Dévoilée pour la première fois en janvier dernier lors de la Paris Fashion Week, la capsule Champion x clothsurgeon sera disponible à partir du 27 septembre chez Shinzo. Inspirée par les uniformes de la Ivy League, le groupement des huit universités américaines les plus prestigieuses, cette collection réinvente le style preppy en lui injectant des influences héritées du streetwear contemporain.
Moins connu en France que le géant du sportswear qu’est Champion, qui fête ses 100 ans cette année, clothsurgeon est une marque londonienne fondée en 2012 par le directeur créatif Rav Matharu. Label de streetwear de luxe, la griffe britannique a pour habitude de mélanger des design amples hérités du sportswear et des coupes plus serrées, plus habillées, tout droit héritées du style de l’allée des tailleurs de Londres, Savile Row.
À l’occasion de la sortie de cette collaboration, Champion nous a convié à Londres afin de rencontrer Rav Matharu, le fondateur de clothsurgeon. C’est sous un grand soleil, non loin de la magnifique gare de Saint-Pancras, que nous retrouvons le designer. Ancien footballeur professionnel et grand amateur de culture US, l’homme qui voulait révolutionner le sur-mesure britannique a répondu à nos questions au cours d’un entretien passionnant.
En quelques mots, comment présenteriez-vous clothsurgeon ?
On peut dire que clothsurgeon est un label streetwear sur-mesure. On donne l’opportunité à nos consommateurs de réaliser la pièce de leurs rêves. On ne se fixe pas de limites en terme de style, de fabrication, de coupe… Vous pouvez venir nous voir et créer exactement ce que vous souhaitez. C’est un peu le Savile Row du streetwear. Nous avons également lancé nos premières collection saisonnières il y a deux saisons, le but de ces collections étant de raconter une histoire. J’ai fondé clothsurgeon il y a 7 ans, donc on peut dire qu’on est assez établi maintenant, même si on évolue toujours en équipe réduite. Il est coutume de dire que construire une marque forte prend une décennie. On fera donc un nouveau point dans 3 ans !
Suivez-vous un processus créatif établi ou fonctionnez-vous plus par projet ?
Pour la création sur-mesure, on a souvent des clients qui arrivent dans l’atelier sans avoir la moindre idée de ce qu’ils souhaitent. Dans ces cas là, on entame une discussion, on essaie de les comprendre, de saisir qui ils sont, dans le but de concevoir une pièce qui va fiter avec le reste de leur garde-robe. À l’inverse, il arrive qu’on ait des clients qui savent exactement ce qu’ils veulent. Pour eux, on travaille plus sur la sélection des matières, sur le fitting, le sizing… Au niveau des collections, on s’imagine une histoire et on se plonge à fond dedans. Ça implique énormément de recherches, d’écriture, de croquis. Pour la collaboration avec Champion, on voulait fouiller dans les archives de la marque, en exploitant à fond des références aux sixties et aux seventies, tout en s’intéressant aussi au style Ivy League. Notre but était de créer une capsule vintage destinée aux temps modernes.
Comment s’est déroulée cette collab’ ? Qui a contacté qui ?
Des gens de chez Champion sont venus me voir en me disant qu’ils seraient très intéressés à l’idée de collaborer avec clothsurgeon. Ils voulaient voir ce que donnerait l’union de nos deux univers. Évidemment, j’étais super enthousiaste à l’idée de bosser avec une marque possédant une telle histoire, un tel héritage. Ils ont quand même inventé le sweatshirt, c’est une pièce mythique qui leur appartiendra éternellement.
Que connaissiez-vous de Champion avant de bosser avec eux ?
J’ai toujours été fasciné par le sportswear vintage. Quand j’étais ado, j’avais un rituel précis au retour des cours. J’arrivais chez moi, j’allumais l’ordi et je fonçais sur Ebay en tapant des trucs comme “Vintage Champion”, “Vintage Jordan”, “Vintage English soccer jerseys”… Tous ces logos mythiques, tous ces produits iconiques, ça m’obsédait. J’avais donc une belle petite collection de sweatshirts Champion durant ma jeunesse. Je savais également que la marque fête ses 100 ans cette année, c’était donc fascinant de fouiller dans les archives, de découvrir les vieux designs ou encore les brevets déposés par la marque il y a un siècle.
Combien de temps avez-vous mis pour concevoir cette capsule ?
