Sorti le 25 mai dernier, Testing est, de loin, l’album d’A$AP Rocky ayant eu le moins d’impact, aussi bien sur les fans que dans les charts. Et cela peut s’expliquer.
En 2013, avec son premier album Long. Live. A$AP, très bien reçu par le public et la critique, Rocky écoulait 139 000 exemplaires en première semaine et réussissait à convertir un buzz local en un succès international. Grâce à notamment plusieurs singles marquants, la durée de vie de l’album a largement été prolongée, faisant de lui un disque encore populaire aujourd’hui. Pour son second album, le plus mitigé At. Long. Last. ASAP, Rocky faisait légèrement mieux en scorant 146 000 ventes en première semaine. Toutefois, l’album a plus rapidement été oublié par le grand public du fait de sa construction beaucoup moins pensée pour le succès et plus pour l’expérimentation, influé par divers genres musicaux tels que le rock.
Avec Testing, l’étiquette expérimentale a cette fois été totalement assumée, jusque dans son titre. Là où certains ont crié au génie, d’autres n’y ont vu qu’une succession d’expérimentations ratées. La vérité se trouve certainement quelque part entre ces deux avis tranchés. Mais au-delà de sa qualité intrinsèque qui ne met pas vraiment d’accord, encore aujourd’hui, c’est bien son statut d’échec commercial qui ne peut pas être remis en cause, tant son impact dans les charts a été décevant. L’album s’est contenté d’atteindre 77 000 ventes, soit deux fois moins que son prédécesseur, et seulement la quatrième place du Billboard 200, là où Rocky avait précédemment goûté à la première la semaine de sortie de ses deux premiers albums.
Une promotion discrète
L’un des premiers facteurs expliquant le succès relatif de Testing est sa promotion. À ce niveau, Lord Pretty Flacko a fait le strict minimum puisqu’il n’a pas usé de sa notoriété pour promouvoir son disque dans les Late Show télévisés très populaires ou dans les plus grandes radios du pays. Celui qui avait déclaré ne pas vouloir refaire de morceaux calibrés pour les radios tels que “Fuckin’ Problems” semble s’être totalement détaché du circuit promotionnel mainstream. De ce fait, Testing ne s’est pas non plus offert de singles pensés pour pousser le projet dans les charts ou auprès du grand public. Le seul extrait dévoilé au préalable a été “A$AP Forever” et la version dans l’album n’était pas la même, puisque contenant un couplet de Kid Cudi et une intro de T.I. En clair, les quelques dizaines de millions de streams amassés par le morceau n’ont pas été comptabilisés dans les performances en streaming de l’album pour sa première semaine. Une perte dommageable.
Autre point intéressant à noter, le pari de dévoiler de nombreux titres pas conservés pour l’album, là où l’immense majorité des artistes s’assurent que ce type de morceaux, souvent moins bons, ne voient pas le jour. Rocky a fait le choix de diffuser des « cahiers de brouillon » et difficile d’imaginer dans quelle mesure cela lui a été profitable tant les divers titres n’ont eu que peu d’impact et n’ont pas franchement marqué ses fans. En clair, lors des mois précédents la sortie de son troisième album, il n’a pas gagné de nouveaux fans, mais pire que ça, il a sans douté déçu certains des siens via des morceaux dispensables, capables de diminuer l’attente autour d’un projet. Même si l’identité visuelle de Testing, aperçue dans diverses mégalopoles américaines, a été l’un des points forts de sa promotion, cela n’a clairement pas suffit pour avoir un véritable impact. Avec le recul que l’on a aujourd’hui, il semble possible que Flacko ait sous-estimé son besoin de promouvoir son disque au-delà de ses réseaux sociaux. Cela s’est en tout cas largement traduit dans les chiffres, malheureusement pour lui.
