Elle est l'une des nouvelles voix de la musique française. Après deux EP et un single d'or pour "No Love" avec Dinos, Marie Plassard imprime déjà sa marque, à son rythme.
Blagueuse et enjouée, la Parisienne semble ravie de passer l'après-midi avec nous. À ses côtés, deux membres de SPKTAQLR — une écurie importante du rap français, comptant dans ses rangs Dinos, Lacrim et Dosseh — qui nourrit de grandes ambitions à son sujet. La complicité évidente entre Marie et son équipe confirme l'essence familiale de la structure fondée par Oumar Samaké.
Un léger accent du Sud transparait dans certaines de ses intonations. Une conséquence directe du nouveau quotidien de Marie, éloignée de la capitale pour se rapprocher de la Méditerranée. La mélancolie de Spleen a laissé place à la chaleur de Nacarat. La chanteuse prend des photos avec la maquilleuse et inspecte les différentes tenues qui lui sont proposées. Il est l'heure de shooter.
Elle avoue rapidement être timide, manquer de confiance en elle. On sent qu'elle ne peut pas s'empêcher de jeter des coups d'œils furtifs sur le moniteur affichant les retours photo. Marie Plassard a besoin d'être rassurée, encouragée. C'est ce qu'elle confiera au cours d'un entretien sincère, au cours duquel elle revient sur son ascension, mais aussi ses failles et ses envies.
C’est vrai que tu as fait ta scolarité en internat militaire ?
Depuis la 6ᵉ jusqu’à ma fin de 1ère. Je n'ai jamais été très assidue, par exemple la première fois que j’ai séché les cours, c'était en CE1. J’avais mis un faux mot dans mon carnet de liaison : "En raison de la grève, il n’y aura pas classe demain mardi." Là, mes parents se sont dits : "Wow, elle commence tôt." Ils voulaient me mettre un cadre.
Tu étais une enfant plutôt turbulente ?
Pas du tout ! En fait, je n’étais pas du tout ancrée dans mon quotidien. J’étais toujours ailleurs, jamais dans l’instant présent.
C’était l’école qui ne t’intéressait pas trop ?
Tout m’intéressait et tout m'ennuyait, en même temps. L’école m'intéressait quelques minutes, puis je pensais à ce que j’allais faire à la fin des cours. À la fin de la journée, j'avais souvent des cours de chant. J’adorais ça... Mais j’avais quand même hâte de rentrer chez moi. J’étais toujours dans l’instant d’après. Je suis toujours comme ça.
Ton grand-père était ténor et ta tante chanteuse lyrique. C'est ton environnement familial qui t'a initié à la musique ?
Pas vraiment. Ma tante est une super chanteuse d’opéra, mais c'était de l’opéra… Donc à 12-13 ans, je n'en avais pas grand-chose à faire (rires, ndlr). Même si j’adore ça maintenant, à l’époque je ne lui demandais pas : "Tu peux me chanter le meilleur opéra ?" À présent, je me rends compte que c’était une chance. J’ai fait du chant lyrique grâce à ça. C'est ça qui m’a donné les bases, ça te fait travailler ta voix d’une manière hyper sport.
" Je suis quelqu'un qui a toujours besoin d'être rassuré et encouragé. Je doute tout le temps. "
Tu écoutais quoi en grandissant ?
Principalement du rap, beaucoup de Booba, la Sexion d’Assaut, Mister You. J’écoutais aussi pas mal Rihanna, et Britney Spears, dont j'étais fan étant petite. Au lycée, je me suis plus intéressée au rock, notamment les Beatles. À la maison, c’était plutôt axé variété française avec du Francis Cabrel, Julien Clerc, William Sheller….
À quel moment tu te mets à chanter ?