Il y avait avait entre 80 et 100 designs pour cette collaboration, ce qui est énorme. On s’est un peu laissé emporté par notre créativité au début, mais on a “élagué” tout ça pour ne garder seulement que les meilleures pièces. Ça nous a également pris pas mal de temps de créer les full looks. Sur le plan de la production, on a tout designé à Londres et la fabrication se faisait en Italie. Ils ont un savoir-faire incroyable là-bas. La construction et la fabrication de cette capsule ne correspondait pas à ce que fait Champion habituellement. Là, on est en plein dans la rencontre entre le luxe et le sportswear. Ça a donc pris un peu de temps, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Tant que les gens sont heureux du résultat, c’est ce qui compte.
En tant que citoyen britannique, est-ce que ce n’était pas plus compliqué de bien s’imprégner de l’imagerie des universités de l’Ivy League ?
La culture US a toujours fait partie de mes inspirations. J’ai toujours été fasciné par les outftits des joueurs de NBA, sur et en dehors des parquets, mais aussi par les tenues intemporelles du baseball ou par le style casual des américains. J’ai été plusieurs fois aux États-Unis, mais c’est plus une passion qui vit à l’intérieur de moi, qui vient assurément de mon obsession pour cette culture si particulière. Étant donné que ce sont des références qui me parlent, c’était assez facile de transposer le style américain sportif des années 70 en pièces premium lifestyle.
Selon vous, pourquoi est-ce que les collaborations sont aussi importantes pour les créateurs et pour les marques ?
C’est sûr qu’à notre époque, elles sont très importantes. Mais il faut faire attention, quand c’est mal fait, une collab’ peut faire énormément de mal aux deux entités. On voit de plus en plus de collaborations qui ne riment à rien, qui ont l’air forcées. Tant que le process est authentique, c’est-à-dire que les gens ne font pas ça uniquement pour l’argent, les collaborations sont une bonne chose. Je pense que n’importe quelle marque peut collaborer avec une autre, tant que l’histoire racontée par leur association est sincère envers le consommateur. Pour la collaboration clothsurgeon x Champion, on voulait apporter quelque chose de complètement nouveau à nos deux marques, tout en restant fidèles à nos ADN respectives.
On observe que de plus en plus de marques de luxe s’intéressent au custom, une approche créative qui se rapproche de la votre. Pensez-vous que le futur de la mode réside dans la personnalisation extrême ?
Chez clothsurgeon, on privilégiera toujours le terme “sur-mesure” à celui de “custom.” On aime créer une pièce à partir de rien. Le sur-mesure vous donner la possibilité d’absolument tout faire. Pour nos clients, c’est l’occasion de posséder une pièce unique, réalisée pour vous et selon vos idées. Pour revenir à la question principale, je ne pense pas que les grandes marques arrêteront un jour de signer des collections. Et la majorité des gens ne seraient pas favorables à cette évolution. Tout le monde n’a pas le courage de se lancer dans la confection d’une pièce sur-mesure. Les gens veulent afficher leurs logos préférés, mais aussi découvrir une collection, une histoire. Mais au final, les gens veulent ressembler et imiter les gens qu’ils suivent sur Instagram, les célébrités, les artistes, les créatifs… On vit plus que jamais dans l’ère de l’influence.
Justement, en tant que créateur, quel regard portez-vous sur cette évolution ?
Ça nous a énormément servi ! Quand on a sorti nos premiers produits, Instagram nous a permis de faire connaître clothsurgeon à travers le monde, et ce, de façon instantanée. Grâce à cette application, on a vendu une pièce en Australie seulement deux semaines après notre lancement. Peu de temps après, il y a eu le post d’A$AP Rocky avec un sweater qu’on avait confectionné pour lui. C’était absolument dingue. Seulement, on ne voulait surtout pas être catalogué “marque Instagram”, on voulait grandir organiquement et créer un label authentique. On a toujours essayé de ne rien faire comme les autres.
Vous mentionnez A$AP Rocky, l’une des plus grandes icônes mode des dernières années. Mais il y a également de nombreuses autres célébrités qui ont porté du clothsurgeon au fil du temps. Qui porte vos pièces le mieux ?
