En l’espace de quelques jours, le Kanye West apaisé et serein des dernières semaines a laissé place à un alter-ego qui multiplie les dérapages et les polémiques.
Tout semblait calibré. Kanye West avait annoncé la sortie de Yandhi pour le samedi 29 septembre, le jour de sa participation en tant qu’invité musical du célèbre Saturday Night Live. Il tweetait depuis plusieurs jours sur le bonheur, l’entraide, la création, la tolérance ou encore l’ouverture. Pour reprendre une expression quelque peu usitée, tout allait mieux dans le meilleur des mondes. Seulement voilà, Yandhi n’est jamais sorti, Kanye West s’est produit sur la scène du SNL avec une casquette “Make America Great Again” et a été l’auteur d’un monologue pro-Trump extrêmement gênant, coupé au montage par la production de NBC. On passera sur le live déjà culte de “I Love It” aux côtés de Lil Pump, avec les deux rappeurs déguisés en bouteille d’eau pour une raison encore encore inconnue. Un moment hors du temps, qui peut être considéré comme l’un des rares points positifs de la semaine vécue par Kanye. Pour le reste, difficile de trouver une éclaircie dans le marasme au sein du quel baigne celui qui s’est renommé Ye.
Invité sur la scène du très à gauche Saturday Night Live, Kanye West a fièrement arboré sa cap MAGA redesignée, provoquant déjà de vives réactions sur les réseaux sociaux lors de la diffusion de l’émission. Habituée à ce parti-pris politique, la fan-base de Ye n’attendait toutefois qu’une chose : La sortie de Yandhi. Elle ne sera finalement jamais intervenue. Aucun mot sur l’album au cours de l’émission, pas plus sur les réseaux sociaux après coup. Le silence de Kanye et le retard de sortie de cet album pouvait laisser penser que Yeezy le peaufinait jusqu’à la dernière seconde, à l’image de ce qu’il avait fait lors des sorties de Ye et Kids See Ghosts. Quelques heures plus tard, une vidéo enregistrée par le comédien Chris Rock se propage sur la toile. On y voit Kanye West et le reste du casting du SNL réunis sur scène, pour le traditionnel discours de clôture de l’émission. Non diffusée par NBC, cette séquence surréaliste laisse entrevoir un Kanye West en train de clamer son admiration pour Donald Trump et sa répulsion pour le parti démocrate, sous fond de complotisme nauséabond : “Les Blacks ne veulent élire que des démocrates. C’était ça leur idée, de foutre les pères à la porte de leur foyer et de leur donner des aides sociales. Quelqu’un est-il au courant de cela ? C’est un plan des Démocrates” explique Kanye sous les huées du public présent lors de l’enregistrement.
Il poursuit : “Il m’est arrivé plein de fois de parler avec des Blancs, qui me disent ‘comment peux-tu apprécier Trump ? C’est un raciste.’ Je réponds que si j’avais été inquiété par le racisme, j’aurais quitté les Etats-Unis depuis bien longtemps.” Des propos qui paraissent complètement déconnectés de la réalité sociale d’un pays miné par les violences policières à l’encontre de la population afro-américaine. Le “Oh my God” murmuré par Chris Rock alors qu’il est en train de filmer le monologue de Kanye en dit long. Conscient d’avoir déclenché un incendie, Kanye West ne fera toutefois rien pour l’éteindre dans les heures qui suivent. Le lendemain du SNL, le rappeur de Chicago poste en effet un selfie pris depuis son jet privé et sur lequel il pose fièrement avec la casquette qu’il ne quitte plus. Là encore, le propos de Ye se veut sans équivoque : “Ceci représente le bien et l’Amérique qui se redresse. Nous n’allons plus sous-traiter dans d’autres pays. Nous construisons ici en Amérique des usines et nous créons de nouveaux emplois. Nous allons offrir des emplois à tous ceux qui sont libres, en dehors de toutes prisons, comme nous allons abolir le 13ème amendement. Message envoyé avec amour“ Une nouvelle prise de position pro-Trump et remettant en cause l’abolition de l’esclavage, qui n’aura pas manqué de faire réagir le showbiz américain.