Vers mes 12 ans, au collège. J’aimais bien chanter, donc ma mère m’a proposé de prendre des cours de chant. Je n'aimais pas tellement ça, c’était le conservatoire, il y avait des devoirs… Les gammes, tout ça, ce n'était pas tellement pour moi. J’avais envie de découvrir la musique par moi-même, à mon rythme, en testant des trucs. Je n'arrivais pas à suivre, j’étais encore trop dans l’instant d’après. Je m’y suis remise toute seule vers mes 15 ans. Je voyais la musique comme une échappatoire, pas comme un apprentissage scolaire.
Comment en arrives-tu à lancer des covers sur YouTube ?
Quand j'avais 16 ans, ma mère m’a acheté un piano pour que j'apprenne la musique par moi-même. J’allais sur YouTube, je tapais "How to play Coldplay" et j'apprenais toute seule. La toute première cover que j'ai postée, c’était "Feel Good" de Gorillaz. Il y avait pas mal de vues ! À l’époque, je trouvais ça incroyable, j’étais toute jeune. C'est vite devenu un rituel, où une fois par semaine, je postais des trucs. J’adorais ça parce que je décidais enfin de mon propre rythme.
À ce moment-là, tu te dis déjà que tu veux faire carrière dans la musique ?
De fil en aiguille, pas mal de gens m’ont contacté. Le tout premier, c'était un DJ que j’écoutais étant ado : Bakermat. Il était tombé sur ma cover de "Feel Good" et il voulait qu'on se rencontre sur Paris. On a bossé trois morceaux ensemble et l'un d'eux a fait 50 millions de streams. J'avais 17 ans, je vivais ma toute première expérience pro dans la musique et j’avais enregistré ma partie dans le set-up de ma chambre, avec un micro de merde.
C'est là qu'arrivent les premières sollicitations de la part des labels ?
J’ai été contactée par Universal. J’étais encore très jeune, les contrats sur le long-terme m’effrayaient un peu. C'est pendant cette période que je rencontre Oumar (Oumar Samaké, fondateur de SPKTAQLR). On a tout de suite un super bon feeling, parce qu’il a compris mes influences hip-hop. Il avait capté qui j’étais artistiquement, même si à 17 ans ce n'était pas aussi clair qu’aujourd'hui, à presque 26. J’étais encore trop jeune pour me lancer, j’ai préféré attendre. On a fini par signer quand j’avais 22 ans.
" Ce n'est pas nécessairement la souffrance qui amène à la création. "
Quand tu es contactée par une major à seulement 17 ans, on imagine qu'il faut garder la tête froide. Comment as-tu géré cette séquence ?
J’étais vraiment très heureuse, puis je me suis mise à flipper. À 17 ans, tu ne sais pas ce que tu vas raconter dans tes morceaux ! À part dire que je buvais un café en terrasse pour faire comme les grandes… Je ne savais pas de quoi parler. On me connaissait sur des covers, qu’est-ce que j’avais à dire sur moi en fait ?
Tu n’avais jamais écrit pour toi ?
Si, mais c’était vraiment pas ouf. Je parlais de ruptures, mais qu’est-ce que j’y connaissais ? Je voulais prendre mon temps. J'en ai profité pour travailler avec un artiste qui s’appelle Wax Tailor, quelqu’un que j’admire beaucoup. C'est un producteur français avec qui j’ai fait un an de tournée. C’était un bon moyen de me planquer. J’étais en featuring, j’étais la voix des concerts, mais ce n'était pas "mon" projet. J’étais sur scène, mais je n'avais pas le stress d'être à mon propre show. Après ça, j’ai retrouvé Oumar pour lancer mon projet perso. Il fallait assumer.
Quand tu rejoins l’écurie SPKTAQLR, comment passes-tu des covers et des textes que tu juges sans intérêt à l'écriture et la composition de morceaux ?
