Après une année décisive pour son label, Heron Preston compte continuer sur sa lancée avec une collection SS18 aussi excentrique que réussie. L’occassion pour nous de revenir sur ce créateur relativement discret.
Heron Johnson, né en 1983 sur la west coast américaine, est un designer basé à New-York. Dès le lycée, il lance sa première marque de vêtements sobrement nommée Heron Preston, son deuxième nom qui le suivra dès lors. Il suit d’abord des cours à la célèbre université de Parsons, spécialisée dans le design et notamment la mode. Il commence d’abord en tant que contrefacteur et crée la sensation en 2011, en reproduisant le célèbre tee-shirt Givenchy “Pitbull” dans un coloris blanc, auquel il ajoute sa signature sur l’intérieur du col. À l’image d’un Dapper Dan moderne, il continue en détournant notamment des logos de nascars sur certaines pièces, le tout étant alors distribué à ses amis ou vendu sur Instagram.
Puis avec l’aide de Matthews Williams et de Virgil Abloh, il fonde en 2012 la marque de streetwear BEEN TRILL. Cette marque née sur Tumblr regroupait un collectif de DJs et une réunion d’artistes, qui voulaient retranscrire la culture jeune de l’époque. Fortement influencée par les mouvements sur internet, entre le deep web et le début des réseaux sociaux, la marque se démarque notamment par son placement des logos et des imprimés. BEEN TRILL, connait une hype phénoménale, notamment après une certaine collaboration avec Hood By Air, portée entre autres par Kanye West. Finalement, le projet s’éteint petit à petit. La tendance a évolué et les prix sont considérés comme trop onéreux. Une page se tourne, mais les membres du collectif n’en resteront pas là.
Le trio de créateurs délaisse alors un peu le collectif, pour se consacrer à leurs projets personnels, tout en restant très étroitement liés, notamment entre Heron et Virgil. L’âme de faussaire de Preston n’a pas disparu, ce travail de remise en contexte, de détournement et de réappropriation des logos, a toujours su le démarquer. Selon lui, ces « contrefaçons » ne sont pas des lignes de vêtements, mais des œuvres d’art qu’il aime créer et exposer.
Le jeune Preston ne désirait pas être créateur, mais simplement artiste dira-t-il également. Il réitère, en 2015, ce genre de travail avec le mock-up d’une Air Force One sur laquelle on retrouve le célèbre logo Bapesta, lui-même affublé de l’incontournable pattern de chez Gucci. Un triple détournement qu’il vendra en quantités extrêmement limitées, qui lui vaudra une certaine admiration de la part de la scène streetwear. Il travaillera également avec Kanye West autour des saisons Yeezys 1 et 3.
En 2016, le créateur décide de travailler pour lui-même et de faire parler son univers et ses convictions. C’est après avoir vu un sac plastique flottant alors qu’il se baignait dans la méditerranée que le New-Yorkais a une révélation. Il veut promouvoir le développement durable et l’écologie, cette idée l’inspirant profondément. À son retour à New-York, il décide d’utiliser le streetwear et d’enfin lui donner un sens pour faire passer ce message. Il met donc en place une collaboration avec le département sanitaire de New York (DSNY), de laquelle en découle une collection événement.
Tout en réutilisant des matériaux dans une logique de recyclage, le créateur reprend les codes vestimentaires ouvriers et rend ainsi hommage à ces hommes et femmes de l’ombre. Il brode des éléments de texte sur des chemises de travail, crée des sacs aux couleurs des gilets fluorescents des ouvriers, et sérigraphie les manches des sweats des logos et noms du département. En somme, il met en exergue le développement durable en réunifiant streetwear et workwear, une première dans une culture urbaine peu sensible à ce genre de question.
Heron Preston est aussi une marque aux confins de la haute couture et du streetwear, matériaux de haute qualité et prix dans une gamme haute en attestent. Mais les inspirations du créateur viennent assurément de la rue et du vaste milieu urbain l’entourant. Ces collections plus classiques sont là pour le prouver. À l’image d’un Gosha Rubchinskiy, il utilisait avant l’explosion du designer russe l’écriture cyrillique dans de nombreuses pièces. Le mot « style » dans la langue russe se voit alors apposé sur des casquettes, des cols roulés, des coupes vents, des hoodies ou autres t-shirts.
Le designer joue également avec les imprimés, que ce soit pour sa collection FW17 ou SS18, celui-ci s’amuse, comme à son habitude, à détourner des classiques en reprenant cette fois des tableaux d’oiseaux auxquels il ajoute un encart avec son prénom. Comme un peintre d’ailleurs, celui-ci signe toutes ses créations d’une pièce rectangle orange, qui semble être l’une de ses couleurs maitresses, comprenant son nom et d’autres informations. Ses pièces restent souvent simples, son style est lui plus complexe, les associations de motifs et de couleurs ainsi que le jeu sur les couches de vêtements, prouvent cette recherche permanente de l’évolution de la mode, qu’elle soit féminine ou masculine.
En somme, Heron Preston est un créateur atypique de la scène streetwear moderne, entre faussaire et inventaire, entre populaire et à la fois élitiste, celui-ci offre sa vision du monde et son propre reflet à travers ses diverses créations. À l’instar de son ami de longue date Virgil Abloh, Heron casse la barrière entre haute couture et streetwear, mais brouille également la ligne entre authentique et contrefaçon. Peu pressé, Heron Preston ne compte que deux collections complètes à son actif. Nettement plus discret que son acolyte et incontournable créateur de Off-White, le new-yorkais ne manquera pas d’imposer ses créations dans les mois à venir, peut-être par le biais d’une seconde collaboration.