Mahalia est une chanteuse de 19 ans originaire de Leicester, Angleterre. Nous l’avons rencontrée à Paris à l’occasion de son premier concert dans la capitale. L’occasion de découvrir une artiste qui n’en est qu’aux prémices d’une carrière qui s’annonce brillante.
Tu as commencé à chanter et écrire très jeune, que peux-tu nous dire à propos de cette période ?
J’ai commencé à écrire quand j’avais environ 12 ans. Enfin, j’ai écrit mon premier morceau à 8 ans, mais il n’était pas très bon (Rires)… Donc j’ai commencé à écrire sérieusement autour de mes 12 ans. J’ai commencé à jouer de la guitare et c’est un peu comme ça que ça a débuté, j’écrivais des morceaux à propos d’un garçon, à l’école, que j’adorais vraiment. Et ensuite, ça s’est étendu à d’autres thèmes.
Donc c’est grâce à un garçon que tu as commencé à écrire ?
Oui, complètement ! J’aimais vraiment beaucoup la poésie quand j’étais plus jeune, et ensuite ce garçon est arrivé… Et je l’aimais tellement que je ne savais pas comment me sortir de cette affection un peu folle, donc j’ai commencé à écrire naturellement.
Ta musique parle beaucoup du fait que tu grandisses et des différentes phases de ta vie, puisque tu as signé en major à seulement 13 ans. Comment as-tu vécu cette signature si jeune ?
Je pense que quand tu signes jeune, tu ne comprends pas vraiment ce que ça signifie. J’étais un peu naïve à l’époque et je ne comprenais pas forcément ce que ça impliquait, ce dans quoi je m’engageais. Mais malgré ça, maintenant que je suis plus âgée, je suis assez reconnaissante d’avoir pu signer si jeune car maintenant, j’ai 19 ans, donc six de plus que quand j’ai signé et j’ai l’impression que je comprends beaucoup de choses à propos de l’industrie musicale et de la façon dont fonctionnent les choses. Et c’est tout simplement parce que j’ai pu être signée si jeune. J’ai pu expérimenter beaucoup plus de choses que d’autres artistes qui émergent actuellement… Donc j’ai eu de la chance, je dirais.
Malgré le fait que tu aies été signée si jeune, tu as choisi de terminer ta scolarité…
Oui, car je pense que l’éducation est très importante et j’ai toujours trouvé que j’avais de la chance de pouvoir aller à l’école, et de la chance d’être une fille et de pouvoir aller à l’école. Il y a tellement d’endroits dans lesquels les jeunes filles ne peuvent pas être éduquées que c’était très important pour moi de finir ma scolarité. J’ai eu mon brevet puis mon bac et quand j’ai eu 18 ans, j’ai arrêté. Mais je voulais avoir certaines bases, quand même. Je voulais avoir d’autres choses que la musique sur lesquelles me focaliser.
Tu as dis par le passé que c’était très bizarre pour toi d’être l’une des trois seules filles noires de ton école ?
Oui ! J’ai grandi à Leicester, qui est une ville formidable avec énormément de diversité et de cultures différentes. Mais le quartier dans lequel j’habitais n’étais pas vraiment à l’image de la ville, enfin il l’était un peu puisqu’il y avait une importante communauté asiatique, mais il n’y avait vraiment pas de communauté noire. Donc en grandissant avec un parent noir et un parent blanc, j’étais toujours un petit peu différente et j’avais une énorme coiffure afro… Pendant une période, je me suis donc sentie un peu bizarre quant au reste des personnes que je fréquentais.
Comment cela a-t-il impacté tes premiers textes ?
Je pense qu’au début j’étais surtout perturbée car je ne savais pas vraiment dans quelle direction je voulais aller, je jouais de la musique, j’écrivais des morceaux… J’étais un peu perdue, en grandissant, entre l’écriture de textes vraiment très littéraires et la pratique de la guitare, puis j’ai découvert plusieurs genres de musique, j’ai déménagé à Birmingham à 14 ans, puis à Londres, donc petit à petit je me suis ouverte et je pense que c’est en grande partie grâce à ça que j’en suis là aujourd’hui.
De quoi as-tu envie de parler maintenant ?
Je veux continuer de parler de tout ce qui se passe dans ma vie. La difficulté, c’est que quand tu écris des morceaux, tu dois savoir être personnelle tout en restant très universelle afin de parler à tout le monde. J’essaie donc d’écrire de mon point de vue afin que des personnes comme toi ou comme n’importe qui sur Internet puisse être touché par ma musique et la comprendre. J’écrirai toujours sur l’amour, je suis ce que l’on pourrait appeler une romantique éperdue, mais j’aime à croire que j’ai une voix plus politique également. Quand j’écris, c’est que je sais à propos de quoi j’ai envie d’écrire.
Justement, quels sujets sont importants lorsque l’on a seulement 19 ans mais une voix qui est entendue par des millions de personnes ?