C’est vraiment une question de confiance en soi. Je suis quelqu’un qui a toujours besoin d’être rassuré et encouragé. Je doute tout le temps. Quand je fais écouter des maquettes que j’adore, je vais tout le temps me justifier en disant : "Mais non, tu vas voir ça va être cool, il faut écouter plusieurs fois." Je conditionne les gens à me dire que ce n'est pas bien, alors que ça l'est ! Je n'avais pas trop l’habitude du studio, c'est un milieu où tu as des artistes comme Dinos qui viennent, qui rentrent en cabine, qui posent leurs couplets et c'est fini.
Ta première session studio s'est passée comment du coup ?
Il y avait plein de monde, pas le top pour quelqu'un qui est hyper timide. Oumar avait voulu faire ça tellement bien qu'il avait ramené plein de mecs pour m’aider. J’étais la seule meuf, j’étais super jeune, j’ai cru que j’allais chialer. Finalement, ça s’est super bien passé. Le tout premier titre qu’on a sorti, c'était "Ivre", coécrit avec Dinos. Une fois que j’ai passé cette appréhension du studio, j'ai eu plus confiance en moi en tant qu'artiste.
Comment se passe le process créatif au sein de SPKTAQLR ? Oumar intervient à des moments-clés de l'enregistrement ou seulement à la fin ?
Il va intervenir sur les moments-clés. Les jours où il est en studio avec nous, c’est là où il donne son avis. Et son avis est toujours constructif. C’est ce qu’il s’est passé quand je bossais sur "No Love" avec Dinos. On avait fait un autre morceau juste avant, qu’on a jamais sorti. On était à fond dessus. "Écoute ce premier morceau, il est trop lourd" et il nous dit : "Il est cool mais un peu trop mélancolique. Par contre, 'No Love', c’est solaire."
Comment s'amorce la collaboration entre Dinos et toi ?
Je manquais d’assurance, je n'arrivais pas à écrire en studio. Oumar trouvait que la mélancolie de Dinos pouvait coller à la mienne. Pour lui, c’était l'artiste du label qui allait le plus pouvoir m’aider sur l’écriture et la confiance en soi. Il me l’a présenté, sans objectif de faire un featuring. "No Love" s’est fait quand on a compris que ça marchait bien de bosser ensemble.
"Je n'ai pas envie de faire croire aux gens que j'ai plein d'assurance, de montrer une fausse image de la fille super sûre d'elle."
Il t’a donné des conseils ? Et à l'inverse, tu lui as appris des trucs ?
J’aimerais bien lui apprendre à mieux jouer à FIFA (rires).
Vous vous attendiez à un tel succès pour ce morceau ?
On ne l'a pas pensé comme un tube qui devait péter. C'était enregistré en 20-30 minutes, ça a été hyper rapide. Quand tu fais un truc aussi spontanément, tu ne nourris pas forcément d’attentes. Bien sûr, tu y crois, mais tu ne t’imagines pas un single d’or.
C’est un artiste avec qui tu kifferais collaborer de nouveau ?
À fond. J’ai été vraiment choqué de voir à quel point c’est un tueur en studio, je n'ai jamais vu ça. Le voir écrire, c’est un truc de malade. Il te fait des textes magnifiques en quelques minutes. Puis, il arrive, il pose son truc. Il travaille aussi énormément, mais quand même, il y a une grosse part de génie là-dedans.
Deux mois après, tu sors ton premier EP Spleen. Comment tu vis ce moment ?
J’étais partagée entre le problème de la pandémie mondiale et la sortie de mon tout premier projet. Il y a une forme de tétanie, mais aussi beaucoup de fierté et de bonheur. Il y avait eu "No Love" juste avant, la dynamique était très bonne. J’avais surtout l’impression de sortir un projet vraiment intime, inspirée par des prod’, des paysages… C'était plaisant de se dire qu'une histoire allait se construire. Dans Spleen, il y a de la narration, mais aussi des choses très personnelles. Et je ne dirais pas lesquelles (rires).
"Depuis mes 16 ans, je lis ce que les gens pensent de ma musique et de moi, donc je suis rodée."
