“Je veux juste faire des planches de surf et voir où ça me mène.” Alors que sa collaboration avec Dior vient d’être dévoilée il y a quelques heures, Shawn Stussy peut être fier du chemin parcouru. De la confection de boards sur les plages de Californie à son partenariat avec l’une des plus prestigieuses maisons de haute-couture au monde, le fondateur de Stüssy semble avoir connu 1000 vies. Le natif de la côte Ouest est néanmoins célèbre pour avoir créé la marque qui porte toujours son nom, un label streetwear dont le style a su traverser les décennies avec brio. La raison de ce succès ? Une sincérité créative à toute épreuve. Car s’il collabore aujourd’hui avec Dior, Shawn Stussy n’est pas un homme de compromis. Preuve en est, il n’occupe plus aucun rôle au sein de l’entreprise qu’il a fondé, et ce, depuis 1996. Pourtant, malgré une véritable discrétion, il demeure l’une des figures incontournables du streetwear mondial.
C’est dans le sud de la Californie, SoCal pour les locaux, que Shawn Stussy voit le jour en 1954. Immergé dans la culture surf depuis sa tendre enfance, le futur entrepreneur monte sur une planche l’année de ses 10 ans. Cette passion pour la glisse ne le quittera jamais. Il grandira d’ailleurs en même temps que cette discipline devenue une véritable contre-culture, notamment grâce au cinéma et à la musique. À 13 ans, le surfeur en herbe assemble, puis customise ses premiers boards. Une fois sa scolarité bouclée, Stussy enchaîne les petits boulots et mène une vie basée sur un principe simple : la débrouille. Il travaille sur des planches de surf durant l’été et apprend le ski aux plus jeunes pendant l’hiver, vivant pleinement ses passion pour le sport et le design. Ses créations de l’époque sont alors influencées par les sous-cultures qui adopteront plus tard le label Stüssy, comme le punk, la new wave ou encore le hip-hop.
Finalement plus attiré par la mer que par la montagne, Shawn Stussy emménage du côté de Laguna Beach, une sorte de paradis terrestre à 1 heure de voiture au sud de Los Angeles. Nous sommes alors en 1979 et la Californie est plus que jamais l’épicentre du cool mondial. Probablement inspiré par son environnement, le créatif américain va alors avoir l’idée qui changera sa vie. Afin de faire connaître ses services de fabrication de planche auprès de de la communauté surf, Shawn Stussy se met à vendre des tee-shirts, des shorts et des casquettes siglés d’un logo qui est encore aujourd’hui celui de la marque. Le jeune Shawn s’inspire de la signature de son oncle paternel Jan Stussy, et l’appose comme un graff’ sur divers basiques des beaux jours. La success story est lancée.
Stussy se met alors à écouler ses premiers items textiles depuis le coffre de sa voiture, garée aux abords des plages en fin d’après-midi. Le designer travaillant toujours sur ses boards dans la journée, il gère ses stocks de t-shirts une fois la nuit tombée. Le hustle est total, comme il le racontera des années plus tard : “Une fois que j’ai lancé mon entreprise, tout s’est mis en branle. C’est l’histoire d’un kid qui veut réaliser quelque chose de bien, avec une dose de hustle hérité de la rue, un côté rebelle sur le plan graphique, de bons skills de survie, un vrai optimisme et la volonté de sérieusement me bouger le cul.” Le bouche à oreille faisant son oeuvre, les créations de Stussy rencontrent un succès grandissant. Rapidement, il se rend compte qu’il est temps de passer à la seconde étape du développement de son projet.
En 1980, alors qu’il recherche des investisseurs, Shawn Stussy fait la rencontre de Frank Sinatra Jr. Le courant passe immédiatement entre les deux hommes, ce qui pousse Sinatra Jr à miser une enveloppe de 5000 dollars sur la société Stussy INC, qui se constitue officiellement en 1984. Le partage des rôles est clair : Sinatra Jr s’occupe du business, tandis que Stussy gère la direction artistique. Cette association fructueuse avec un partenaire venu de l’extérieur convainc le californien que sa réussite passera par la collaboration. James Jebbia rejoindra ainsi l’aventure en 1991, permettant à Stussy d’ouvrir sa première boutique dans le quartier branché de SoHo à New York. Le même quartier où il ouvrira 3 ans plus tard le shop de la marque qu’il vient de créer… Supreme. Outre le store géré par James Jebbia sur la plus grande ville de côte Est, Stussy s’implante également sur son territoire, à Los Angeles. Le succès est encore une fois au rendez-vous, la marque engrageant 17 millions de dollars de chiffre d’affaire en 1991.
