Jazzy Bazz, EDGE et Esso Luxueux nous ouvrent les portes de leur “Private Club”

Rencontre avec trois artistes unis par la musique, mais pas seulement.

Si Paris baigne actuellement dans la morosité, la capitale peut toutefois compter sur trois ambassadeurs de choix pour lui faire revivre ses nuits les plus folles. Jazzy Bazz, EDGE et Esso Luxueux nous replongent tout droit dans l’ambiance crépusculaire de ces soirées sans fin, avec leur projet commun Private Club, sorti en fin de semaine dernière. Amis de longue date, les trois rappeurs parisiens livrent ici un album entre introspection et fantasme, comme le carnet de voyage d’une interminable ride dans les méandres de la Ville Lumière. Rencontre.

Comment vous est venue l’idée du projet commun ? 

Esso Luxueux : On s’est retrouvés au Goldstein Studio un soir et on a fait un son à trois. On a vu que ça marchait bien. Ça coulait de source de faire quelque chose ensemble. 

Jazzy Bazz : On se connaît tous depuis 10-15 ans. On est des amis très proches. Avec Esso, on avait notre groupe Cool Connexion depuis très longtemps. Quand EDGE s’est mis à rapper, on s’est automatiquement dit qu’il fallait qu’on fasse un truc tous les trois. Et on a une preuve écrite ! En 2017, on avait créé un groupe Insta. Mais vu qu’on est des chilleurs, le projet a commencé avec une session le soir du 11 septembre 2020, où on a enregistré “Hier Encore.”

Les morceaux de Private Club, c’est les morceaux que je veux écouter.

Jazzy Bazz

Vous avez établi quel processus créatif ? Vous faisiez tout à trois ou chacun travaillait de son côté avant une mise en commun ? 

EDGE : On bossait tout le temps ensemble. On prévoyait une session tel jour dans la semaine, on venait tout les trois. On se posait, on écoutait les prod’ qu’on avait reçu et on décidait sur laquelle on voulait partir. On embrayait et on passait une belle soirée à créer. 

Esso Luxueux : C’est beau ça. 

Jazzy Bazz : Ce rendez-vous hebdomadaire était précédé de recherches de prod’, de discussions, de gestations autour de l’orientation du projet. Quand on faisait la session, chaque son avait son histoire. Mais globalement, une session c’était choisir une prod’ et se mettre d’accord dessus. Une fois qu’on était d’accord, on lançait les hostilités assez rapidement. Tout le monde se mettait à écrire un peu : on ne se disait pas d’écrire une montagne, afin d’aller vite en cabine pour lancer le morceau. On essayait de toujours garder des gens en cabine, pour que ça se relaie en permanence et que le morceau se construise. C’était un vrai travail d’équipe. 

Qu’est-ce que vous avez appris les uns des autres durant ce processus ?

Esso Luxueux : EDGE a une certaine musicalité, Ivan (ndlr : Jazzy Bazz) a une certaine manière de kicker les prod’… Si je pouvais être son D.A, je le ferais aller vers des sons mélodieux, parce qu’il sait matraquer une bonne topline. Les gens aiment le voir kicker, donc on a gardé ça. EDGE amenait le côté musical, il faisait les premières toplines en cabine pour lancer le truc. Et moi ? C’était au choix. Soit je partais dans un délire plus musical où je chantais, où je me faisais plaisir, soit je rappais. J’ai essayé de faire 50-50. Si tu regardes bien le projet, on a tous du rap et du chant. Deux-trois fois sur des sons, j’ai encouragé Ivan à aller dans ce délire de chant. 

Jazzy Bazz : Je n’ai pas forcément “appris” sur ce projet parce qu’on a enquillé. Mais on a beaucoup appris des uns des autres, même si on se connait depuis belle lurette. Une moitié de vie pour nous. Si tu élimines les années qui servent à rien, de 0 à 15 ans. 

