Youssoupha, le dernier symbole de la polémique systémique française

Une affaire qui ne devrait pas en être une.

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Le 18 mai, la France se réjouit du retour inespéré de Karim Benzema en Équipe de France pour le très attendu Euro 2021. Dans la foulée de cette euphorie nationale, la Fédération Française de Football dévoile l’hymne de la sélection, « Crie mon nom en bleu », signé Youssoupha. Seulement voilà ; ce choix ne fait pas l’unanimité, notamment du côté de la droite et de l’extrême droite.

Les principaux opposants à cette décision de la FFF créent une polémique dont eux seuls ont le secret en ressortant des phases virulentes du rappeur adressées à Marine Le Pen dans le morceau « Eternel Recommencement » (2006) ainsi qu’à Éric Zemmour. Ce dernier avait porté plainte contre Youssoupha pour menace de mort en 2009 à la suite de la sortie du titre « À force de le dire » dans lequel le rappeur déclarait : « J’mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Éric Zemmour ». Ce procès perdu par le polémiste en 2012 a inspiré à Youssoupha ce qui est sans doute son plus gros classique, « Menace de mort », dans lequel le rappeur dénonce avec brio la liberté d’expression à géométrie variable en France.

Le rap, un genre dominant en quête de légitimité

Incontestablement, le rap a sauvé l’industrie de la musique. Les rappeurs sont les artistes les plus streamés, jouissent d’une influence énorme et sont aujourd’hui dominants dans cette industrie qui les a longtemps méprisés. Mais ce succès populaire n’est pas synonyme de légitimité en France. Alors oui, de plus en plus de rappeurs sont invités à la télévision. Mais le traitement qui leur est accordé provoque souvent des moments de gènes intenses.

Dans la catégorie « Interviews de rappeurs que l’on préfèrerait oublier » on compte notamment le passage lunaire de Vald chez Thierry Ardisson ou encore l’interview de Damso aux allures de procès dans l’émission Quotidien. Les rappeurs sont également inlassablement moqués dans des radios généralistes françaises comme dans l’émission Capture D’écrans de France Inter datant de 2018 dans laquelle des journalistes et chroniqueurs condescendants se tordent de rire en écoutant du PNL. On note aussi que malgré l’engouement, les rappeurs sont toujours réduits à des nominations dans la catégorie fourre-tout « musique urbaine » aux Victoires de la Musique. Insulte ultime, Manau remportera même sa Victoire devant Mc Solaar, NTM et Ärsenik.

Youssoupha a longtemps été acclamé par les médias généralistes. Il représente le « rap intello » et diplômé. Cette valorisation ne tient qu’à un fil, les controverses finissent toujours par l’emporter. L’Histoire riche du rap français comprend une tendance récurrente à l’instrumentalisation par certains politiques et médias d’opinion aux intentions très discutables. Le genre est assimilé à une certaine population puisqu’il s’agit d’un art pratiqué majoritairement par de jeunes hommes de banlieue, Noirs et Arabes. Et c’est d’ailleurs le point crucial de toutes ces polémiques.

Une polémique dont l’extrême-droite tire profit

Quand on confie une tâche symbolique, en l’occurrence écrire l’hymne de l’Euro, à un représentant de cette population ; ça dérange une partie raciste de la France. Alors elle se lance dans une enquête cherchant la moindre preuve, le moindre dérapage. Dans le passé récent, il y a eu les polémiques Black M à Verdun, et Médine au Bataclan. Lorsque pour l’Euro 2008, Grand Corps Malade a été choisi pour l’hymne de l’équipe de France, ces mêmes polémistes ont-ils mis autant d’énergie à fouiller dans son passé pour l’empêcher de représenter les Bleus ?

« Ils m’auraient trouvé plus gentils si je ne faisais que du slam ». Youssoupha a prédit la polémique. Dans son cas, c’est par un tweet de Jordan Bardella, membre du Rassemblement National, que tout s’est enclenché. Une polémique d’autant plus importante que le contexte politique est crucial. Nous sommes en plein lancement des campagnes présidentielles, et de nombreux sondages d’opinion annoncent Marine Le Pen en tête du premier tour des élections présidentielles de 2022. Une véritable aubaine pour le Rassemblement National.

Des réactions contrastées

Forcément, face à l’ampleur de la polémique, les responsables institutionnels doivent prendre position. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et Roxana Maracineanu, ministre des Sports ont toutes deux apporté leur soutien à Youssoupha. « Youssoupha est un chanteur militant qui dénonce le racisme et qui est pour la diversité » affirme Roxana Maracineanu. En parallèle, Le Point, Marianne ou encore le très à droite magazine Valeurs actuelles s’en emparent instantanément, tout comme les chaînes d’information en continu guettant toutes les polémiques inflammables sur les réseaux sociaux.

Dans tout ce désordre, Noël Le Graët, président de la FFF, s’exprime enfin sur le cas Youssoupha. Et alors que cet ancien élu du Parti Socialiste pourrait porter un message d’unité et apaiser la situation, il opte, comme a son habitude, pour une déclaration maladroite. « Je crois que nous n’aurions pas dû le faire et laisser la liste être divulguée comme d’habitude, sans communication ». Un propos peu étonnant de la part de celui qui n’a jamais voulu se mouiller lors de grosses controverses allant jusqu’à nier le racisme et l’homophobie dans les stades de football.

La palme de la réaction nauséabonde revient à Nadine Morano, qui a déclaré sur le plateau de Pascal Praud « qu’il rentre chez lui » en référence au fait que le rappeur vit depuis quelques années en Côte d’Ivoire. Quelques mots qui résument bien l’indécence de la classe politiquo-médiatique sur cette affaire, qui ne devrait même pas en être une.

Deux formes de récupération politique du rap

Outre-Atlantique, sous Barack Obama, les portes de la Maison Blanche étaient ouvertes aux rappeurs. Quand le 44ᵉ président des États-Unis affirme que Jay-Z, ex-dealer de crack est son rappeur préféré, la symbolique est forte. On peut également citer l’ex-first lady Michelle Obama qui a rappé dans une vidéo d’Harvard pour encourager les jeunes américains à faire des études supérieures. Bien sûr, tout cela reste une opération de communication très bien ficelée de la part des Obama. Mais cette récupération politique a au moins le mérite d’être positive. Le rap est normalisé et valorisé par ces personnalités politiques.

À l’inverse de leurs homologues français qui inscrivent le rap dans un agenda politique de façon malsaine. NTM, Sniper, La Rumeur, Orelsan, Monsieur R, Sexion D’assaut, Freeze Corleone; tous en ont fait les frais. Quelques-uns se sont même retrouvés au cœur de débats improbables entre députés. Une priorité nationale visiblement. Ce pays où les étudiants font la queue devant les aides alimentaires ne pouvait pas résister à une nouvelle polémique.

Difficile de rester silencieux face à cette énième polémique autour des rappeurs. Difficile également de comprendre le mutisme des médias traitant quotidiennement du rap. Ces publications, qui existent grâce aux rappeurs, devraient contrebalancer la haine rependue par ceux qui cherchent à dénigrer cette culture.