Il y en a énormément. Et ce qui est drôle c’est qu’en grandissant, j’ai envie de parler d’énormément de sujets mais je ne sais pas encore forcément comment en parler, tout ça justement à cause de mon âge, car je n’ai pas l’impression d’avoir la maturité nécessaire. Mais il y a de très nombreux problèmes à propos desquels j’aimerais parler. Par le passé, j’ai parlé de sujets sur lesquels je pouvais parler comme les moqueries, le harcèlement à l’école, la pression de l’industrie musicale à mon âge. C’est différent pour moi ce genre de sujets, j’ai un morceau que je n’ai jamais sorti dans lequel je parle du fait d’être une enfant, à l’école, de ne jamais avoir le droit de parler de politique, et donc que l’on ne sait jamais comment voter, tout ce genre de questions. Il y a énormément de sujets dont j’aimerais parler mais je ne devrais peut être pas le dire parce que je ne veux pas avoir de problèmes (Rires) ! Mais je veux juste être une voix féminine puissante et honnête, c’est très important, particulièrement maintenant puisque de plus en plus de femmes ont une visibilité énorme, donc j’en suis heureuse.
Tu as déjà joué en live avec de grands noms comme Ed Sheeran ou Emeli Sandé, qu’est-ce que tu as appris d’eux ?
Emeli était probablement l’artiste la plus gentille avec laquelle j’ai pu faire une tournée. À chaque concert, elle venait dans ma loge pour discuter et me détendre. À l’époque, j’avais 14 ans, j’étais encore relativement jeune et nerveuse, donc la façon dont je peux aujourd’hui être à l’aise avec les personnes de mon entourage et les personnes qui viennent à mes concerts, je pense que c’est en grande partie grâce à elle et à la nature généreuse qu’elle a pu me transmettre lorsque l’on a fait des concerts ensemble. Pour ce qui est de Ed, il m’a surtout dit de toujours m’écouter, et il l’a seulement dit une seule fois : “Écoute toi toujours, c’est toi qui est aux commandes.” C’est ce que j’ai essayé de faire.
Tu as 3 shows en France en moins d’un mois, qu’est-ce que c’est pour toi que la vie en tournée ?
C’est complètement dingue et addictif. Mais j’adore ça, j’adore le fait d’être chaque jour dans une ville différente, particulièrement en Europe car j’ai l’impression que c’est différent du Royaume-Uni. J’ai l’impression que le public ici est différent et que vous écoutez vraiment la musique (Rires). Pour moi c’est juste que j’aime le fait que ma musique voyage et c’est tout ce que j’ai toujours souhaité donc j’en suis très heureuse, je ne peux vraiment pas me plaindre.
Tu as véritablement explosé aux yeux du grand public l’an dernier avec ton passage chez Colors, comment est-ce que ça s’est passé pour toi ?
J’ai toujours adoré les Colors et j’ai toujours pensé que c’était vraiment cool. Juste avant de faire le mien, j’ai vu IAMDDB y faire une performance géniale, et j’étais vraiment impressionnée et super motivée pour aller en faire un. Donc je l’ai mentionné à mon manager ou à mon label et ils ont fait le nécessaire pour que je puisse avoir mon Colors. Je m’en souviens parce que c’était assez incroyable, j’ai pris un vol pour Berlin, j’ai enregistré mon passage, c’était très rapide, puis j’ai quitté Berlin et je n’y ai pas vraiment pensé plus que ça ensuite, pour moi ce n’était qu’une session de plus même si j’étais vraiment heureuse du résultat. Et ensuite… Il a explosé. Et je ne m’attendais pas à ce qu’il ait un si grand succès. À l’heure qu’il est je me rend compte que c’est vraiment exceptionnel et j’en profite au maximum.
Quels retours as-tu eu sur cette performance ?
C’est très bizarre, car si l’on regarde par exemple mes réseaux sociaux, j’ai eu environ 6000 ou 7000 followers en 4 ans… J’avais une croissance lente et pas forcément très importante — et ça m’allait très bien. Puis quand le Colors a explosé en ligne… Mon Twitter est passé à 30 000 abonnés et mon Instagram à plus de 60 000. Ça fait énormément de nouvelles personnes, vraiment énormément… Mais ça montre à quel point Internet est incroyable et c’est quelque chose que je n’avais pas encore réalisé jusque là. C’est vraiment fantastique et j’ai littéralement des centaines de nouvelles personnes qui me suivent chaque jour, c’est un sentiment incroyable que de savoir qu’autant de nouvelles personnes sont intéressées par ma musique.
On t’a vu collaborer avec Little Simz, poster une photo avec Russ, travailler avec Nineteen85 du groupe dvsn, est-ce que tu souhaites apporter une touche plus hip-hop à ta musique ?