Le petit label de surf indépendant est devenu un pilier du streetwear mondial, et ce, dès le début des ninieties. La volonté de Shawn Stussy de ne pas payer de campagnes de pub et de ne pas cibler une communauté particulière pour vendre ses produits s’avère payante. Stussy est surtout en phase avec les aspirations de son époque. Le grand public est en effet lassé par les excentricités de la mode flashy des années 80 et se met en quête d’une identité plus casual. La ré-inteprétation contemporaine de pièces classiques par Shawn Stussy convainc donc la jeune génération de l’époque, qui adopte de plus en plus les codes vestimentaires de ses idoles. La scène hip-hop du début des nineties s’éprend de la marque, tout comme la communauté skate et surf. Les amateurs de punk, d’électro et de reggae ne sont pas en reste, ce qui amène le label californien à devenir incontournable au sein d’une infinité de sous-cultures. “Tout le monde dit que c’est du surfwear, du streetwear, du surf streetwear… Je ne mets pas d’étiquette sur ce que je fais et c’est un vrai choix” explique Shawn Stussy dans une interview en 1992.
Soucieux de partager son message avec une communauté encore plus vaste, le fondateur de Stussy se lance ensuite dans un tour du monde pour échanger autour de sa marque avec des créatifs locaux. Au cours de ses nombreux voyages, Shawn Stussy noue des liens avec Hiroshi Fujiwara, a.k.a “le Parrain d’Harajuku” (ndlr : le quartier de la street culture à Tokyo), le guitariste des Clash Mick Jones ou encore avec Nigo, le fondateur de BAPE. Ce groupe de potes, unis par leur passion pour toutes les formes de créativité, se constitue en collectif : l’International Stüssy Tribe. À la manière du Pussy Posse de Leonardo DiCaprio dans la deuxième partie des années 90, l’International Stüssy Tribe devient un clan qui compte dans le milieu culturel. Posant régulièrement avec des varsity jackets personnalisées, les membres de la tribu fondée par Shawn Stussy contribuent bien évidemment à l’essor de la marque à travers le monde. Bien avant l’ère des réseaux sociaux, le créateur comprend que la jeune génération consomme dans le but de reproduire le lifestyle de ses modèles et pour se sentir accepté au sein d’une communauté.
Grâce à ses designs populaires, sa communication travaillée et la personnalité unique de son fondateur, Stüssy règne en maître sur le streetwear des nineties. La marque sera par ailleurs la toute première enseigne streetwear à collaborer avec un autre partenaire, en l’occurence Casio en 1997. Cette association, Shawn Stussy ne sera toutefois pas de la partie pour la mettre sur pied. En effet, le surfeur quitte sa propre entreprise en 1996, alors qu’elle est à son apogée. Officiellement, le designer explique qu’il veut avoir plus de temps pour profiter de sa famille. Dans les faits, il n’est plus d’accord avec la gestion de son associé Frank Sinatra Jr, qu’il accuse de favoriser la profit au détriment de la créativité. Les deux hommes mettent un terme à leur aventure commune, Shawn retournant à la fabrication de planches de surf, tandis que Frank continue encore de gérer Stüssy aujourd’hui.
Kim Jones aura donc sorti Shawn Stussy de sa retraite, 23 ans après son départ de la marque éponyme. Interrogé par Acclaim Mag en 2015 sur le chemin parcouru avec son label Stüssy, le créatif américain avouait ne rien regretter : “Je me sens bien car j’y ai consacré quasiment 20 ans de ma vie. J’avais fait le tour. J’étais surpris qu’on rencontre un tel succès, ça n’a jamais été mon but. Toutes les décisions que j’ai prises n’étaient pas destinées à créer quelque chose d’aussi gros, qui rencontrerait un tel succès. Bien sur, tu veux réussir dans ce que tu fais, mais c’était devenu quelque chose que je ne voulais pas et dont je n’avais jamais voulu. Avec ce statut viennent les responsabilités, les journées de travail de 20 heures et tout l’argent du monde. Mais si vous n’avez pas le temps de le dépenser, à quoi vous sert-il ? Je suis un homme simple.” Un homme simple, qui aura néanmoins bâti le tout premier véritable empire du streetwear mondial.