Bakari : “The Wire c’est la référence de base parce que c’est LA série sur la rue”

Nouveau projet, passion pour JUL et culture africaine, le rookie belge se confie.

bakari interview sur écoute rap

Bouillonnant ces dernières années, le rap belge ne cesse d’enrichir la scène francophone d’artistes aussi éclectiques que talentueux. C’est désormais le cas de Bakari, un rookie à suivre de près qui vient de sortir l’EP Sur Écoute : Saison 1. L’occasion d’échanger avec lui sur ce nouveau projet, son parcours ou encore son intérêt pour Jul et le cinéma.

Tu es satisfait des premiers retours sur cette saison 1 ?

Tout se passe comme prévu, les retours sont positifs. Les morceaux préférés des gens sont assez différents. Chaque son a pu toucher une catégorie de personne différent. Le son qui revient le plus souvent, c’est quand même “A6.” Mais la suite est déjà en stock. Ça fait trois ans maintenant que je bosse sur cette trilogie.

Tu l’avais planifiée de A à Z cette trilogie ?

À la base, je me suis juste enfermé au studio et j’ai beaucoup travaillé. Avec la pandémie de Covid-19, il a fallu définir une stratégie de sortie. On a réfléchi avec l’équipe et on a décidé de partir sur une série de 3 EPs avec le label. On voulait simplement faire du studio, créer un maximum de matière et garder le meilleur.

Comment tu juges ta progression entre ton premier projet Kaléidoscope et cette trilogie ?

Je suis moins éparpillé dans la recherche. À l’époque de Kaléidoscope, j’étais encore en train de tenter des trucs. Ce n’était pas super abouti. Maintenant, je considère que je maitrise mon style.

Tu as bossé différemment sur ce projet-là ?

Il y a plus de chant sur ce projet. On s’est dit que ça allait être ma signature. C’est le truc que je fais le mieux et dans lequel je suis le plus à l’aise. Mais je peux toujours te trouver un ou deux couplets rappés sur chaque projet.

À quel moment tu as eu ce déclic sur le chant ? On imagine que ce n’était pas forcément ce qui a été le plus naturel pour toi au départ.

J’ai essayé de chanter au studio, mais je n’osais pas sortir des sons parce que je ne les trouvais pas aboutis. À partir de Kaléidoscope, je me suis senti un peu plus à l’aise. On a écouté les gens, on a eu des retours et on s’est dit qu’il fallait se focus sur le truc sur lequel je suis le plus fort et qui passe le mieux.

En arrivant en Belgique, je ne parlais pas bien français et on se moquait un peu de moi.

Bakari

Justement, comment arrive-t-on à se démarquer des autres en tant qu’artiste émergent ?

Je pense qu’il faut demander au public, aux gens qui écoutent. Parce que quand je fais mes sons, je ne calcule rien du tout. Je fais la musique que j’aime. Après, on le partage avec les gens, ils aiment ou ils n’aiment pas, mais je ne suis jamais dans un calcul. C’est directement la prod’ qui va qui va me guider sur le thème à aborder, sur le chant ou sur le rap. Je ne fais pas de toplines, pas de mélodies au préalable. Tout est dans ma tête.

Le titre et la pochette de Sur Écoute : Saison 1 sont clairement une référence à The Wire, tes clips sont très travaillés… L’esthétique visuelle compte autant que la musique pour toi ?

Je kiffe le ciné et j’ai regardé beaucoup de séries. Faire du cinéma, ce n’est pas une idée que me déplairait. Peut-être à l’avenir, on ne sait pas ! On essaie déjà d’installer cet univers pour que les gens y soient habitués. The Wire c’est la référence de base parce que c’est LA série sur la rue. J’aime aussi beaucoup Boyz n the hood, La Cité de Dieu… Ce n’est pas très original, mais ce sont les gros classiques qui m’inspirent.

À Liège, on apporte un peu plus de musicalité qu’à Bruxelles.

