Le monde du tennis est connu pour être hautement formaliste. Pas étonnant aux vues des origines aristocratiques de ce sport. C’est ce milieu qui laisse peu de place à l’audace et à l’anticonformisme que la tenniswoman japonaise de 23 ans Naomi Osaka bouscule.
Entre juin 2019 et mai 2020, Naomi Osaka gagne 37,4 millions de dollars. Un record sur une année pour une sportive. Naomi Osaka génère beaucoup d’argent, certes, mais sa puissance va au-delà de sa fortune. La numéro deux mondiale n’a en effet jamais hésité à s’engager et exprimer ses opinions, quitte à s’attirer les foudres du public, des médias et des institutions.
Osaka fait particulièrement parler d’elle depuis dimanche dernier. La jeune tenniswoman a refusé de participer aux conférences de presse de Roland-Garros pour préserver sa santé mentale. La Fédération Française de Tennis l’a alors condamné à une amende de 15 000 dollars pour avoir refusé d’honorer ses obligations contractuelles envers les médias après son match contre Patricia Maria Tig. Menacée d’expulsion du tournoi, Naomi Osaka a déclaré forfait lundi 31 mai. Une décision historique qui témoigne une fois de plus de la volonté de la tenniswoman de révolutionner son sport.
Le sens du sacrifice
Ce n’est pas la première fois que Naomi Osaka fait le choix de se retirer d’un tournoi. En 2020, au WTA de Cincinnati, elle annonce son retrait en signe de protestation contre les violences policières racistes aux États-Unis. La tenniswoman d’origine japonaise et haïtienne réintègre le tournoi ensuite, mais sa prise de position fait d’elle un symbole. Elle devient une athlète engagée aux yeux du monde.
Son soutien au mouvement Black Lives Matter suscite par ailleurs de vives réactions dans son pays. De nombreux japonais expriment leur mécontentement en affirmant qu’une tenniswoman ne devrait pas tenir un tel discours politique. Naomi Osaka répond alors à ces critiques avec toute la franchise qui la caractérise : « Je déteste ceux qui disent que les athlètes ne doivent pas se mêler de politique et se contenter de divertir le public. D’abord, c’est une question de droits de l’homme. Deuxièmement : en quoi avez-vous plus le droit que moi de vous exprimer ? Avec votre logique, une personne qui travaille chez Ikea a juste le droit de parler du mobilier Grönli ».
La décision de Naomi Osaka de renoncer cette année à Roland-Garros est d’autant plus forte que les enjeux sportifs et économiques autour de sa non-participation sont énormes. Il s’agit d’un véritable sacrifice pour l’intérêt collectif. En se retirant, Naomi Osaka annule ses chances d’ajouter un nouveau titre à son palmarès. Coup dur également pour les sponsors qui comptaient sur son image et cette compétition très suivie pour engranger des bénéfices.
Lever le tabou de la santé mentale
Le sujet abordé par Naomi Osaka est tabou. Les problématiques autour de la santé mentale ne sont que très peu, voire jamais mises en avant dans le monde du tennis. La tenniswoman avoue dans un long message posté sur les réseaux sociaux souffrir de phases de dépression depuis l’US Open en 2018. Sa victoire face à Serena Williams cette année-là est un évènement marquant dans la jeune carrière de Naomi. La joueuse japonaise remporte son match et fait face aux huées du public américain. Osaka va même jusqu’à se sentir obligée de présenter ses excuses pour… avoir gagné. Un évènement rude et injuste pour Naomi alors âgée de 20 ans. Avant d’être une tenniswoman connue et reconnue, Naomi Osaka est l’une de ces jeunes qui évoluent quotidiennement dans un monde particulièrement violent et angoissant et qui sont plus enclins que les générations précédentes à être touchés par la dépression.
« Tous ceux qui me connaissent savent que je suis introvertie. Et tous ceux qui m’ont vue lors de tournois auront remarqué que je porte souvent des écouteurs. Cela aide à atténuer mon anxiété sociale » ajoute-t-elle dans son message expliquant les raisons de son retrait. En mettant la lumière sur la santé mentale des athlètes, la joueuse de tennis se fait le porte-voix de tous les sportifs vivant des situations similaires à la sienne. La question du mental est d’autant plus importante pour les sportifs que l’angoisse ou la dépression peuvent engendrer de vraies conséquences physiques. Un sujet qui est donc extrêmement important et qu’il était temps d’aborder.
« J’ai vu beaucoup d’athlètes se décomposer dans une salle de presse après une défaite et je sais que vous aussi. Cette situation revient à frapper une personne déjà terre » a-t-elle déclaré avant son retrait de Roland-Garros. Ces mots font sans doute référence à ce qu’a pu subir sa concurrente et amie Serena Williams. Lors de l’Open d’Australie 2021, Serena Williams est éliminée en demi-finale suite à sa défaite face à Osaka. Williams se retrouve en conférence de presse face à une journaliste lui demandant si sa défaite est à prendre comme un adieu au tennis. Une question terriblement maladroite qui fait couler les larmes de la plus grande tenniswoman de tous les temps et provoque l’écourtement de la conférence de presse.
Sur le retrait de Naomi Osaka à Roland-Garros, Serena Williams affirme: « Je suis proche d’elle. J’aimerais la prendre dans mes bras parce que je suis passée par là aussi ». Également, plusieurs sportifs américains comme Lisa Leslie, Corri Gauff, Max Holloway ou encore Stephen Curry ont adressé des messages de soutien à Naomi Osaka. Le fossé est édifiant entre les athlètes qui se reconnaissent dans le message de la jeune tenniswoman et le public et certains médias qui interpêtent un profond mal-être en un caprice de star. À travers ses engagements, Naomi Osaka contribue depuis plusieurs années à faire bouger les lignes dans ce monde du sport professionnel qui manque encore cruellement d’humanité.
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