Troisième épisode de notre série Made in Switzerland
Vous connaissez le nom du Président de la Confédération suisse? Peut-être devriez-vous vous en vanter, car si le pourcentage de bonnes réponses à l’étranger avoisine le néant, à peine la moitié de la population suisse serait en mesure de vous le cracher sans avoir recours à Google.
On ne pas faire durer suspense trop longtemps, elle se nomme Doris Leuthard. Membre du parti démocrate chrétien (centre-droit), elle occupe ce poste depuis le 1er janvier 2017. Encore une femme, oui, parce que si vous n’êtes pas restés bloqués en 1980 vous aurez pu observer que ce ne sont pas forcément elles qui font le plus de dégâts. Et si vous n’êtes toujours pas rassurés, ne vous en faites pas ! Elle ne dispose pas vraiment d’avantages par rapport à ses 6 collègues du Conseil fédéral et sera de surcroit automatiquement remplacée le 1er janvier prochain. C’est pas beau, ça ?
Loin de nous l’idée de vouloir pousser Mme Leuthard vers la sortie, c’est simplement que le principe de tournus est plaisant. Déjà car comme l’a dit l’humoriste Thomas Wiesel « cela ne lui permettra pas de faire ni trop de conneries, ni trop de choses bien », mais surtout parce que ce principe permet aux conseillers fédéraux de se concentrer sur leurs tâches plutôt que sur d’interminables élections présidentielles. Au Palais fédéral, à Berne, (non, la capitale n’est pas Zürich, encore moins Genève) les règles sont simples : l’Assemblée fédérale, composée de députés choisis par le peuple, élit chaque année un Président et son vice-président, censé lui succéder douze mois plus tard.
Un titre plus honorifique que pratique, dans la mesure où ce dernier est ce que l’on appelle « primus inter pares », soit « premier parmi ses pairs ». Il ne dispose donc d’aucun avantage sur ses 6 acolytes, excepté la voix en or qu’il pourra utiliser pour départager ses collègues lorsque ceux-ci ne parviendront pas à tomber d’accord. Peut-on dès lors parler d’avant-gardisme ? Absolument pas, puisque ce système de rotation et de division du pouvoir exécutif est en place depuis le milieu du 19ème siècle, lorsque dans un même temps en France Napoléon III s’emparait à lui seul des pouvoirs législatifs et l’exécutifs.
Un modèle en opposition à la Vème République
Meilleure démocratie du monde ? Certains la désignent comme telle. Le peuple est souverain dans les décisions politiques helvétiques et, en plus de désigner les députés aux niveaux communal et cantonal,-il est appelé aux urnes 3 à 4 fois par an afin de s’exprimer sur diverses reformes et autres changements de loi. Cerise sur le gâteau, l’initiative populaire, permettant à n’importe quel citoyen de proposer un texte visant à modifier la Constitution, qui sera soumis à un vote populaire si 100’000 signatures venaient à être récoltées. Souvent utilisée sans aboutissement, elle symbolise toutefois la confiance donnée aux suisses par leurs institutions.
Vous en avez assez lu ? Vous vous dites qu’en France un système de tournus permettrait d’en finir avec ces présidentielles à rallonge, monopolisant les chaînes de télé des heures durant pour offrir aux spectateurs des combats d’égocentrisme, dont l’intérêt publique est objectivement faible, parfois même inexistant ? C’est compréhensible. Ce qui l’est moins pour les suisses, c’est l’engouement généré par les primaires, qu’elles soient de droite ou de gauche. Alors que le président suisse est chaque année élu dans le plus grand des silences, les suisses sont des spectateurs (discrets) des premiers tours en France qui voient s’affronter des candidats aux idéologies relativement proches.
Et comme par magie, cette petite guerre de « moi je mieux que toi » laissera place à une douce hypocrisie lorsqu’il s’agira de ne surtout pas laisser l’autre aile s’emparer du pouvoir. Si cela peut sembler banal à droite, on a vite l’impression depuis la Suisse qu’il y a dans ces pratiques une forme de paradoxe à gauche, où solidarité est souvent le mot d’ordre apparent…
Des incompréhensions donc côté suisse, malgré un système encore loin d’être parfait. Des inégalités toujours croissantes, une extrême-droite qui ne cesse d’accueillir des nouveaux membres (rarement signe de grande prospérité) et un système social très limité à certains niveaux. Enfin, il y a l’éthique. Comment faire la morale aux autres pays alors que l’on est l’un des plus importants paradis fiscaux de la planète ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais, c’est peut-être ça le secret (bancaire) de la Suisse…