Tu dirais que c'est thérapeutique pour toi d’écrire et de composer ?
Il y a un côté thérapeutique. Mais je ne suis pas là en train de souffrir, et d'un coup, je guéris en écrivant. C’est aussi un moyen de s’amuser, ça n’implique pas forcément une douleur à la base. C’est un plaisir d’écouter une musique, d'avoir des images qui te viennent. Ce n’est pas nécessairement la souffrance qui amène à la création. Je trouve que c’est bien de le dire.
Après Spleen, tu pensais déjà à Nacarat ?
J’avais envie de sortir de cette mélancolie. Je ne voulais pas refaire un EP dans le même registre, sinon les gens allaient se dire : "Wow, Marie Plassard ça va vraiment pas." Ça a été plus difficile, parce que je sortais de ma zone de confort pour faire de la musique plus solaire. C’était une autre manière de travailler, une autre approche.
Comment as-tu modifié ton approche justement ?
Par exemple sur Spleen, je chantais sur des prod’ qu’on travaillait longtemps avec Ken&Ryu, les beatmakers de SPKTAQLR. Ils essayaient toujours de faire une instru imagée, qu’on pouvait écouter sans voix par-dessus. Sur Nacarat, je voulais plus de spontanéité et d’expérimentation. Les sons étaient tellement différents que même en arrivant au studio, tu n'étais pas dans le même mood. C’était plus pétillant.
Ta voix s'adapte également très bien à ces différents registres. En tant qu'instrument de travail, tu es obligée d'y faire très attention ?
Totalement. J'ai arrêté de fumer depuis quelques semaines par exemple. Je vois la différence entre mes 12-13 ans au chant lyrique et après avoir fumé pendant 10 ans. C’est pour ça que je dis stop, parce que c’est mon instrument principal. Mais je ne suis pas une très bonne élève là-dessus.
On connaît ta voix et ta musique, mais beaucoup moins ta personnalité. Quelle image as-tu envie de renvoyer au public ?
Je suis assez timide, donc je n'ai pas envie d’endosser un rôle. Je veux rester naturelle, même si on est dans un métier où il faut savoir se démarquer. Je n'ai pas envie de faire croire aux gens que j'ai de l'assurance, de montrer que je suis une meuf super sûre de moi. Quand les gens me voient en vrai, ils capteraient vite que je rougis tout le temps, que cette image n'aurait rien à voir avec qui je suis. Je vais souvent avoir tendance à cacher ma gêne derrière l'humour.
En tant que chanteuse, es-tu régulièrement confrontée aux dérives récurrentes des réseaux sociaux ?
Je n'ai même pas envie de calculer ça, parce que c'est énervant. Même si ça peut partir d’un bon sentiment, il y a un côté humiliant dans le discours : "Tu es une belle femme, tu es une jolie chanteuse." Je vois parfois des trucs sur Twitter, je ne réagis pas, mais je n'en pense pas moins : c’est honteux. Tu ne peux pas dire des trucs comme ça, sur quiconque. Je ne suis pas la seule dans ce cas, toutes les meufs de l’industrie doivent penser la même chose.
Tu es du genre à lire ce qu’il se dit sur toi sur les réseaux ?
Je suis curieuse, donc j’aime bien regarder. Franchement, 97% des tweets sont super positifs, je me régale. Parfois, c'est négatif et ça reste marrant. Je vais rigoler et reconnaître que la vanne est pas mal. Tous les messages insultants, je ne les calcule pas, ça ne m’atteint pas. Depuis mes 16 ans, je lis ce que les gens pensent de ma musique et de moi, donc je suis rodée.
STYLISME
Tenue 1
Veste : adidas Originals
Tenue 2
Manteau : APPARIS
CRÉDITS
Photos : Félix Devaux
Direction Artistique : Selim Moundy
MUA : Hannah Nathalie
Interview : Julien Perocheau
Production : Julien Bihan