En 2013, le “Harlem Shake” est un véritable raz-de-marée viral sur le net. Des dizaines de milliers de vidéos sont tournées sur le morceau de Bauuer, avec plus ou moins de brio. À l’origine de ce phénomène qui aura fait le tour du monde, un YouTubeur nommé George Miller. Connu pour ses personnages trash de Filthy Frank et Pink Guy, le japono-australien vivant à Brooklyn s’est rapidement fait connaître grâce à ses vidéos maniant l’humour noir et absurde. Mais en 2017, le vidéaste décide de mettre un terme à ce pan de son activité artistique. Car George Miller a un rêve, faire de la musique. Un rêve qu’il n’a jamais abandonné, comme il le confiait à Pigeons & Planes en 2017 : “J’ai toujours voulu faire de la simple musique. J’ai juste créé la chaîne YouTube pour lui donner un élan. Mais après les trucs avec Filthy Frank et Pink Guy sont devenus beaucoup plus gros que ce que j’imaginais, et j’ai dû, d’une certaine façon, faire avec.”
En quelque sorte emprisonné dans le carcan de ses personnages hardcore, George Miller décide alors de se réinventer une nouvelle fois, en Joji. À l’époque, peu nombreux sont ceux qui croient à sa nouvelle orientation musicale. Une signature chez 88rising, des concerts à guichets fermés aux quatre coins du monde et un premier EP acclamé par la critique plus tard, Joji n’est pas loin de faire l’unanimité. Son album BALLADS 1 était donc pour le moins attendu par une fanbase de plus en plus conséquente. Outre les millions de fans qu’il a su glaner lors de sa carrière sur YouTube, George Miller a su convaincre les amateurs de RnB déchirant et d’émo-rap torturé. Et pour son premier album, Joji a décidé d’offrir un condensé de son savoir-faire artistique, à la fois sur les plans musicaux et visuels. Car si la musique de Joji s’écoute, bien évidemment, elle prend également vie grâce aux clips qui l’illustre. Pour l’instant, quatre titres de BALLADS 1 disposent d’une vidéo, à chaque fois extrêmement originale et pourvue d’une réalisation léchée. Conscient de ses prédispositions pour le travail visuel, Joji a très rapidement su se construire un univers à sa mesure, à la fois dépressif et décalé. Et doué pour l’image, George Miller l’est également pour la musique. Tout au long des 12 morceaux de ce premier long-format, le natif d’Osaka fait parler son talent, en proposant un projet aussi cohérent qu’émouvant. Assez court (36 minutes), BALLADS 1 n’a pas le temps de s’essouffler un seul instant. Se dégage alors de l’album une sensation extrêmement plaisante, qui est celle d’écouter une oeuvre réfléchie et savamment construite.
À fleur de peau, à l’image son interprète, BALLADS 1 brille dans sa noirceur et sa mélancolie. Ce premier album est l’occasion pour Joji de faire étalage de ses capacités vocales très intéressantes, que ce soit au cours de refrains chantés ou d’utilisation de son falsetto de toute beauté. Bien aidé par des productions parfaitement adaptées à sa personnalité et à son univers, Joji passe de la trap dansante avec “TEST DRIVE” au hip-hop lo-fi de “YEAH RIGHT” en passant par le rock expérimental de “WHY AM I STILL IN LA” ou la folk digne de Bon Iver sur “I’LL SEE YOU IN 40.” Et là où beaucoup d’artistes se cassent les dents dans leur exploration de différents territoire sonores, Joji a relevé son défi haut la main. Il est en effet impossible de ranger le japono-australien dans une case, tant il évolue avec brio à la frontière d’une multitude de genres.
De leur côté, textes de BALLADS1 évoquent fort logiquement des peines de coeur et la souffrance sentimentale, comme sur les highligts de l’album “SLOW DANCING IN THE DARK” et “TEST DRIVE”, mais aussi des réflexions sur la célébrité et ses conséquences. Sans être révolutionnaire sur le plan stylistique, les textes de Joji sont assurément très parlants. Au niveau des invités, l’artiste new-yorkais fait le choix d’évoluer en petit comité. Trippie Redd sur le lancinant “R.I.P”, ainsi que le duo Clams Casino à la production et Thundercat à la basse sur l’excellent “CAN’T GET OVER YOU” sont en effet les principaux contributeurs de BALLADS 1. Cette décision apparaît en tout cas salvatrice, tant cet album permet de réellement saisir l’univers sonore de Joji, sans que ce dernier ne soit obligé de partager l’affiche une pléthore d’invités.
Pour toutes les raisons évoquées dans ces lignes, BALLADS 1 peut et doit être considéré comme un excellent premier album. Même s’il reste perfectible et souffre de quelques défauts, notamment au niveau de certains arrangements et de quelques redondances, le projet offert par Joji le vendredi 26 octobre est un manifeste artistique sincère et touchant. Il confirme par ailleurs que George Miller a parfaitement réussi sa transition de vie et qu’il sera un artiste à surveiller de près au cours des prochains mois. En attendant la suite, un logique BALLADS 2, on ne peut que vous conseiller de vous plonger dans la froideur mélancolique d’un projet à la beauté ténébreuse.