J’aime le hip-hop et je l’ai toujours aimé. Tous mes frères écoutent du hip-hop depuis très longtemps et quand j’étais jeune, mon frère aîné écoutait énormément de hip-hop à la maison. J’ai toujours eu un pied dans le hip-hop même si je n’en écoutais pas autant qu’aujourd’hui. Mon frère écoutait des trucs que je n’aurais vraiment pas du écouter quand j’avais 9 ans, il jouait tout le temps Lupe Fiasco, Taleb Kweli, vraiment beaucoup de Taleb Kweli, et Dr Dre… Enfin, beaucoup de choses qui étaient beaucoup, beaucoup trop explicites pour mon âge (Rires). Mais j’adorais ça ! Et par exemple pour le morceau “Proud of Me”, je voulais une voix féminine, je pensais par exemple à No Name. Mais ensuite je me suis dis que ce serait vraiment génial d’avoir une voix féminine, jeune et anglaise donc Little Simz était le “fit” parfait. Et elle tellement forte, humble et adorable que j’étais très heureuse de l’avoir sur ce morceau. Et des personnes comme Russ, c’était drôle de le rencontrer car il a toujours montré beaucoup d’amour et de soutien à ma musique, et je trouve que sa musique est excellente. C’est un monde inconnu pour moi, je suis encore en train d’apprendre à le connaître et j’adore ça. J’adore que dans le hip-hop, même si c’est aujourd’hui un style énormément représenté, il y ait toujours ce côté underground, on a l’impression que c’est un style qui nous appartient encore, j’adore ça.
De nombreuses voix féminines sont en train de rencontrer un succès fou dans l’industrie musicale, qu’est-ce que tu en penses ?
Je trouve ça génial. J’ai l’impression qu’on est maintenant “UNE” voix et je suis très heureuse d’en faire partie. Le directeur des Grammy’s disait récemment qu’il fallait que les femmes prennent le devant de la scène. Quand j’ai entendu ça, ça m’a fait rire pour une raison très simple : c’est plutôt les hommes qui doivent laisser de la place sur le devant de la scène car nous sommes déjà là ! Nous sommes toutes là et nous avons déjà du succès. Ça m’énerve vraiment car je pense qu’il y a des personnes comme SZA, No Name, Little Simz, Jorja Smith, Mabel, ou même moi (Rires)… Tu vois, si je peux en citer plus de cinq, ça veut dire que l’on est en train d’arriver sur le devant de la scène, alors que quand j’étais enfant on pouvait compter les artistes féminines sur les doigts de la main et ce n’était que des artistes énormes comme Beyoncé ou Rihanna. Mais aujourd’hui il y a énormément d’artistes féminines qui arrivent. Rien qu’en Angleterre il y a énormément de jeunes chanteuses talentueuses, il s’agit juste de trouver la bonne plateforme pour s’exprimer et j’ai eu le chance d’avoir déjà trouvé la mienne.
Comment décrirais-tu ton style et ton approche de la musique ?
Hm… Je pense que je la décrirais comme “casual”. Je crois que je suis assez intuitive, j’essaie de ne pas me mettre la pression à ce propos et que ça me permet d’écrire mieux et plus simplement. Je pense que mon approche principale et d’être toujours honnête et d’essayer de dire le plus de choses possibles.
Quels projets aurais-tu mené si tu étais devenu scientifique comme tu en rêvais plus jeune ?
(Rires) J’adore le fait que tout le monde soit au courant de cette anecdote ! C’est très drôle, je pense que je serais devenue une sorte de Walter White dans Breaking Bad, j’aurais fait de la crystal meth chez moi — non, je plaisante (Rires). Je ne sais même pas pourquoi j’aurais été scientifique, je pense que c’est juste parce que j’étais tellement bonne en science à l’école que je me suis totalement imaginé dans un labo avec une veste blanche. Peut être pour faire quelque chose avec les animaux. Est-ce que ça serait être une scientifique ? Pas vraiment n’est-ce pas ? (Rires). Je ne sais pas vraiment, j’étais très forte en chimie, je suis sûre que j’aurais fait une super scientifique et je suis sûre que j’aurais été super jolie dans une veste de labo (Rires).
Quelle est la suite pour toi ?
De nombreux concerts ! Je commence tout juste ma tournée européenne avant de me remettre à l’écriture. J’ai très hâte de retourner en studio, ça me manque énormément. Après ça, on retournera en tournée et ensuite ce serait super de faire une autre tournée au Royaume-Uni. Être sur scène c’est vraiment ce que je préfère, avec mon “gang” — je déteste le mot “fan”, je préfère dire mon “gang”, juste eux et moi dans une salle, l’ensemble en somme. Ce n’est pas juste “eux” et “moi”, c’est “nous” et c’est une différence vraiment importante pour moi. C’est mon sentiment le plus précieux, c’est pour ça que je fais de la musique. Et ensuite, j’espère pouvoir sortir un nouvel album.
Qu’espères-tu pour ton futur et le futur de ta carrière ?
Je souhaite beaucoup de choses. J’espère continuer de monter, pas forcément de manière commerciale mais juste grandir en temps qu’artiste, développer mes talents à la guitare et au piano, améliorer mon écriture… Mais aussi essayer de faire en sorte que de plus en plus de personnes écoutent ma musique, grandir avec eux. Si je peux être de plus en plus populaire tout en restant aussi heureuse que je le suis aujourd’hui, alors je suis gagnante. Je suis même plus que gagnante.
Photos : Ashley Dapleu / Texte : Léo Devaux