La proposition de loi sur la “Sécurité globale” a été examinée à l’Assemblée Nationale de mardi à vendredi soir. On y retrouve notamment un article qui est particulièrement alarmant : l’article n°24 qui interdit la diffusion d’images de policiers, et qui a déjà été adopté par l’Assemblée nationale à la large majorité.
Une atteinte importante au droit à la vie privée
Ce texte est porté par les députés de La République en marche Jean-Michel Fauvergue (expatron du Raid) et Alice Thourot dans le but de protéger les forces de l’ordre et de maintenir l’autorité de l’Etat. Trois articles portent directement atteinte au droit à la vie privée :
-L’article 20 de ce texte prévoit l’élargissement de l’accès aux images des caméras de vidéosurveillance aux agents de la police municipale, mais aussi aux contrôleurs de la préfecture de police, alors que cet accès était juste-là uniquement réservé aux policiers et gendarmes.
-L’article 21 permet aux agents de police d’avoir accès aux images qui ont été tournées avec leurs caméras d’intervention.
-L’article 22, quant à lui, autorise l’usage d’outils de surveillance généralisées et la reconnaissance faciale automatisée. Ce dernier donne un cadre juridique à l’usage de drones pour « maintenir l’ordre public ». Rien ne garantit qu’il n’y aura pas d’abus ; c’est d’ailleurs ce qui inquiète le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies et Amnesty International qui mettent en garde la France.
La liberté de la presse en danger
L’article 24, débattu ce vendredi 20 novembre, est au cœur des débats : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, (…) dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
La jeune photo reporter Hannah Nelson, violemment interpelée par les forces de l’ordre en marge du rassemblement devant l’Assemblée Nationale le 17 novembre 2020, explique lors d’un live Instagram du journaliste indépendant Taha Bouhafs le 18 novembre: « Une fois que cette loi sera passée, je pourrais prendre des photos de policiers, mais elles ne seront jamais publiées, ou si elles sont publiées, je risque un an de prison et 45000€ d’amende », et soulève un problème: « Ce texte repose sur des notions floues. Qui définit ce qui porte atteinte ou non à l’intégrité physique ou psychique ? »
Pour avoir l’autorisation de couvrir une manifestation, les journalistes devront nécessairement demander une « accréditation » auprès de la préfecture ou du ministère de l’intérieur. On constate donc une volonté de définir deux camps : les « bons journalistes », proches des autorités, et les « mauvais journalistes », qui eux encourent le risque d’être interpelés (de manière excessive) pour attroupement. L’objectif de la mise en œuvre de ce dispositif est davantage d’empêcher les journalistes de montrer la réalité que d’encadrer les manifestations.
L’avocat Arié Alimi, membre de la Ligue des Droits de l’Homme affirme : « Les coups de pression sur les journalistes ne datent pas d’hier. Cependant, aujourd’hui, on bascule sur un Etat où c’est la police qui fait la loi, et non plus le Parlement ». C’est en effet Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui a ajouté de nouvelles mesures sécuritaires au mois de novembre. Cela est très critiqué par certains élus de tous bords politiques qui dénoncent le fait qu’il s’agisse plus d’un projet de loi du gouvernement, qu’une proposition de loi des parlementaires. Arié Alimi ajoute : « Ils prennent des lois qui protègent uniquement les policiers au détriment de libertés fondamentales et des journalistes, alors qu’avant c’étaient les journalistes que l’on protégeait ». Les journalistes, longtemps considérés comme les détenteurs d’un « quatrième pouvoir », semblent aujourd’hui être des cibles de l’Etat.
L’invisibilisation des violences policières
Les professionnels du cinéma et de l’image contestent le caractère liberticide et rétrograde de l’article 24 en signant une tribune publiée le 11 novembre dans Libération où l’on peut lire: « Après avoir nié et invariablement refusé de sanctionner les violences policières, il s’agit d’en effacer toute preuve ». La Loi Sécurité Globale est débattue après la multiplication de violences policières au cours de manifestations de Gilets Jaunes et durant les mobilisations contre la Réforme des retraites. Or, l’image est une arme fondamentale pour contester. Un grand nombre de ces violences ont été filmées par des manifestants et des journalistes, permettant ainsi d’identifier et de sanctionner des agents de police. Sans images, pas d’affaire Benalla, pas de preuves dans l’affaire Cédric Chouviat, ni dans les
affaires du Burger King des Champs-Elysées, et tant d’autres.
Afin de calmer les vagues de protestations, le ministre de l’intérieur a proposé un amendement pour garantir la liberté de la presse et « consacrer le droit d’informer » lors d’une réunion d’urgence qui s’est tenue hier, le jeudi 19 novembre. Cela ne sera toutefois pas suffisant. Cinq mois seulement après les mobilisations massives à travers toute la France contre les violences policières, cette loi indique qu’il n’y a aucune volonté de la part de l’Etat de mettre fin aux violences commises par les forces de l’ordre. Elle porte fortement atteinte aux droits de l’Homme, met de l’huile sur le feu et tend à rendre notre société plus violente qu’elle ne l’est déjà.
Comment agir ?
Se mobiliser est essentiel pour avoir un poids politique suffisant. Les modalités d’actions sont multiples : cela peut passer par le fait de participer aux rassemblements (tel que celui du 17 novembre dernier) ou contester la loi, se tenir informé et relayer les actions sur les réseaux sociaux. Un nouveau rassemblement pour maintenir la pression est prévu ce samedi 21 novembre sur le Parvis des Droits de l’Homme au Trocadéro. Il est donc plus que jamais important de faire entendre sa voix, d’une manière ou d’une autre.