Bakari

Est-ce que tu penses déjà à l’après-trilogie ?

J’ai des trucs en tête, ouais. Mais ça dépend de l’accueil du public, on verra. Là ce qui est sûr, c’est la trilogie ! Ensuite on verra comment ça se passe. Avant que le Covid arrive on avait fait pas mal de scène, quelques festivals en Belgique. J’aime beaucoup la scène. Les Belges ne sont pas complexés, ils font des pogos à tout va. C’est la Belgique quoi ! Si on nous libère, ce serait bien de reprendre la scène (rires) !

On sent que le public te manque. Tu as du mal à rester proche de lui grâce aux réseaux ?

Je ne gère pas mon Twitter, j’ai délégué la tâche à quelqu’un d’autre (rires). Je ne gère que mon compte Instagram. Mais je ne réponds pas à tout le monde, parfois je passe deux ou trois jours sans poster et on me tire les oreilles, on me dit : “Poste ! Montre ta tête !” Mais je ne suis pas du tout réseaux sociaux à la base. Je suis quelqu’un de discret. Je reste dans mon coin avec mes potes. Je préfère voir les gens en vrai, parler avec eux dans la réalité.

Tu es né au Congo et tu as longtemps vécu au Rwanda. Quels souvenirs gardes-tu de ton enfant passée là-bas ?

À vrai dire, je n’ai pas vraiment de souvenirs du Congo. C’est davantage ma mère qui m’en parle car j’étais vraiment petit. Mes souvenirs d’Afrique c’est au Rwanda principalement, à Kigali où j’ai grandi jusqu’à mes sept ans. Après, j’ai déménagé en Belgique, à Liège.

L’arrivée en Belgique n’a pas été trop brutale ?

Si quand même, je suis arrivé en hiver en plus. Je ne connaissais pas l’hiver, je ne connaissais pas la neige ! Je me rappelle avoir pleuré parce que j’avais trop froid aux mains (rires). C’était trop pour moi d’un coup ! Ensuite, il a fallu apprendre à parler français. Je suis arrivé en primaire et les enfants étaient méchants avec moi. Je ne parlais pas bien français au début, donc on se moquait un peu de moi.

Tu écoutais quoi en grandissant ?

Quand j’étais petit, je m’en foutais du rap. De mes 5 à 10 ans, j’écoutais beaucoup de musique avec ma mère. C’était beaucoup de musique du bled, de la variété française. J’ai découvert le rap quand je suis arrivé en Belgique. Le seul rappeur que je connaissais en Afrique c’était 50 Cent. Ensuite, j’ai découvert le rap français, avec la Mafia K’1 Fry notamment. Ça m’a parlé direct, je comprenais ce qu’ils disaient. Je pouvais me reconnaitre dedans.

Il y a un artiste que j’apprécie vraiment, c’est JUL. J’aime bien son côté très terre-à-terre, très vrai. Quand je l’écoute, j’ai l’impression que je suis marseillais avec lui, avec ses potes et que je vois la vie de son quartier.

Bakari

C’est à ce moment là que tu as décidé de te lancer ?

C’était la musique que tout le monde écoutait autour de moi, donc c’était évident que je me mette au rap un jour. J’ai écrit mes premiers textes pour mes potes. J’ai vraiment commencé à rapper à 16 ans. Je sortais un clip par an, je m’en foutais un peu. Puis en 2018, on a commencé à prendre les choses au sérieux. J’ai rencontré mon manager et on a fait un bon projet, Kaléidoscope. C’est avec ce premier projet que j’ai eu le déclic de la professionnalisation. Au début, c’était vraiment du rap pour le plaisir.

Tu as aussi eu une expérience en duo. Qu’est-ce que ça t’a appris ?

J’ai appris que j’étais mieux en solo. (rires)

Tu viens de Liège, une ville où la scène rap s’est construite dans l’ombre de celle de Bruxelles. Qu’est-ce qui fait votre particularité ?

