Mis à l’honneur dans une passionnante cover story signée Business of Fashion, Virgil Abloh s’est livré sur de nombreux sujets, de sa vision de la mode à son admiration pour Ricardo Tisci et ses débuts chez Louis Vuitton.
“Je suis d’accord pour dire que je ne suis pas un designer, ce terme semble plus adapté pour les traditionalistes. Reste à trouver un nouveau terme.” C’est par ces mots plein d’humilité que Virgil Abloh débute son entretien avec Business of Fashion. Nommé à la tête de la division Homme de Louis Vuitton il y a quelques mois, Virgil Abloh a connu un parcours mouvementé avant d’atteindre le sommet. En refusant d’avoir une approche classique de la mode et de la haute-couture, le natif de Chicago avoue s’être inspiré du hip-hop pour instaurer le processus créatif qui a fait son succès : “C’est du hip-hop, c’est du sampling. Vous prenez un album et vous créez un nouveau format de musique avec ces contiguïtés. Nous n’existons pas sans les artistes et les penseurs qui étaient là avant nous : Mies van der Rohe, Rem Koolhaas, Kanye West, Pharell Williams, Le Caravage. Ils nous ont donné un sol. C’est dangereux de commencer à se considérer comme un oracle.”
Il poursuit l’explication de sa pensée créative en revenant sur l’influence qu’a eu Marcel Duchamp sur son travail. Inventeur du ready-made en 1913, une démarche ayant pour but de transformer un objet manufacturé en oeuvre d’art par la seule intervention de l’artiste, Duchamp est le maître à penser d’Abloh et de sa “3 percent approach.” Cette dernière veut qu’en modifiant 3% d’un objet, ce dernier devient à la fois familier et totalement novateur pour quiconque le regarde. “Duchamp est mon préféré” déclare Abloh, avant de conclure son hommage par ces mots : “Duchamp est mon avocat.” Le plasticien français, considéré par beaucoup comme l’artiste le plus important du XXème siècle, se tient aux côtés de Ricardo Tisci au sein du panthéon des influences de Virgil Abloh. Le nouveau directeur artistique de Burberry, très proche de Virgil Abloh, a fortement impacté les créations du fondateur d’Off-White : “C’était la première fois que la haute-couture me parlait” se souvient Abloh. “C’était du hip-hop, les silhouettes, l’identité visuelle, l’esprit. Il faisait des robes de gala tout en créant Air Forces 1. Cela m’a impressionné et je me disais ‘Je suis américain, je viens du milieu du skate, je viens du hip-hop. Je vais faire du streetwear dans le monde de la haute-couture.”
Un label streetwear rapidement devenu incontournable, grâce à la vision unique de son créateur. Inspiré par la philosophie de Tisci, Abloh explique avoir voulu confronter deux mondes et deux états d’esprit dans l’ADN d’Off-White. L’ambiance bouillonnante du nouveau monde américain, associé à la tradition du vieux continent, et plus précisément de l’Italie : “Je me suis dit que je devais me servir de la sensibilité artistique du streetwear américain mais en le confectionnant avec la qualité italienne, les coupes et leur savoir faire.” Abloh définit par la suite l’ADN d’Off-White comme une confrontation entre deux mondes, un concept qui lui tient visiblement à coeur : “Cette union fait que Off-White peut être vendu chez Barneys (ndlr : chaîne de department stores de luxe aux Etats-Unis) mais aussi parler à un fan de Travis Scott en transe.” Cette incursion plus que réussie dans la sphère du luxe lui a par la suite ouvert les portes de l’une des plus grande maison de haute-couture au monde : Louis Vuitton.
Après un premier défilé unanimement salué tant pour ses pièces que pour son message d’ouverture, Virgil Abloh a réussi à faire taire la plupart des critiques. Il reconnaît aujourd’hui que ce fut l’une des expériences les plus importantes de sa carrière : “C’était l’instant de vérité. Vous êtes nommés à la tête d’une maison et la première collection est comme une Coupe du Monde. Le ballon doit finir au fond des filets pour l’emporter.” Toujours dans le registre de la métaphore sportive, le créateur confie l’angoisse qui l’habitait avant ses grands débuts chez Vuitton : “C’est comme regarder l’Everest avant de le grimper. Vous pouvez vous préparer, vous pouvez vous entraîner. Mais quand vous regardez le sommet, la réalité est très intimidante. Même les alpinistes chevronnés font la grimace. C’est pour ça que j’ai été si ému à la fin du défilé. J’ai travaillé 14 ans pour atteindre cet instant précis. J’ai réalisé que c’était vraiment arrivé.” Après tant de chemin parcouru, Virgil Abloh avait à coeur de délivrer un message universaliste et positif aux milliers d’yeux braqués sur lui ce premier jour d’été dans la cour du Grand Palais : “Le message est que la diversité est la clé de la modernité de vie et de pensée, et non un argument marketing. C’est moi et ma couleur de peau, c’est mon refus de croire que c’était impossible d’accéder à ce statut.”
Ce défilé suivi dans le monde entier s’est finalement conclu sur une étreinte passionnée avec son ami et ancien collaborateur, Kanye West. “Je lui dois beaucoup. On a fabriqué une façon de travailler, un de penser, un dévouement sans faille pour essayer de créer des objets culturels” déclare Abloh à Business of Fashion. “On a remis en cause la notion de séparation entre l’art commercial et l’art classique, il y a plein de points sur lesquels on a fait voler en éclat les barrières” explique-t-il, avant de conclure avec sincérité : “On a créé et on continue de créer. Nous sommes toujours des amis et des collaborateurs.” Dans la suite de son entretien, Abloh fait part d’une anecdote pour le moins comique sur une situation qu’il a vécu avec Yeezy il y a quelques années. De passage à Londres, les deux amis se sont en effet rendus à la London’s Central Saint Martins, la plus prestigieuse école de mode au monde, dans le but de s’y inscrire. “Nous voulions rejoindre le master que Louise Wilson dirigeait.” se souvient Alboh. “Elle nous a regardé, elle s’est mise à rigoler et elle nous a dit que nous étions ridicules et idiots. Elle a dit un truc du genre ‘Vous avez tous les deux largement dépassé le programme que j’enseigne. Je ne vous laisserai pas aller en cours ici. Vous êtes débiles. Partez à la découverte du monde et faites ce pour quoi vous êtes nés.”
Désormais solidement installé à la tête d’un empire de la haute-couture et d’un très grand nom du streetwear, Virgil Abloh peut sereinement penser à l’avenir : “Le futur du luxe ? Ce sera une toute nouvelle construction. Ma valeur est de délivrer le message de mon époque.” Il n’oublie toutefois pas de penser aux millions de jeunes, qui comme lui auparavant, pensent que le monde dans lequel il évolue maintenant est inaccessible. Une pensée déjà formulée métaphoriquement lors de son défilé parisien, avec les nombreuses pièces faisant référence à l’histoire du Magicien d’Oz : “Les jeunes qui se retrouvent englués dans la violence, les armes à feu et les tueries, qu’est-ce qu’ils aiment d’autre ? Ils aiment le rap et ils aiment Off-White, Gucci, Louis Vuitton. Ils aiment les marques. Si seulement l’un de ses jeunes savait qu’il pouvait débuter avec un pochoir, parce que vous savez, moi aussi j’ai débuté avec un pochoir, il pourrait se faire un nom et un logo et commencer à le vendre.” L’appel est lancé.
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