Reconnue et célébrée à travers le monde depuis de nombreuses décennies, la mode constitue l’un des principaux vecteurs de la puissance culturelle française. De ses créateurs emblématiques à sa nouvelle génération ambitieuse, la mode hexagonale est animée par de nombreux acteurs. Intitulée “Ils façonnent la création française d’aujourd’hui et de demain”, cette série de portraits a pour but de vous les faire découvrir. Aujourd’hui, c’est au tour du médiatique Simon Porte Jacquemus.
1 – Martin Margiela, le créateur invisible à l’influence sans limites
2 – Hedi Slimane, le réformateur de la haute-couture française
3 – Simon Porte Jacquemus, le créateur de mode aux allures d’influenceur lifestyle
Imaginez un monde post-apocalyptique, à mi-chemin entre Blade Runner et Matrix, dans lequel des créatures hybrides se baladent avec des masques pour survivre à la fin des temps. Une sorte de nouvelle dimension où les survivants se vêtissent uniquement ou presque avec des matériaux recyclés. Ce monde-là, c’est celui de Marine Serre. Encore inconnue du grand public il y a trois ans, la créatrice est en très peu de temps devenue une figure incontournable du panorama de la mode, en devenant notamment la cheffe de file de la révolution verte qui s’opère actuellement. On vous fait entrer dans l’univers de la créatrice française, une utopie qui pourrait, dans un futur proche, s’avérer bien réelle.
Pour comprendre le phénomène Marine Serre, il faut d’abord en connaître l’origine. Née dans une petite commune de Corrèze, Marine grandit dans village “composé seulement de cinq maisons“. Elle se distingue dès son plus jeune âge par son talent pour le tennis, mais voit subitement son rêve de devenir professionnelle s’échapper suite à un échec aux pré-sélections du tournois Roland Garros. Très vite, elle se découvre une nouvelle passion, la mode, qu’elle cultive au sein de son pensionnat d’arts appliqués à Limoge, en Belgique. Entre les friperies, les pièces de seconde-main, les vêtements vintage empruntés à ses parents, la jeune Marine se construit une identité stylistique basée sur la récupération, qui va devenir l’ADN de sa future marque. Après un BTS à Marseille mention “Design de mode et environnement”, elle revient en Belgique, dans la capitale cette fois-ci, pour terminer ses études. Elle profite de ces années pour effectuer des stages en apprentissage dont le premier, au sein de la maison Martin Margiela, qui était presque une évidence. Elle se bâtit un petit réseau en enchaînant les séjours chez Alexander Mcqueen, peu de temps après la mort de ce dernier, auprès de la marseillaise Fred Sathal ainsi qu’aux côtés de Raf Simons, alors directeur artistique de la maison Dior.
Tout s’accélère en 2016, année clé qui marque un tournant dans la jeune carrière de Marine. Lors de son défilé de fin d’études, l’étudiante tape à l’œil de Romain Jost, co-fondateur du célèbre concept store parisien The Broken Arm. Il commande la collection qui finit pratiquement sold-out en très peu de temps. L’année suivante, Marine, qui officie en parallèle chez Balenciaga auprès de Demna Gvasalia, est finaliste du Festival de la mode de Hyères. Quelques mois plus tard, elle reçoit le Graal pour tout créateur émergeant, le prix LVMH, remis par Rihanna en personne. Les canaux de distribution s’emparent du phénomène, les vêtements de Marine Serre sont désormais disponibles chez Opening Ceremony, SSENSE ou encore Dover Street Market. Les succès s’enchaînent, son travail est enfin reconnu et plus que ça, il plait. La corrézienne propose une conception de la mode nouvelle et originale, en parfaite adéquation avec son temps.
En effet, l’univers de la marque est avant tout la synthèse de ceux des différentes maisons dans lesquelles elle s’est formée. Néanmoins, le créateur qui a le plus marqué le style de Marine Serre de son empreinte est incontestablement le mystérieux Martin Margiela. Tout d’abord, Marine devient la digne héritière du créateur belge en faisant de l’upcycling son fer de lance, un processus artisanal basé sur le recyclage de tissus et matériaux afin de les transformer et créer des nouveaux produits. Marine a récupéré le mouvement d’une nouvelle “mode éthique”, amorcé par Margiela à la fin des années 1980, et se l’est approprié afin de prouver que mode et développement durable ne sont pas incompatibles. Marine Serre va également s’inspirer du style de la marque de haute-couture, en faisant défiler des mannequins le visage et le corps couvèrent par des pans de tissu, donnant un effet de seconde peau. Des types de silhouettes que l’on voit depuis plusieurs années dans les défilés Margiela.
Cependant, Marine Serre y a ajoute sa touche personnelle. Elle se définit ainsi par son approche hybride, combinant des inspirations radicalement différentes. Dans ses défilés, on retrouve des références aux cultures proches orientales systématiquement mises en avant (caftans revisités, femmes voilées, imprimés de hiéroglyphes égyptiens…), mais également des silhouettes tailoring plus classiques, comme on a pu le voir lors de son dernier défilé Automne/Hiver 2020-2021 intitulé “Mind Melange Motor“, un clin d’œil au film de science-fiction Dune, réalisé par David Lynch. Surtout, la passion de la créatrice française pour le tennis ne l’a jamais quittée. Si elle a fait de l’upcycling son fer de lance, elle garde un goût prononcé pour le sportswear, autre fil rouge de ses inspirations stylistiques, en témoigne sa collaboration avec Nike pour la Coupe du monde féminine de football en 2019.
Tout cela crée un style nouveau et complexe aux influences multiples, parfois qualifié d’avant-gardiste, que Marine désigne par un seul mot: futurwear. Les vêtements Marine Serre sont destinés à un monde futur, ravagé par la pollution et le réchauffement climatique. Ainsi, les défilés sont avant tout des histoires racontées, dans lesquels les personnages principaux (les mannequins) déambulent dans les rues, se contentant de ce qui a été laissé dans la nature. Les films Radiation et Marée noire illustrent bien le monde post-apocalyptique que la créatrice souhaite dénoncer.
Force est de constater que le style de la jeune corrézienne en a séduit plus d’un. De Beyonce à Jorja Smith en passant par Kylie Jenner, les personnalités les plus influentes ont adopté la mode façon Marine Serre. Mais celui qui a fait le plus de bruit en soutenant la française est sans doute A$AP Rocky, qui lors de son dernier défilé s’est présenté vêtu d’une doudoune exclusive co-designée par AWGE et Marine Serre, qui pourrait bien être une des pièces d’une future collaboration entre les deux marques.
Quatre ans après son premier défilé, Marine Serre semble avoir décroché la lune. Avec également le phénomène Simon Porte Jacquemus, elle fait figure d’exemple d’une nouvelle génération de créateurs français qui apportent un vent de fraîcheur et d’authenticité au prêt-à-porter de luxe. On regrettera d’autant plus le fait que les collections de Marine Serre ne soient pas totalement inclusives, dans le sens où les vêtements types « seconde peau », les tops ou les combinaisons, sont essentiellement destinés à des silhouettes fines, ne s’arrêtant qu’à la taille XL voire L pour certains articles. Toujours est-il que la jeune corrézienne, depuis ses débuts, a supprimé les barrières, qu’elles soient culturelles ou idéologiques. Elle épouse son temps ou peut-être, plus sûrement, le devance-t-elle. À l’image de son autre symbole fétiche, la salamandre, la jeune créatrice prétend vivre entre deux mondes. Elle se distingue comme un ovni venu d’un futur certes terrifiant, mais très probablement visionnaire.
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