La Belgique est un petit pays, donc tu vas souvent trouver des mots, un vocabulaire similaire. Un gars de BX et un gars de Liège se comprennent quand ils parlent, c’est le même argot. Ce qui nous différencie, c’est qu’à Liège on apporte un peu plus de musicalité. Je connais des artistes de chez moi qui sont en train de faire des bons trucs et beaucoup de musicalité en ressort. Après, la différence n’est pas aussi marquée qu’entre le rap parisien et le rap marseillais par exemple. Le pays est plus petit, Liège-Bruxelles, c’est une heure en transport. En Île-de-France, même après une heure de transport, tu es toujours dans la même région (rires).

Je me mets encore beaucoup de barrières dans l’écriture.

Bakari

Tu as l’air particulièrement attaché à mettre en avant le vivier artistique de Liège.

Oui totalement, parce qu’on est les premiers de la ville à avoir une exposition plus ou moins importante. On est conscients qu’on est en train d’ouvrir une porte, donc on n’a pas envie de se la jouer perso. Entre artistes de Liège, on se connait tous, on a grandi ensemble, on traine ensemble. Je ne peux pas me la jouer perso.

Tu as fais plusieurs collaborations, avec Jäde, Sofiane Pamart ou encore Isha, des artistes qui sont tous très différents. Qu’est-ce que tu as appris à leurs côtés ?

Ce sont des artistes qui ont capté ce que je faisais. Jäde a compris que je voulais aller dans son style à elle. Isha a aussi compris qu’il y avait moyen de faire un truc intéressant. Et Sofiane, c’est un pianiste donc pour le côté mélodique, c’était évident. Et c’est un frérot Sofiane. Notre relation n’est pas simplement liée à la musique. Quand il est à BX, on se capte.

Est-ce qu’il y a des artistes avec lesquels tu vas collaborer prochainement ou avec qui tu rêverais de collaborer ?

Pour l’instant, je n’ai rien de prévu. Je ne suis pas dans l’optique de gratter du featuring. Après si un artiste m’invite et que j’aime ce qu’il fait, j’y vais. Il y a un artiste que j’apprécie vraiment, c’est JUL. J’aime bien son côté très terre-à-terre, très vrai. Quand je l’écoute, j’ai l’impression que je suis marseillais avec lui, avec ses potes et que je vois la vie de son quartier. Pour moi, il faut rester authentique. Quand tu fais du rap, on doit comprendre qui tu es grâce à ta musique. Je n’ai pas envie de tricher. Je donne tout : le bon et le mauvais.

On sent qu’il y a une bonne part de mélancolie chez toi. La musique t’aide à exprimer certains sentiments enfouis en toi ?

Oui, c’est exactement ça ! Dans la vie de tous les jours, je ne parle pas forcément beaucoup. Le silence ne me dérange pas. La musique, c’est le seul endroit où je peux vider mon sac. Je me mets encore beaucoup de barrières dans l’écriture. Il y a des sujets que je pourrais un peu plus creuser, comme ma famille. Mais le truc, c’est que c’est un sujet sensible, je dois faire attention à ce que je dis. La daronne peut écouter. Il faut que je prenne du recul, de la maturité pour bien en parler.

Justement, comment ta famille voit ta carrière ?

Mon petit frère m’a grave encouragé ! C’est mon premier fan. Le morceau “Comme les autres” par exemple, c’est lui qui a trouvé le sample. Parfois je ne dors pas la nuit, il ne dort pas non plus, on va sur YouTube pour trouver des morceaux à sampler. Il avait 14 ans à l’époque. Il est impliqué à fond dans le truc. De leur côté, mon daron et ma daronne suivent de loin, ils me laissent faire mon truc.


Le projet de Bakari Sur Écoute : Saison 1 est à (re)découvrir ci-dessous.


Propos recueillis par Julien Perocheau (@julienperocheau)

Photos : Tony Raveloarison (@tony.r3)