T fait ce qu’il sait faire de mieux et cumule les métaphores sur la vente de drogues (jusque dans le titre du morceau) et sur le mode de vie qu’il a un temps connu, enchainant punchlines sur punchlines couplées à un flow impeccablement affuté. Bien qu’assez minimaliste, la production de Kanye fait monter la pression et permet à l’univers de Pusha de pleinement s’exprimer dès son intro. Le ton est donné, et il ne redescendra pas jusqu’à la fin du projet, rendant Daytona fluide et très facile à écouter du fait de sa construction épurée et de la maîtrise artistique des deux principaux protagonistes. “Le seul rappeur qui vendait plus de drogue que moi était Eazy-E“, “Un rappeur devenu vendeur ne peut pas être ce que l’on est, mais un vendeur devenu rappeur peut se transformer en Puff” Ainsi, les punchlines sans filtres s’enchainent, entre crasse et luxe et entre bien et mal. Évidemment, la fin de l’album prend un tournant inédit et difficile à éviter lorsque Pusha T s’en prend directement à Drake en lui reprochant de ne pas écrire ses textes, ce qui engendrera une réponse immédiate de ce dernier sur “Duppy Freestyle”, relançant sans doute un clash qui va faire grand bruit. Mais au fond, cette querelle née la décennie précédente n’est pas ce que les fans doivent retenir de Daytona, tant il a bien plus à offrir qu’un énième conflit dans le rap américain.
À 41 ans, le rappeur né dans le Bronx fait perdurer une formule entre street et luxe sans perdre en crédibilité et ce, malgré son changement de statut au fil des années. Le disque qu’est Daytona ne cherche ainsi pas à accaparer des tendances qui ne correspondent pas à son auteur mais simplement à pleinement en exprimer son style assez singulier aujourd’hui, tant le rap de consommateur semble avoir pris le pas commercialement sur celui de vendeur. Et même dans le cas où l’album ne sort pas des sentiers battus, jamais Pusha T ne semble accusé le poids de son âge, être à court d’idées ou de manière de capter l’attention de l’auditeur avec son phrasé. Évidemment, nombreux diront que cet album ne révolutionne rien, aussi bien dans ses thèmes, que son interprétation ou encore que ses productions, mais tout ce qui est fait dans cet album est pleinement maitrisé et aucun instant n’y semble superflu, inutile ou redondant. En 21 minutes, Pusha T et Kanye West prouvent à qui pouvait penser le contraire qu’ils sont toujours des forces en puissance de l’industrie, aussi bien au micro pour l’un qu’à la production pour l’autre. Créant ainsi à l’unisson un disque dont la pression et l’énergie ne faiblissent pas jusqu’aux dernières secondes, donnant parfois l’impression d’être un shot d’adrénaline auquel l’auditeur va vouloir goûter encore et encore.
Lorsque Def James, Nas ou encore Pusha T lui-même promettaient le meilleur album de l’année 2018 avec ce nouveau projet, ils ne mentaient pas. Et si Daytona n’est évidemment pas parfait, il est sans l’ombre d’un doute ce qui s’en rapproche le plus jusqu’ici cette année.