(Il hésite)… C’est dur à dire. Bien sûr, un gars comme Rocky vient toujours nous voir avec des idées géniales, novatrices et surtout, il cherche toujours à pousser à fond dans l’expérimentation. C’est exactement ce qu’il fait dans sa musique par ailleurs, notamment sur Testing. Après, il dégage une vraie assurance et a la classe naturellement. Sur le plan personnel, travailler avec Nas était pour moi une expérience incroyable. On confectionne beaucoup de tenues de tournée, pour des rappeurs américains comme J. Cole ou pour des britanniques comme Tinie Tempah par exemple. J’adore travailler avec des rappeurs parce qu’ils ont toujours manifesté un intérêt sincère pour nos produits. On a aussi fait des pièces pour Rick Ross avant, puis après sa perte de poids !
Et du côté des sportifs, il y en a un en particulier qui vous vient en tête ?
J’ai beaucoup aimé travaillé avec le joueur de NBA Nick Young, qui se fait surnommer “Swaggy P.” C’est un fan de clothsurgeon depuis très longtemps. À chaque nouvelle saison, il vient à l’atelier et il nous fait travailler sur plusieurs pièces.
Votre label est londonien, mais pas vous je me trompe ?
Je viens de Leeds, à 200 miles au nord de Londres, dans le Yorkshire. J’ai déménagé à Londres il y a environ 10 ans. C’est très important d’être ici, c’est comme en France avec Paris, c’est ici que tout se passe. Il y a tellement de cultures différentes dans cette ville… Quand on vit à Londres, on est constamment inspiré par le style des gens qu’on croise dans la rue, un style qui est d’ailleurs beaucoup plus libre qu’ailleurs selon moi.
On a l’impression que Londres est le véritable épicentre de la créativité en Europe en ce moment…
Je suis totalement d’accord avec ça ! (rires). J’aime voir la mode londonienne comme un leader dans son domaine, qui essaie de pousser le luxe et le streetwear vers de nouveaux territoires. Prenez quelqu’un comme Kim Jones. Regardez ce qu’il fait chez Dior, ce qu’il faisait avant du côté de Louis Vuitton… Personne, absolument personne, n’arrive aussi bien à mêler ces deux univers que lui.
D’où vient cette fascination de Londres pour la mode ? Tout ne peut pas reposer uniquement sur le mythe de Savile Row.
Le style classique britannique, c’est l’art de la construction. De là où je viens, dans le Yorkshire, le tricot est un art traditionnel, on a également beaucoup de fabriques de laines. Du côté de Londres, Savile Row c’est la construction par des dizaines de petites mains, qui peaufinent chaque détail, chaque nuance. Il y a également toujours eu beaucoup de sous-cultures au Royaume-Uni, souvent rebelles et anti-système, comme le mouvement punk, le mouvement des Mods. Le bouillonnement ne s’est jamais vraiment arrêté et a toujours inspiré les créateurs.
Pour revenir à Leeds, c’est une ville connue en Europe pour son club de foot au passé pour le moins glorieux. Vous avez joué au football à haut niveau avant de vous lancer dans la mode, parlez-nous un peu de cette première vie.
Je ne me débrouille plus aussi bien aujourd’hui qu’à l’époque (rires). J’ai intégré l’académie de Leeds quand j’avais 10 ans. J’ai signé un contrat pro à 17 ans, puis j’ai quitté le club l’année de mes 20 ans pour effectuer des essais dans d’autres clubs. J’ai grandi au sein d’un club qui faisait à l’époque partie du gratin européen, qui allait en demi-finale de Champions League, qui possédait une équipe de rêve. Puis tout s’est cassé la gueule, la faillite, les relégations successives… De mon côté, ça a été une sacrée transition de passer de la vie de footballeur à celle de créateur de mode. Mais ça m’a toujours semblé être une progression naturelle. Depuis tout petit, je dessine, j’imagine des produits. Après, je ne dis pas que sentir le cuir d’une paire de crampon ne m’exciterait plus encore aujourd’hui (rires).
Comment s’est opérée cette transition justement ? Elle est loin d’être commune.
J’ai fait plusieurs essais pendant ma vingtaine, mais on ne m’a jamais vraiment proposé de contrat qui me satisfaisait pleinement. Des contrats de 6 mois, d’autres périodes d’essai, ce n’est pas comme ça que je me voyais vivre ma vie. Je savais qu’une carrière dans le football ne dure pas éternellement, encore plus lorsqu’on est pas une star. Je savais que j’allais devoir trouver un autre boulot à 30 ans, donc je me suis dit “autant gagner un peu de temps.” J’ai repris mes études, je me suis inscrit dans une école d’art et de design. Ensuite, j’ai été pris au London College of Fashion, mais j’ai abandonné au bout de deux semaines à cause du prix de la vie à Londres. Ce n’est pas Leeds ! J’ai travaillé dans le retail pendant 3 ans, ce qui a coïncidait avec une période de ma vie vraiment sombre.