EDGE : T’es chaud toi ! Jusqu’à 15 ans ?! (rires) 

Jazzy Bazz : Pour moi t’es pas la même personne, t’es une version prototype. T’es une bêta (rires). On a appris les uns des autres à tous les niveaux, surtout musicalement, bien sûr. Chacun a une manière différente d’envisager une instru, d’envisager un morceau, d’écrire… Tu te nourris des gens avec qui tu travailles et ça te permet d’apporter de la variété, de progresser. Les morceaux de Private Club, c’est les morceaux que je veux écouter. Dans le sens où il y a plein d’aspect du rap que j’apprécie : l’aspect mélodieux, la nonchalance, le kickage. Pour moi, c’est la perfection en tant qu’auditeur… 

Esso Luxueux : Ah ouais, t’as pas peur d’utiliser les termes !  

Jazzy Bazz : C’est ce que je recherche en tant qu’auditeur, c’est très subjectif. Je dis pas que c’est mieux que les autres artistes ou quoi, mais c’est ce le genre de choses que j’aime écouter. Ça m’arrive de faire des morceaux que je n’écouterais pas forcément, mais là je trouve que le mélange est vraiment agréable à l’oreille.  

Esso Luxueux : Il y a un équilibre. 

Jazzy Bazz : Un équilibre qu’un artiste en solo à du mal à ramener, c’est normal. Ceux qui arrivent à réunir toute cette palette en solo, c’est des monstres tout simplement. 

T’as des exemples en tête ? 

Jazzy Bazz : Personellement, un Kendrick a cette maîtrise de varier les mélodies, les intrus et d’alterner entre des flows condensés où il est en démonstration et des flows plus aérés. C’est vraiment l’un des boss. Vous avez d’autres noms vous ? 

EDGE : Young Thug le fait très bien, il varie de fou en permanence. Tory Lanez, c’est pareil. 

Esso Luxueux : Un gars comme Z-Ro aussi. Il chante super bien et il sait découper. 

Jazzy Bazz : Quand t’es un groupe, tu peux mieux répartir les choses. Dans la création du morceau, ça te permet vite d’éviter les bourbiers. 

Esso Luxeux : T’as pas vraiment le temps de cogiter. 

Quand tu fais un album en groupe, il y a toujours deux options : soit il y a un des artistes qui va te foutre le seum et tu ne valides pas. Soit il y en a forcément un que tu vas kiffer et là, tu valides à fond.

Esso Luxueux

Le projet est porté par une vraie ligne directrice, une D.A forte. Comment construit-on un univers visuel et sonore de cette qualité ? 

Esso Luxueux : Il te faut un bon graphiste déjà. On s’est pas trop pris la tête, on est allés voir Raegular. On lui a fait un moodboard avec nos idées, on lui a fait écouter le projet et on lui a parlé de nos références. Il avait diggé des bonnes photos de Pigalle dans les années 70-80 avec des néons, des plans de films, des photos… Une fois que tout ça était combiné, ça a directement établi la D.A du projet : une ambiance nocturne et luxueuse. Ce sont les morceaux qui ont dicté l’ambiance globale du projet. 

Jazzy Bazz : C’est Esso qui a eu la révélation. Il est arrivé un dimanche et il nous a dit : « C’est les néons, c’est les strip-clubs ». On a tout visualisé d’un coup. On avait commencé à faire des sons sans se rendre compte que c’était ça le cadre, l’histoire qu’on racontait. J’adore collecter des images, faire des moodboards, aller puiser dans les films que j’ai bien aimé. Du coup, j’ai commencé à collecter des trucs pour préciser l’univers qu’on voulait, on a montré ça à Raegular et il a capté de suite. Il nous a inondé de référence ultra chaudes et on était lancés. C’est une D.A visuelle qu’on a essayé de décliner dans la finition de la musique, pour bosser vraiment dans ce sens-là maintenant qu’on en est conscient, pour les clips, les photos, tout ce qui accompagne. C’était vraiment cool, parce que dans beaucoup de projets tu peux passer totalement à côté de ça. Tu fais la musique, mais tu ne sais pas comment l’habiller visuellement. 

L’aspect cinématographique ? 

Jazzy Bazz : C’est quelque chose qu’on aime beaucoup, faire comme si le son était la B.O d’un film.