this represents good and America becoming whole again. We will no longer outsource to other countries. We build factories here in America and create jobs. We will provide jobs for all who are free from prisons as we abolish the 13th amendment. Message sent with love pic.twitter.com/a15WqI8zgu
— ye (@kanyewest) 30 septembre 2018
L’acteur Chris Pine a notamment pris à partie Ye sur les réseaux sociaux : “Il n’y a rien de plus énervant que de débattre avec quelqu’un qui ne connaît pas l’Histoire, qui ne lit pas de livres et qui monte sa myopie en vertu.” La chanteuse Lana Del Rey, pourtant proche de Kanye West, a également tenu à adresser ces propos dérangeants : ” Trump élu Président a été une perte pour notre pays, mais ton soutien à lui est une perte pour la Culture. Je peux seulement en conclure que vous avez la même personnalité : une obsession mégalomane et de gros soucis de narcissisme. Cela ne poserait pas de problème si la personne concernée ne gouvernait pas le pays. Si tu penses qu’il est normal de soutenir une homme qui considère que ce n’est pas grave ‘d’attraper une femme par la chatte’, juste parce qu’il est célèbre, alors tu as autant besoin d’être soigné que lui.” Le seul soutien public reçu par Kanye West suite à son discours et son selfie est bien évidemment venu de Donald Trump, qui en a profité pour rappeler son admiration pour le président de G.O.O.D. Music et sa haine envers le Saturday Night Live. L’énième polémique provoquée par Kanye West a en tout cas largement éclipsé le fait que la sortie de Yandhi était en réalité une fausse promesse, le rappeur ayant par la suite annoncé que le projet serait reporté au 23 novembre.
Au coeur de la tempête médiatique, Kanye ensuite rendu dans les bureaux de TMZ lundi matin, les mêmes bureaux où il avait déclaré que l’esclavage était un “choix” quelques mois auparavant. Il y a notamment évoqué son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2024 et préciser qu’il ne voulait pas “abolir” le 13ème amendement mais le “modifier.” Une marche arrière tout en douceur, au cours de laquelle Kanye West aura enfin évoqué le sujet sur lequel ses fans l’attendent : sa musique. Il a notamment révélé certaines thématiques qui seront traitées sur Yandhi : “J’ai commencé à incorporer des sons que vous n’avez jamais entendu, à pousser des concepts dont les gens ne parlent pas. Nous avons des concepts qui parlent du body shaming, de femmes qui sont jugées pour le nombre de gars avec qui elles ont couché. C’est juste un vrai album de Ye. Les cinq albums que j’ai sorti ces derniers mois était la réhabilitation d’un super-héros. Maintenant, l’alien Ye est de retour, sans médicaments, faisant de l’exercice, pensant, créant, étant lui-même.”
Ye a également révélé qu’il se rendrait en Afrique pour concevoir Yandhi : “On part là bas dans deux semaines. J’ai senti cette énergie à Chicaco, j’ai senti les racines. Mais nous devons aller à ce que l’on appelle l’Afrique. Je dois y aller, je dois découvrir comment c’est vraiment.” Depuis ces déclarations, Kanye West a tour à tour évoqué son intention de réinventer le recyclage, pris la défense de son ami Elon Musk et demander à Colin Kaepernick d’aller discuter avec Donald Trump à la Maison Blanche. La question est désormais de savoir à quoi peut bien lui servir cette agitation, qui ressemble de plus en plus à une tempête dans un verre d’eau. De plus en plus de fans de Yeezy commencent à montrer des signes de lassitude par rapport à l’attitude incompréhensible de leur idole. Par dessus tout, ses déclarations polémiques et ses prises de position de plus en plus extrêmes risquent de relancer l’éternel débat consistant à savoir s’il est vraiment possible de séparer l’artiste de l’homme qu’il est vraiment. “I Hate Being Bipolar, It’s Awesome” écrivait-t-il sur l’artwork de Ye. On ne pourra en tout cas pas dire qu’il n’avait pas prévenu. Que se passe-t-il vraiment dans la tête de Kanye West ? Aujourd’hui, même le principal intéressé semble en incapacité de répondre à cette question.
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