Ce n’était pas ce qui était prévu j’imagine.
Exactement. Je n’arrêtais pas de me dire que je vivotais à travailler dans le retail, j’étais extrêmement frustré. C’est terrible de sentir qu’on ne réalise pas son plein potentiel. Avec le recul, je comprends que ces années m’ont énormément apporté en terme de connaissance de l’industrie de la mode, de connaissance produit. J’ai rencontré beaucoup de gens intéressants, qui m’ont beaucoup aidé par la suite. Après ces trois ans, je me suis dit qu’il était temps que je me bouge. Je suis retourné à l’université l’année de mes 25 ans, chez moi à Leeds. J’ai fait un MBA en Fashion Design et Technologie. Je savais dessiner, j’avais des idées et je voulais vraiment savoir comment je pouvais donner vie à ses idées. Je voulais connaître toutes les étapes du processus de création d’une création textile. C’était assez compliqué parce que j’étais le plus vieux de ma classe, au milieu de gamins de 18 ans tout juste sortis du lycée, qui n’avaient qu’un objectif en tête : faire la fête. Sauf que moi, j’étais là pour bosser !
Et ça a payé.
Oui, encore heureux ! J’ai déménagé à Londres une fois mon diplôme en poche pour bosser avec une petite marque de streetwear qui faisait uniquement des hoodies. Je voulais qu’on développe à fond la marque, le storytelling, les pièces du catalogue… Sauf que le fondateur ne l’entendait pas vraiment de cette oreille. Du coup, je me suis barré pour faire un truc de mon côté. À l’époque, la tendance était vachement tournée vers le cuir. C’est là qu’A$AP Rocky est venu nous voir, ensuite ce fut Rick Ross, Tinie Tempah… Toutes les planètes se sont enfin alignées. C’était un vrai effet boule de neige tout au long des 2 premières années. Je savais qu’il était crucial de construire une vraie hype autour de ce qu’on faisait. Quand tu fais un bon produit, tu as l’obligation de faire savoir à la terre entière que tu fais un bon produit.
Est-ce que votre passé de footballeur vous a influence dans votre carrière dans la mode ? Notamment pour travailler avec une marque de sportswear comme Champion.
Pas vraiment. Au cours des deux dernières années, le maillot de foot est devenue une pièce incontournable dans le streetwear. Ils sont partout. L’exemple le plus frappant est sans aucun doute la collaboration entre le PSG et Jordan. Je suis certain que, dans un futur proche, on verra une grande maison de luxe collaborer avec un club de foot. Cela aurait semblé impossible il y a quelques années, mais c’est complètement d’actualité dorénavant. Il y a cinq ans, si tu portais le maillot de ton équipe dans la rue, on te prenait pour un beauf ou pour un ultra. Ça n’avait rien de casual. C’est un point sur lequel les américains ont toujours été en avance sur nous, le sport est un lifestyle chez eux, il n’y a pas de différenciation entre un outfit qu’on porte dans la rue et celui qu’on porte en allant au stade.
Ce serait un projet qui vous attirerait, bosser avec un club de foot ?
Carrément, j’adore toujours cet univers, aller au stade, ressentir l’atmosphère des grands matchs. Ça parlera probablement à moins de monde en France, mais je suis également un grand fan de cricket. Un rêve que j’ai depuis toujours est de concevoir la tenue de l’équipe nationale d’Inde. Le sport m’inspire énormément en tant que designer.
Cette collab’ avec Champion vous a permis de vous faire connaître encore plus à travers le monde. Désormais quelles sont les prochaines grandes étapes pour clothsurgeon ?
J’aimerais qu’on ait un shop à Londres. Les loyers sont dingues, mais dans l’idéal un petit emplacement sur Savile Row serait génial. On serait un peu les rebelles du quartier, les vilains petits canards du sur-mesure, si on peut dire. Sinon, au risque d’être peu orignal, on veut continuer à faire de belles collaborations, à s’associer à de grandes marques comme Champion. On a encore beaucoup d’histoires à vous raconter.
La collaboration Champion x clothsurgeon sera disponible chez Shinzo Paris à partir du 27 septembre (39 Rue Étienne Marcel, 75001) et dès à présent sur le shop en ligne de Champion.