EDGE : C’est aussi lié à notre vie, où on a pu pas mal rider à une certaine période. C’est un truc qu’on s’est pas dit, mais qu’on a retranscrit inconsciemment. 

Jazzy Bazz : Quand Esso a dit ça, ça a résonné directement. 

Vous pensez que l’époque qu’on vit actuellement, sans fête, sans ride, vous a influencé ? 

Jazzy Bazz : Inconsciemment, je pense que oui. C’était un moyen de retrouver cette saveur de fête. C’est vraiment un lifestyle, ce côté rider. Je l’affilie beaucoup au voyage, à la ride en voiture. C’est pas forcément la grosse fête en mode Ibiza, parfois ça peut être des ambiances un peu sombre. 

Esso Luxueux : C’est de la ride. 

Jazzy Bazz : Quand Esso a parlé de cette ambiance, on s’est directement reconnu dedans. C’est vraiment nous, c’est réel. C’est intéressant de créer une oeuvre fictive, en rapport avec nous et la façon dont notre amitié s’est construite autour de la ride. On est partis d’une base réelle, pour s’amuser avec un univers que tu construis autour. 

ll y a une époque pas si lointaine où on te tombait dessus si tu faisais quelque chose de différent.

Jazzy Bazz

Les projets communs sont beaucoup moins développés en France que dans le rap US par exemple. Vous avez pas peur de décontenancer le public ? 

Esso Luxueux : Je fais pas ça pour que les gens soient contents ou pas contents. Je suis avec mes gars, je fais la musique que j’aime. Ça plait, tant mieux. Ça ne plait pas, tant pis. On a tous collaboré les uns avec les autres auparavant, donc je pense que les gens sont déjà préparés à nous retrouver à plusieurs. Quand tu fais un album à trois, il y a toujours deux options : soit il y a un des artistes qui va te foutre le seum et je valide pas, soit tu te dis qu’il y en a forcément un que tu vas kiffer et tu valides à fond. 

Jazzy Bazz : Dans la promo de son dernier album, MC Solaar avait dit un truc à propos de la licence poétique. L’idée c’est qu’il faut faire confiance aux artistes, aux gens qui créent. Du point de vue des artistes, il faut faire son truc en étant confiant que c’est toi qui est force de proposition. Quand on faisait quelque chose et qu’on avait envie de le faire, on y va et on se pose plus de questions. C’est ce qui est bien aujourd’hui dans la musique. Il y a une époque pas si lointaine où on te tombait dessus si tu faisais quelque chose de différent. Maintenant, les gens sont ouverts à toute proposition, ils te font beaucoup plus confiance artistiquement. Le but de ce projet, c’était de faire des sessions où on s’amuse. Mais tu as toujours l’espoir que le son voyage, que les gens puissent l’apprécier. 

EDGE : Ce que je retiens dans la création de ce projet, c’est qu’on a mis une temporalité sur ce qu’on a fait. C’est l’album d’un moment. 

Justement, est-ce que Private Club est un one-shot qui capture un instant précis ou vous aimeriez renouveler l’expérience sur d’autres projets ? 

EDGE : Peut-être que plus tard on se recroisera en studio tous les trois et on aura la même envie. 

Jazzy Bazz : A priori, on va faire encore plein de sons ensembles pendant des années et des années. Un projet commun peut évidemment être la porte ouverte à d’autres, mais on veut garder ce côté récréatif. C’est la première chose qu’on s’est dite : avec Private Club, on évite tous les trucs qui nous crèvent quand on est sur nos projets solo.

EDGE : C’est le délire de l’instant, c’est ça le plus important. C’est ça vivre, c’est apprécier l’instant. C’est ce qui s’est passé sur chaque morceau qu’on a pu créer. On va pas chercher des paramètres sur le son, la suite, la promo… On fait ce qu’on aime, en étant en famille. 

Esso Luxeux : Carpe Diem (rires)


Le projet de Jazzy Bazz, EDGE et Esso Luxueux est à (re)découvrir ci-dessous.


Propos recueillis par Julien Perocheau

Photos : Julien Liénard (@julienlnrd)