Gucci et Balenciaga, la réinvention par la jeunesse

Dans une interview fleuve accordée à Business of Fashion, François-Henri Pinault, PDG de Kering, est revenu sur le succès phénoménal que rencontre les deux marques phares du catalogue de son groupe.

Toutes deux considérées comme les marques les plus populaires au monde depuis de longs mois, Gucci et Balenciaga n’ont pas toujours été à pareille fête et ont connu de véritables traversée du désert à des moments de leur histoire. Redynamisées par le travail de fond du groupe Kering, dirigé par François-Henri Pinault, les deux griffes de haute-couture ont connu une histoire mouvementée. Selon le PDG du deuxième groupe de luxe au monde, il était d’abord vital d’abandonner la notion de “l’ADN” d’une marque : “J’ai découvert tout au long de ma carrière que c’est un concept très surcoté. Les gens ont tendances à s’emprisonner dans ce concept. ‘C’est l’ADN de cette marque, on doit respecter cette ADN.’ Qu’est-ce que l’ADN d’une marque ? Une marque c’est des symboles, des icônes, ce n’est jamais un style. Le style est l’interprétation de quelque chose, et si vous pensez que le style d’une marque doit être respecté, vous n’avancerez jamais.”

Pinault poursuit son développement, en s’attardant sur l’exemple de Gucci, qui a opté pour une stratégie à mille lieux de celle qui était la sienne dans les années 90 : “Gucci était une marque très forte. Elle était décrite comme ceci : ‘L’ADN de Gucci sous Tom Ford est hyper-sexy, faite pour les femmes de caractère, parfaite.’ C’est l’opposé de Gucci aujourd’hui, même s’il s’agit de la même marque, de la même consistance, de la même sincérité. Cela démontre qu’une marque peut évoluer radicalement et rester fidèle à elle même. C’est très important car baucoup de marques n’évoluent pas à cause des (fausses) contraintes qu’elles s’imposent.” 

 

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Se distancer du passé pour mieux se réinventer, voilà le motto suivi par les marques du groupe Kering au cours des dernières années. Selon François-Henri Pinault, le concept d’héritage est, au même titre que celui d’ADN, un concept dépassé pour beaucoup de griffes : “Nous sommes des nouveaux venus dans l’industrie du luxe. Balenciaga est ancien, bien sûr, avec le travail de Cristobal (le fondateur de la marque), mais de 1969 à 1997, la marque a complètement cessé d’exister. Donc en realité il y a un héritage, mais pas dans la même mesure que chez d’autres marques historiques. Donc quand vous ne pouvez par reposer seulement sur l’héritage que faites vous ? A une époque, il n’était question que d’héritage et de savoir-faire.” Cette lucidité salvatrice aura permis à Gucci et Balenciaga de devenir les marques favorites des millenials, qui sont devenus le coeur de cible des maisons de haute-couture.

Cette transformation strucutelle d’un marché historiquement réservé aux personnes plus âgés et disposant d’un niveau de vie très élevé était inattendue pour Pinault et ses équipes : “Tout d’un coup, en deux ou trois ans, les millenials se sont mis à représentés 50% du marché de Gucci, Balenciaga et Saint Laurent. Ils représentaient 30% avant. C’est intéressant de voir que toutes mes marques à succès bénéficient de la même popularité sur cette tranche d’âge.” Alors que Gucci et Balenciaga alternent régulièrement entre la 1ère et la 2ème place du lyst Index publié tous les trimestres, François-Henri Pinault fait part de son point de vue sur l’engouement des générations X et Y pour ses marques : “Ce qui caractérise les millenials, c’est qu’ils sont dans leur phase de vie d’expression personnelle. Quand vous avez 25 ans et que vous avez fini vos études, vous êtes le pilote de votre vie. De plus, c’est une génération qui est beaucoup plus émotionnelle que les précédentes. Et quand vous leur proposez des choix créatifs forts, ça peut être polarisant. Vous bénéficiez de beaucoup d’attention.” 

Une génération avec des valeurs différentes, fortement influencée par le streetwear et ses codes selon Pinault : “L’autre point important de cette génération, en terme d’art de vivre, c’est que le streetwear est la catégorie dominante pour eux. Donc si vous proposez quelque chose de fort sur le plan créatif, en plus de ce que vous proposez sur le plan de la communauté, un concept hérité du streetwear, les résultats suivront automatiquement.” Selon le directeur exécutif du groupe Kering, les millenials, notamment masculins, représentent 60% des ventes totales de Balenciaga. Certaines pièces de la marque ont même subi une augmentation des ventes supérieures à 100% au cours des derniers mois, que ce soit dans la maroquinerie ou dans le textile, signe de la folie entourant actuellement la maison dirigée par Demna Gvasalia.

 

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Le site Business Of Fashion précise par ailleurs que la maison française devrait normalement atteindre le milliard d’euros de revenus annuels d’ici la fin 2018. De très beaux résultats qui demeurent néanmoins très éloignés des 6,2 milliards gagnés par Gucci en 2017. Décidé à rivaliser, voire dépasser LVMH, François-Henri Pinault livre enfin sa vision de l’industrie dans laquelle il évolue avec depuis des dizaines d’années : “La mission de l’industrie du luxe est de montrer la voie et de prendre des risques créatifs. Je pense que le luxe a oublié ça entre 2008 et 2010, c’est devenu quelque chose de très immobile, avec certes de très beaux outils marketing à certains endroits, mais les choses n’avançaient plus. On oubliait que la créativité est l’essence du luxe. Cela fait partie de la définition du luxe et cette industrie doit prendre des risques pour rester pertinente. Si vous arrêtez de prendre des risques, quel est votre but dans l’industrie ? Vous n’en avez aucun, aucun.” Gucci et Balenciaga ont su se réinventer par la jeunesse au cours des dernières années. Vu le succès de cette formidable aventure, les risques et autres paris continueront sans aucun doute d’être pris par les marques du groupe dirigé par François-Henri Pinault.

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