Un timing très malchanceux pour un disque clivant
Le même jour que Testing, c’est le très attendu Daytona de Pusha T qui voyait le jour. Et si sur le papier, Flacko avait toutes les cartes en main pour faire mieux commercialement que le président de G.O.O.D. Music, personne n’avait anticipé qu’il marquerait le début d’un clash retentissant contre Drake. Sur le dernier morceau de Daytona, Pusha se moque quelque peu du canadien en rappelant l’affaire Quentin Miller, ce qui entraina une contre attaque immédiate via “Duppy Freestyle”. En réponse à cela, tout le monde s’en souvient, Pusha T dévoila “The Story of Adidon” où il révéla l’existence du fils caché de Drake. Dès lors, le monde de la musique ne parlait plus que de cet affrontement entre Drake et Pusha T, avec en toile de fond le début du run de sorties signés Kanye West. À peine sorti, Testing semblait déjà faire partie d’une vieille actualité que la presse aura finalement amplement délaissée au profit d’un clash juteux et plus passionnant. Le timing pour A$AP Rocky est cruel.
Au-delà de son timing, si ce troisième album d’A$AP Rocky a connu de grandes difficultés dans son exposition après sa sortie, c’est qu’il n’avait vraisemblablement pas prévu de promotion une fois le 25 mai passé, si ce n’est la sortie du clip de “Praise The Lord”. Si la durée de vie d’un album peut-être rallongée par les critiques dithyrambiques qu’il peut recevoir à sa sortie, ou encore le buzz qu’il génère sur les réseaux sociaux, cela ne s’est produit dans aucun des deux cas pour Testing. Le second s’explique évidemment par le timing largement évoqué ci-dessus, mais le premier se justifie plus par la qualité intrinsèque de l’album qui a eu du mal à faire l’unanimité. Innovant pour les uns, très décevant pour les autres, Testing s’est avéré être très clivant et n’a pas réussi à être le succès critique qui aurait pu lui assurer sa promotion post-sortie.
Le symbole d’un rappeur de moins en moins dans le rap
Depuis quelques années maintenant, et encore plus depuis le décès d’A$AP Yams, Rocky semble de moins en moins acteur du « rap game ». Dans un laps de 3 ans, le leader du A$AP Mob n’a sorti aucun projet en solo et s’est montré très actif dans le monde de la mode, moins dans celui de la musique. Entre temps, le paysage musical a beaucoup changé, le public aussi. Des jeunes superstars, parfois issues de SoundCloud, se sont révélées et sont devenues les nouveaux idoles de la jeunesse, une jeunesse qui n’a pas forcément grandit avec la mixtape Live. Love. A$AP comme la génération l’ayant précédé. Dès lors, c’est avec un statut — déjà — de vétéran que le rappeur d’Harlem a dévoilé son troisième album.
Si en 2013, le public percevait A$AP Rocky comme l’un des visages du rap en devenir, en compagnie de Kendrick Lamar, J. Cole et Drake, cette impression s’est avérée factuelle pour les 3 derniers, excepté pour Rocky qui, par ses choix de carrière, sa musique, et ses difficultés artistiques contractées notamment après le décès de Yams, ne lui ont pas permis de franchir le cap le plus important de sa carrière. Finalement, Testing traduit sans doute ce qu’est A$AP Rocky aujourd’hui : une superstar d’un point de vue global, mais un artiste loin des têtes d’affiche, commercialement parlant, lorsque cela concerne strictement la musique. Son incroyable capacité à diversifier ses domaines d’influence lui aura permis de devenir un artiste unique en son genre, mais aura paradoxalement diminué son impact dans le rap américain.
Fort heureusement pour lui, à 29 ans, avec du talent plein les mains, une aura unique et le respect de plusieurs générations, A$AP Rocky a amplement l’opportunité de prouver à l’avenir qu’il est encore un nom incontournable dans la musique de son époque. Cela semble en tout cas vital s’il veut un jour devenir ce qu’il aurait dû être dans le monde du rap.